« En cherchant à hâter les choses, on mange le but ;
de la même façon que la poursuite de petits avantages
fait avorter les grandes entreprises ».
Confucius, Homme d’Etat et Philosophe chinois
Par Gary Olius*
Soumis à AlterPresse le 13 juin 2018
La politique étrangère de Barak Obama et de Nicholas Sarkozy était pour redessiner un ordre mondial à la mesure des nouvelles ambitions économiques et diplomatiques des Etats-Unis et de l’Union Européenne. C’est dans ce dessein inavoué qu’ils ont concocté le printemps arabo-africain (Tunisie, Egypte, Cote d’Ivoire), les désordres par procuration ou par personnes interposées (Irak, Syrie, Yémen), le harcèlement géopolitique, économique et diplomatique (Russie et Chine) et la neutralisation des élites intellectuelles de certains pays d’Afrique et d’Amérique latine par le parrainage de politiciens sans étoffe dans le but d’y étouffer définitivement l’éclosion de toute nouvelle forme de leadership politique éclairé. Tels des apprentis-sorciers ces deux leaders, trop imbus de leur petite personne et placés prématurément sur le toit du monde, ont fait plus qu’il n’en fallait. Et pour avoir perdu le sens de la mesure, ils ont posé - malgré eux - les conditions préalables à un gigantesque accident de l’histoire. Entendez par là, un démantèlement imprudent de l’ordre mondial existant sans penser au préalable à s’assurer de la maitrise du mode opératoire devant présider à la mise en place de son succédané. Il en est résulté un immense trou-noir diplomatique et géopolitique, assorti d’un vide cosmique, en termes de leadership, qui entraine de nos jours la dé-crédibilisation et la faillite progressive de l’occident.
Les actions inconsidérées du duo Obama-Sarkozy ont fait leur œuvre et seront cataloguées dans l’histoire pour ce qu’elles sont : des sauts périlleux avortés qui ont irréversiblement estompé l’hégémonie occidentale. En cela, les historiens feront œuvre qui vaille en veillant à ne pas oublier que le principal fer de lance de cette diplomatie négationniste et exclusiviste a été le clan des Clinton, meilleurs alliés d’Obama au sein du parti démocrate américain, comme l’ont montré leurs pirouettes aux quatre coins du monde contre les pays susmentionnés. La victoire de François Hollande, en France, et la mise sous la sellette de Sarkozy dans le dossier Kadhafi a quelque peu refroidi les ardeurs de certains pays européens à appuyer Obama dans sa politique étrangère ambiguë et assez mal inspirée. Ce dernier s’est retrouvé seul (avec les Clinton) dans son entreprise rocambolesque …
Mais comme tout américain suffisant, entêté et gonflé d’orgueil, Obama a su se fabriquer de bonnes raisons pour continuer dans la même direction, sans se rendre compte qu’il dirigeait son pays et ses alliés tout droit vers un lendemain incertain ; oui, vers un vide sidéral où tout sera à refaire. Surestimant la force de son Etat et méconnaissant les caprices de l’histoire, il croyait que tout lui était permis. Ses menées économiques et diplomatiques envers la Chine, la Russie ou, globalement, envers les pays du groupe BRICS tournaient à la provocation et il a sous-estimé la capacité de réplique de ceux-là qu’il provoquait sans retenu. C’est dans cette outrecuidance qu’il pensait maintenir le reste du monde sous une constante pression afin de tout réduire à la simple défense des intérêts américains. Pour y parvenir, il ne s’est pas embarrassé de scrupule pour mettre le chaos en Tunisie, en Lybie, en Syrie et au Yémen via la conception, en toutes pièces, de mouvements de subversion et de groupuscules de terreur de type Al-Nosha qu’il vendait sous le ridicule sobriquet de terroristes modérés.
Se croyant sans limite et divinement illuminé, Les Clinton et Obama ont provoqué les dirigeants russes et chinois jusque dans leur dernier retranchement et ont réussi à leur faire croire que dans le sillage de l’élimination physique de Kadhafi, de la mise en taule de Laurent Bagbo et de Mohamed Morsi et de l’envoi en exil de Ben Ali … tôt ou tard leur tour allait arriver. Pendant ce temps, ils fomentaient l’élection de bouffons en Afrique et Amérique et menaçaient de destitution Dilma Roussef, Evo Morales, Correa et Maduro. En Haïti, ils ont ordonné la manipulation des scrutins de décembre 2010 et de mars 2011 pour éliminer Madame Myrlande Manigat et installer Micky le grivois au pouvoir, tout en provoquant la classe politique et l’Elite intellectuelle haïtienne. On se le rappelle bien, pour faire taire toute forme de critique à l’encontre de son poulain fraichement investi, Bill Clinton l’a qualifié - sur CNN - de président haïtien le plus cohérent des 30 dernières années. C’était aussi une façon de couvrir d’opprobres ces élites mécontentes et de réduire au strict minimum leur périmètre de réaction face à l’inacceptable. La campagne médiatique orchestrée en ce temps-là a porté tous les récalcitrants à encaisser le coup. Certes, dans les milieux universitaires, la chose a été vécue comme une catastrophe éthique qui méritait une réplique proportionnelle, mais le contexte et la dure situation socioéconomique du pays ne s’y prêtaient pas. Mais le grand ressentiment suscité chez cette catégorie d’Haïtien(ne)s envers les dirigeants américains ne permettait pas aux déçus de tout acabit d’y voir le signe avant-coureur d’un déraillement de la démocratie ’made in USA’. Car, chez nous, il n’y avait pas beaucoup de gens qui étaient convaincus du fait que l’ingérence irrévérencieuse (combinée à l’immoralité diplomatique) et la vraie démocratie ne font pas longtemps bons ménages.
Les réjouissances d’Obama et du couple Clinton n’ont été que de courte durée, vu que la parution du fameux livre de Peter Schweizer, ‘The Clinton cash’, a pu dévoiler l’ampleur des dégâts causés par Bill et sa femme à travers le monde. Leur forte propension à la corruption a été exposée aux yeux du commun des mortels et cela n’a pas manqué de les fragiliser politiquement. Et cette fragilisation a été telle qu’elle a profondément faussé leur jugement et leur capacité à effectuer une lecture rationnelle des effets et impacts de leur excès. Ils feignaient faire peu de cas des dénonciations rendues publiques et s’évertuaient avec ténacité à projeter une image de conquérants que rien ne pourra arrêter. Dans leur ferveur triomphaliste Obama et les Clinton ont cru qu’ils ont ouvert un boulevard politique en leur faveur et que, désormais, ils ont créé les conditions pour que les USA et leur famille politique dominent sans partage toute la planète. Mais c’était, comme on dit chez nous, bien compté et mal calculé.
Comme c’était attendu, le deuxième mandat d’Obama arrivait à terme et Hilary s’était lancée ultra-confiante dans son sillage pour une éventuelle conservation du contrôle des choses à la maison blanche et dans le monde entier. On a cru qu’il n’aura fallu que d’une simple formalité électoraliste pour qu’à la présidence du premier noir aux USA se succédât inexorablement celle de la première femme… et qu’ainsi la Chine, la Russie et l’Iran devraient se préparer à vivre de longs moments de cauchemar. Pourtant la grosse machine, qu’on croyait bien huilée et en parfait état de fonctionnement, s’est retrouvée abimée contre une muraille insoupçonnée. Les stratèges Russes et chinois, maitrisant à merveille l’art de travailler dans la plus grande discrétion, ont patiemment œuvré pour leur porter un coup fatal. Comme dans une division de travail - quasiment à la mode capitaliste - l’irréductible Vladimir Poutine s’est chargé de la responsabilité politico-diplomatique de faire dérailler la superpuissance américaine pendant que le madré et superdoué Xi Jinping mène la bataille économique et financière dans le même dessein. L’intervention russe en Syrie et les avancées de la route de la soie en Afrique en ont été la première évidence, mais Obama a été tellement obnubilé par sa posture de seul maitre du monde qu’il n’avait pas vu venir la fulgurante contre-attaque de ce redoutable tandem.
Contrairement à ce que pensaient les Américains, la machine de l’histoire qu’ils croyaient mener à leur guise s’est catastrophiquement accidentée. Et, le pire est que ceux qui se vantaient d’y occuper les places de choix en sont sortis avec des dommages significatifs mettant en péril leur capacité à continuer à jouer le reste du jeu. Pour cause, Clinton a perdu piteusement les élections contre toute attente et certains faits laissent encore planer la suspicion d’une intrusion technologique des Russes pour assurer la victoire de Donald Trump. Le FBI et les démocrates se sont confondus ; ils n’y voyaient pas seulement noir, mais de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. On dirait une affaire ficelée sur une autre planète et infiniment loin du monde des humains, tellement la discrétion a été bien gardée. L’establishment américain s’est ébranlé et l’Elite politique a reçu la chose comme un coup sur la tête ; ils en sont sortis groggy et ont tous deux perdu le nord. Pour plus d’un, c’est une stupéfiante ironie de l’Histoire, en ce sens que les Clinton sont exactement victimes des mêmes forfaits qu’ils ont commis en Haïti et dans certains pays d’Afrique. La honte qu’ils ont fabriquée pour les va-nu-pieds - dans leur velléité raciste - leur tombe sur la tête, tel un crachat lancé en l’air. Un vrai signe des temps … ! N’était-ce pas le cas d’en parler comme le symptôme d’une décadence non-annoncée de la superpuissance américaine ?
Comme pour répondre par l’affirmative à cette interrogation à caractère prémonitoire, Trump, depuis son arrivée au pouvoir, s’active dans tous les sens en signant des décrets qui témoignent d’un repli sur soi de la grosse machine économique américaine et en niant sans complexe la velléité expansionniste de ses prédécesseurs. Il se montre nationaliste, protectionniste, négationniste et prétentieux … jusqu’au délire. Son enfermement nationaliste frôle la xénophobie et cela lui inspire de l’irrévérence, même envers de grands alliés historiques de son pays. Depuis son projet de mur à la frontière américano-mexicaine jusqu’à l’augmentation unilatérale et illégale des tarifs douaniers sur certains produits stratégiques importés du Canada et de l’Europe, en passant par le démantèlement des accords commerciaux régionaux ou transatlantiques, c’est un Donald Trump qui se fie uniquement à son gros bon sens et qui, tel un bulldozer, avance en détruisant tout sur son passage. C’est une chose sans précèdent. En un rien de temps, un impérialisme orgueilleux s’est transformé en un nationalisme étroit, anxieux et complexé, objet de la risée du monde entier. Tout ceci s’apparente bien à un accident de l’histoire. Car rien, pas même un amour fou pour la liberté et la démocratie, ne saurait expliquer cette étrange passivité de la société américaine face une dérive aussi retentissante. Voyez-vous, ce que les chinois et les russes ne disposaient pas d’assez de ressources pour réaliser par eux-mêmes, Trump et les Républicains - sur la base des travaux d’Obama et des Clinton - sont en train de le leur offrir sur un plateau d’argent. Désormais, les Chinois ont l’opportunité et la possibilité de faire de leur pays une superpuissance planétaire. Oui, mine de rien, ce repli entêté, conduit par Trump et son clan, est un support de premier plan pour la propulsion d’un éventuel expansionnisme chinois. Cela saute aux yeux ! Sous un leadership enténébré et aveugle, les Américains se retirent un peu partout et de manière inexpliquée pour laisser la place (économiquement et financièrement) aux Chinois et (diplomatiquement) aux Russes. L’Europe a été prise de court et n’est pas assez forte pour maintenir la dragée haute à ce duo aguerri par les adversités subies depuis des lustres.
Le comportement de Trump a tout l’air d’une passation de pouvoir, à l’insu d’une Europe qui s’est réveillée trop tard. Sous peu, on se rendra compte qu’une telle façon de faire consacrera la ‘fin de l’histoire’ prophétisée à sa manière par Francis Fukuyama. Même au risque d’aller trop vite en besogne, serait-il insensé de commencer à poser la problématique de l’avènement d’une nouvelle forme de démocratie, assortie d’une nouvelle façon de voir la liberté et l’alternance politique ? Du train où vont les choses, il est possible que dans un avenir pas trop lointain le tout-américain ou le tout-occidental soit remplacé par un tout russo-chinois et, ce, avec tout ce que cela comporte comme implication sur les sphères politique, économique, financier, social et technologique. On ne voit pas comment ceux qui bénéficient des largesses chinoises pourront faire la grise mine quand viendra le moment de s’aligner sur la vision chinoise du monde, en adoptant par exemple le Yuan comme monnaie de refuge ou de réserve et en révisant de fond en comble leur système politique et financier. Le capitalisme occidental a fait son œuvre et son temps pour avoir généré une masse non-dénombrable d’exclus et de pauvres dans le monde et fomenté une concentration exagérée de richesses entre les mains d’une infirme minorité de privilégiés. Ce système a déjà contre lui le désir de mieux-être de plusieurs milliards d’occidentaux victimes et laissés pour compte de ce capitaliste inhumain. N’étant plus en mesure de mener la bataille d’idées dans les meilleures tribunes du monde, il sera quasiment impossible aux meneurs de l’occident de contrer la campagne de charme de ces Chinois entreprenants et stratèges ? Même les chantages et les menaces d’invasions armées n’y pourront rien. La chine et la Russie auront déjà les moyens de leur vision, de leur politique, ainsi que de leurs ambitions géopolitiques, économiques, financières et diplomatiques.
Comprendre tout ce grand jeu c’est déjà se positionner pour pouvoir le jouer et en tirer sa part de gain. Il est même opportun de se demander perplexe : « et, Haïti dans tout cela ? ». De ces relations ‘étroites’ avec les USA, Haïti n’a soutiré que des occupations militaires, la destruction de son cheptel porcin, la décapitalisation de sa classe paysanne, trois (3) années d’embargo économique, le truquage de ses élections, une instabilité politique récurrente et une pauvreté sans pareille. Pour les Clinton, Obama, Trump et Consorts, Haïti a toujours été un ‘shithole country’. Ni plus, ni moins ! Pourtant, à son détriment, cette même Haïti est restée fidèle à son grand voisin qui a toujours bousillé tous les avantages que d’autres pays lui ont offerts. Le dernier en date est l’accord PetroCaribe signé avec la République Bolivarienne du Venezuela, lequel la plaçait dans une dynamique de pays producteur de pétrole, étant donné que plus elle consommait ce produit plus elle générait des ressources financières qui pouvaient être investies au profit de sa population. Obama, dans son règlement de compte avec la Russie, le Venezuela et l’Iran, a choisi de puiser dans les réserves stratégiques américaines pour augmenter considérablement l’offre mondiale de pétrole et, ainsi, faire chuter drastiquement le prix. Cette chute, provoquée délibérément avec l’appui de l’Arabie Saoudite, n’a pas seulement crevé les budgets des pays susmentionnés, mais elle a aussi malmené sérieusement les finances publiques haïtiennes. Par contre, les Chinois, en tant que grand importateur de pétrole, en ont allégrement profité et c’était pour eux du pain béni venu du ciel.
Comme si ce n’était pas assez pour plonger Haïti et les autres signataires de l’accord PetroCaribe dans la déprime, Obama et Trump ont tour à tour financé les troubles sociaux au Venezuela et isolé financièrement ce pays du reste du monde ; forçant ainsi l’Etat haïtien à s’approvisionner sur le marché spot, là où la spéculation sur ce produit stratégique fait rage. Haïti n’a pas seulement perdu son revenu pétro-caribéen, elle s’est vue aussi obligée d’acheter à prix d’or ses cargaisons pour les revendre à prix subventionné, à cause de la paupérisation insupportable de sa population. La démarche d’Obama et de Trump a contribué à enrichir les Chinois qui, à leur tour, y voient une opportunité pour tirer profit de la frustration générée dans la région. Alors, au nom de quelle amitié, de quelle solidarité, de quelle humanité, de quelle doctrine, de quels antécédents positifs Haïti se sentirait forcée d’accepter de subir les conséquences des mauvaises politiques américaines ?
Il faut comprendre et applaudir l’opportunisme des dominicains pour avoir bien accueilli l’offre faite à eux par les chinois ; oui, cette même offre que des dirigeants haïtiens n’ont pas eu la vista de saisir depuis l’année 2015, justement pour ne pas déplaire aux américains et aux institutions financières multilatérales. Ces dirigeants étaient-ils conscients qu’en agissant de la sorte, ils ont mis le pays du mauvais côté de l’histoire et se positionner pour continuer à être la victime pathétique de la vision sans lendemain d’Obama, des Clinton et de Trump ? N’ayant pas pu bénéficier grand-chose des périodes d’opulence américaine, mais voilà qu’Haïti se croit obligée de supporter les dommages collatéraux résultant du choc frontal des USA avec la Russie et la Chine. « Nou pat manje pwa, poukisa nou asepte bay la pire ? » Les Etats-Unis n’ont jamais été un pays ami d’Haïti, bien que nous les ayons aidés à conquérir leur indépendance. Nous en voulons pour illustration une simple comparaison du comportement de ce pays avec celui des vénézuéliens à notre égard. La coopération avec les américains n’a fait qu’enrichir les ONG et nous enfoncer dans la misère, tandis que quatre années de coopération active avec les Bolivariens ont pu générer plus de 4 milliards de dollars de prêts concessionnels. N’eut été la kleptomanie de Préval et de Martelly, Haïti ferait un pas significatif avec ces ressources financières …
De nos jours, Haïti doit résolument défendre ses intérêts aux côtés de ceux qui souhaitent l’aider à sortir du marasme et de la pauvreté. Il n’y a plus rien à défendre en jouant le jeu des Américains. Je persiste et signe : oui, absolument rien ! Et qu’on cesse d’évoquer les lois Help et Hope qui n’ont généré que des emplois précaires et qui participent uniquement à l’entretien de la pauvreté. Ce ne sont pas vraiment de réels avantages et il n’y a pas lieu d’avoir peur de les perdre. Les besoins du pays sont incommensurables et ce ne sont pas les actes de charité et des industries de sous-traitance qui vont les satisfaire. Haïti est à la recherche d’investissements étrangers durables et des prêts substantiels pour construire ses infrastructures de développement et mettre sur pied un secteur privé véritablement national, en recapitalisant sa classe moyenne pour la rendre apte créer de nouvelles entreprises capables de créer des emplois pour sa population. Si les Chinois nous offrent cette possibilité, dans des conditions acceptables, les dirigeants haïtiens n’ont qu’à dire : « Shi,… DuÕ Xiĕ » (Oui,… Merci beaucoup !).
* Economiste, spécialiste en administration publique
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