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Haïti/Pnh : L’arrêté du 28 mai 2018 relève du pur « amateurisme », selon un expert en sécurité

P-au-P, 1er juin 2018 [AlterPresse] --- Rodolphe Mathurin, un ancien haut cadre de la sécurité publique, qualifie de « mauvais coup », l’arrêté présidentiel du 28 mai 2018, prévoyant que toutes décisions, jugées importantes, du directeur général de la Police nationale d’Haïti (Pnh), devront dorénavant être validées par le Conseil supérieur de la Police nationale (Cspn).

C’est là « un coup d’enfant » qui traduit « le niveau d’amateurisme qui existe au niveau de ce gouvernement », estime le spécialiste, qui a 20 ans d’expérience dans l’administration de la sécurité publique.

« Cet arrêté n’était pas nécessaire », soutient-il à l’émission TiChèzBa, prévue pour être diffusée les samedi 2 et dimanche 3 mai 2018 sur la station AlterRadio 106.1 FM et en ligne (samedi : 7:00 am, 3:00 pm ; dimanche : 7:00 am, 1:00 pm, 5:00 pm).

L’arrêté en question concerne les nominations et transferts au niveau de la direction centrale et des directions départementales de la police, la formation et le renforcement de l’effectif de police.

L’arrêté mentionne aussi les mesures disciplinaires ainsi que les dispositions relatives aux questions de carrière et de rémunération au sein de la Pnh.

Sans s’arrêter à la question de la hiérarchie des normes, qui place la loi du 28 décembre 1994 créant la police au-dessus de tout arrêté, il estime que la dernière disposition de l’exécutif « exprime un problème ».

La loi stipule, en substance, que le Cspn est une instance d’orientation stratégique, qui n’est pas dans l’opérationnel.

La publication de cet arrêté serait le signe d’un certain malaise au niveau des autorités gouvernementales, percevant qu’elles n’auraient aucune autorité sur la police.

« Il ne faut pas laisser l’amateurisme des uns nous porter à nier la nécessité du protocole d’État »

Rodolphe Mathurin admet, toutefois, que c’est « normal » que les autorités centrales donnent leurs avis sur les grandes décisions prises au niveau de la police.

Il faut que les autorités de l’exécutif sachent qui est en charge de la sécurité, à travers les différentes directions départementales et autres de la police, ou des commissariats clés du pays. « Il n’y a pas de débat là-dessus », affirme-t-il.

Mieux, l’exécutif peut même avoir une avance de renseignements et d’informations qui l’amène à produire des réserves sur une nomination que compte effectuer le directeur de la police, souligne l’ancien haut fonctionnaire.

« Il ne faut pas laisser l’amateurisme des uns nous porter à nier la nécessité du protocole d’État ou la valeur de la parole de l’autorité centrale », dit-il.

En plus de l’amateurisme, Rodolphe Mathurin évoque deux autres hypothèses. La première : ¨le président serait induit en erreur, ce qui relèverait d’un complot contre le chef de l’État¨.

L’autre possibilité : ¨la décision de publier l’arrêté du 28 mai serait une diversion pour détourner l’attention de certains dossiers brûlants, comme l’affaire Petro-Caribe¨.

De toute façon, cette décision aura des conséquences regrettables pour la police, une institution qui représente un acquis au niveau opérationnel, craint l’expert en sécurité publique.

« Sécuriser la police »

Mathurin invite les responsables à faire preuve de « bon sens », par rapport à l’intérêt public, et à « sécuriser la police », ce qui sous-entend qu’il ne faut pas tenter de la mêler à des jeux politiques.

Il enjoint les policiers à respecter leur « code d’éthique », la loi sur la police et leur « code d’honneur » et à se contenter de faire leur travail de policier, sans entrer dans des affaires politiques.

« Introduire à nouveau la police dans la politique, c’est le plus grand mal qu’on pourrait faire au pays », met-il en garde, estimant que « la police doit demeurer un corps uni, sous le commandement du directeur général ».

La plus grande crise ayant secoué la police remonte au début des années 2000, sous l’administration du président Jean-Bertrand Aristide, critiqué pour avoir politisé, à l’époque, la police, alors qu’il était confronté à une crise politique majeure.

Pour sortir de l’imbroglio, créé par la publication de l’arrêté présidentiel du 28 mai 2018, l’exécutif devrait faire des gestes, qui montrent une certaine unité au sein du Cspn et un climat de confiance entre le commandement de la police et l’exécutif.

« Le premier ministre a la responsabilité de faire la preuve qu’il est à la hauteur de cette demande historique. Que cet arrêté reste un arrêté mort-né ! », souhaite en définitive Rodolphe Mathurin. [gp vs apr 1er/06/2018 18:00]