Par Roody Edmé*
L’œuvre de Maurice Sixto est souvent largement diffusée sur les ondes de nos stations de radio et des personnages comme Léa Kokoye ou Dérilus sont devenus mythiques. Celui qu’on a appelé le « prince de l’ oraliture » est à travers ses œuvres présent dans l’ imaginaire haïtien et s’ est installé depuis des années déjà au plus haut sommet de ce genre populaire très prisé chez nous : la lodyans.
C’est ce géant de notre littérature orale qu’a choisi de nous présenter le cinéaste Arnold Anthonin. Et l’on découvre, à travers sa camera intelligente et avisée, la richesse et la diversité d’une œuvre littéraire haïtienne qui a touché tous les milieux. Les commentaires du linguiste qui s’est livré à une fine analyse de l’art du récit et du genre de la lodyans apportent aux spectateurs des informations scientifiques de première main sur une production littéraire qui mérite d’être largement étudiée dans nos écoles et universités.
Le cinéaste a donné la parole a des écrivains comme Emelie Prophète, Koralen et, l’inoubliable Claude Pierre, qui se sont largement étendus sur leur écoute de ces pièces uniques de notre oraliture. Ceux qui iront voir le film auront la possibilité de s’enrichir intellectuellement du regard croisé de différents spécialistes de la littérature. Mais aussi et surtout de gouter aux émouvants témoignages d’intellectuels et d’amis proches de Maurice Sixto comme le Docteur Michel Péan et sa femme, la metteur en scène connue, Paula Clermont Péan . Tous ont évoqué la générosité, le talent d’un homme de grande culture, voyageur impénitent qui de l’Afrique a l’Amérique a trainé son mal du pays. Un pays qu’il a choisi de raconter pour rester au plus près de son peuple dont il s’est fait à la fois le porte-parole mais aussi un grand témoin de sa vie quotidienne.
On trouve dans l’œuvre orale de Sixto, cet humour haïtien qui résonne comme un défi aux malheurs du monde. Un art de vivre unique, celui d’un peuple qui est passé dans le tamis d’une histoire traumatique et qui inlassablement se rebelle contre sa condition indigente. Une culture qui s’expose dans toute sa créativité, dans la bonne humeur et le rire qui dénonce, revendique et corrige.
Si l’œuvre de Sixto intéresse nos linguistes, un jeune étudiant présent dans le film en a fait d’ ailleurs un excellent mémoire de sortie, il est aussi un incontournable objet d’étude pour nos sociologues. Les scènes de la vie publique et domestique qui y sont exposées constituent des morceaux choisis d’une réalité aux multiples facettes que nous gagnerons à mieux connaitre si nous voulons doter ce pays d’une gouvernance moderne et rationnelle.
Le Docteur Michel Péan relève avec justesse comment le récit de Sixto se joue des distances et qu’au plus fort de son éloignement géographique, l’auteur a vécu pleinement son pays en s’installant derrière son micro, en mettant sur bande magnétique : la mémoire vivante et par moment bouleversante des choses et gens entendus.
Gertrude Séjour de la fondation Maurice Sixto, Marie Thérèse Torchon, la veuve Sixto, ont jeté quelques lumières sur la vie privé de ce brillant causeur et de cet homme qui fut aux dires de sa femme un excellent compagnon de route. L’écriture cinématographique d’ Anthonin a voulu mettre en exergue comment un auteur devenu aveugle a développé un rapport incroyablement visuel avec son pays. Il a perdu ses yeux mais a magnifiquement conquis la lumière.
Le cinéaste qui excelle dans la docu-fiction a su camper le personnage de Sixto en pointillés, à travers le comédien Reginald Lubin. Une présence à la fois dramatique et discrète, comme si l’ombre puissante et bienfaisante du célèbre créateur planait sur tout le tournage. Conversations à bâtons rompus, scènes de ballet reprenant des aspects de l’œuvre du grand maitre, des images du fleuve Congo et de la maison des Sixto en Afrique. Autant d’éléments constitutifs d’ un documentaire qui vient renforcer notre patrimoine cinématographique et enrichir la collection des documentaires du cinéaste Arnold Anthonin.
Un témoignage plein de verve et de souvenirs, un bel hommage au plus grand de nos griots.
*Enseignant, éditorialiste