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Education au patrimoine, population et développement durable en Haïti

Par Jean-Rony Émile*

Soumis à AlterPresse

Comment peut-on se servir du patrimoine pour mobiliser les citoyens au profit du développement durable ? La notion de développement durable est à la mode au sein des sociétés modernes. Elle constitue un paramètre central au rang de tout projet d’avenir au sein des sociétés par rapport aux différents risques qui planent sur l’environnement. Au centre de la préoccupation planétaire, il y a toute une pléthore d’approches théoriques qui s’émergent en vue de trouver les alternatives pouvant aider à poser des actions durables à tous les échelons.

Bien que cette notion reste aussi floue que controversée par rapport aux enjeux de croissance économique, il faut toutefois reconnaître que la prise en compte de ses valeurs pourrait participer à réduire certains dégâts environnementaux. Au même titre que le développement durable, la patrimonialisation des biens et l’appropriation des patrimoines du monde entier participent énormément à sauvegarder les acquis des générations présentes dans une perspective de conservation de la mémoire collective. En fait, l’idée de préservation, de conservation et de sauvegarde traverse aussi bien la problématique du patrimoine et celle du développement durable, toutefois, il y a lieu de constater un relâchement des valeurs du développement durable par rapport à celles du patrimoine qui est souvent mis en avant par les États de certains pays dans une perspective d’attraction touristique. Dans cette perspective, comment peut-on procéder pour permettre aux valeurs du développement durable de bénéficier d’une large appropriation dans un souci de sauvegarde de l’environnement comme espace vital de bien commun ? Comment peut-on servir du patrimoine pour mobiliser les citoyens au profit du développement durable ? Comment peut-on construire une communauté de citoyens-responsables au regard de l’environnement ?

Depuis le rapport de Brundtland (1988), La notion de développement du durable connaît un succès fulgurant en terme d’intérêt que les chercheurs manifestent par rapport aux différents enjeux mondiaux. Ces enjeux d’ordre environnemental, socioculturel et économique contribuent à créer un terrain de tension où les approches théoriques abondent perpétuellement, donnant ainsi lieu à une diffusion scientifique riche. Pourtant, il y a un doute entier qui plane sur la vulgarisation des valeurs du développement durable dans les pays en voie de développement. Contrairement à ce cas de figure, la problématique de la préservation et de conservation du patrimoine gagne du terrain au sein de ces pays.

En Haïti, les responsables ne restent pas indifférents face à cette ambition de reconstruire et de reconstituer des pratiques qui se révèlent des marqueurs de notre identité de peuple. Mis à part du Bureau National d’Ethnologie qui a pris naissance dans une logique d’opposer un espace de résistance par rapport à la dévalorisation de certaines pratiques de la société haïtienne, d’autres projets de mise en valeur sont mis sur pied en vue de s’approprier des pratiques traditionnelles, des art, de la musiques et des arts culinaires.

Le décret du 28 mars 1979 créant l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) se révèle une initiative qui se consacre à dresser l’inventaire et le classement des éléments concrets (patrimoine matériel) du patrimoine national, question de valoriser les patrimoines bâtis en Haïti. Dans cette même veine, le projet de l’Inventaire du Patrimoine culturel Immatériel Haïtien (IPIMH) constitue l’une des grandes initiatives qui participe dans la mise en branle de la problématique du patrimoine en Haïti.

Plus que jamais, les démarches visant à mettre en valeur ces pratiques de longues dates s’offrent comme un véritable phénomène en Haïti. Les nombreuses pratiques recensées à travers les traditionnelles Universités d’été sur la valorisation du patrimoine culturel immatériel haïtien expriment la volonté des responsables académiques de propulser au grand public la richesse du patrimoine culturel immatériel haïtien.

En effet, depuis l’entrée en vigueur de la convention de l’UNESCO de 2003 sur le Patrimoine Culturel Immatériel qui tend à valoriser d’autres aspects du patrimoine, il y a un engouement manifesté à tous les échelons au sein de la société haïtienne de mettre en valeur tout ce qui a constitué le vécu de notre société. L’épanouissement de ce nouveau champ d’étude qui, représente un véritable vecteur dans la construction identitaire permet de voir l’intérêt de tous les pays de faire valoir leur patrimoine comme une nouvelle arme pour instaurer un processus de changement et d’engament citoyen.

En fait, jusqu’à présent, beaucoup d’initiatives encouragent la valorisation, la préservation et la conservation de notre patrimoine de peuple bien qu’il y a une amnésie de la mémoire qui s’installe progressivement au sein de la société haïtien. Qu’en est-il des valeurs du développement durable axé sur la jouissance responsable de l’environnement afin d’éviter de compromettre l’avenir des générations futures ?

Malgré le pullulement des conventions dont l’Agena 21 (Rio,1992), les engagements du millénaire (2000), le sommet de Johannesburg (2002 ) sur le développement durable, les COP sur le changement climatique et notamment les implications des autorités haïtiennes dans la ratification des conventions internationales sur la protection de l’environnement, cela n’empêche de constater l’évolution du phénomène du déboisement et de la destruction des écosystèmes comme un phénomène en pleine progression dans le milieu Haïti.

Ce phénomène prend une ampleur grandissante depuis ces dernières décennies dans le milieu rural haïtien. Plus d’un s’inquiètent de la marche de ce phénomène qui nous conduit tout droit vers l’effondrement selon l’approche de Jared Diamond sur la problématique environnementale en Haïti. Devant une telle menace, une prise de conscience collective de la part de tous les acteurs locaux s’avère importante en vue d’apporter de meilleures réponses à ces problèmes. La vulgarisation des valeurs du développement durable s’avère aussi importante pour pérenniser des bonnes pratiques pouvant participer à réduire les risques environnementaux. Sur cette base, les institutions sociales et religieuses restent des espaces privilégiés que les autorités locales devraient mettre à contribution en vue de mettre en branle des actions pouvant éveiller la conscience des citoyens. Dans cette perspective, la valorisation et la promotion des patrimoines locaux au sein des communautés paraît une alternative pouvant impliquer les gens à participer au respect de leur environnement. De ce fait, faire appel au volet de l’éducation pour tous et à la responsabilité face à l’environnement paraît une dimension que les autorités haïtiennes doivent prioriser pour participer à la préservation des écosystèmes et à la conservation des aires protégées comme soutiennent les tenants de l’approche environnementale. Le respect intégral de la nature passe nécessairement par l’expérience de l’éducation à l’environnement sans exception dans tous les milieux. A ce niveau, l’apport des sectes religieux et des milieux scolaires s’avère d’une importance cruciale. Car, s’il est vrai que l’histoire de la dégradation de l’environnement est liée aux mauvaises actions des êtres humains au sein de la nature, il ne fait aucun doute que les êtres humains peuvent contribuer à réduire les risques dégradation. Comment faut-il procéder pour laisser un espace vivable aux générations futures ?

Il est donc possible de laisser un héritage beaucoup vivable et plus sécuritaire pour les générations futures. Pour concrétiser un tel idéal, suivre la voie de la tolérance, du respect et la démarche éducative semblent être prioritaire pour la sauvegarde des biodiversités et la construction d’une éthique au respect des principes fondamentaux de développement durable. Il faut en ce sens, développer une coopération responsable impliquant les différentes collectivités territoriales afin de contribuer à la vulgarisation des multiples valeurs dont charrient les principales conventions sur le développement durable.
Sur cette base, il s’agit d’impliquer les populations dans une dynamique nouvelle mettant l’accent sur l’environnement et sur le patrimoine comme éléments qui peuvent ouvrir une voie vers le changement communautaire. Les démarches prioritaires passent par la formation des citoyens responsables à l’environnement au regard de la problématique de la sauvegarde des patrimoines communautaires. Il sera l’occasion de favoriser l’apprentissage des rôles socio-éducatifs aux citoyens afin de construire une communauté responsable face à l’environnement et au patrimoine comme moteur du développement durable.

Au même titre de procéder à la valorisation du patrimoine culturel immatériel, la sensibilisation pour le respect de l’environnement est aussi crucial en Haïti. Car, en raison du degré de notre vulnérabilité, associer le couple Patrimoine et développement durable apparaissent comme deux notions pouvant contribuer à la préservation et à la conservation des différentes espèces de l’écosystème. S’inscrivant dans une telle approche, de nouvelles directives devraient être mises sur pied en vue de donner un nouveau élan, à une conscientisation citoyenne, pouvant contribuer à appuyer les démarches visant à enclencher un large espace de diffusion, de transmission et de sensibilisation sur l’urgence de contribuer à protéger la planète comme espace de bien commun.

Face au phénomène de dégradation de l’environnement caractérisé par le déboisement progressif des dernières décennies en Haïti, il est plus qu’urgent de faire halte devant cette situation alarmante. Se servir des patrimoines locaux pour aboutir à la protection de l’environnement et au développement communautaire reste une option qui pourrait impliquer les citoyens à respecter leur environnement. De ce fait, l’éducation au patrimoine n’apparait-elle pas comme une mobile pouvant impliquer les acteurs dans une dynamique de changements sociaux à travers le respect pour les patrimoines locaux et l’environnement immédiat.

*Jean-Rony EMILE, Professeur à L’Université d’État d’Haïti
Anthropo-Sociologue / Expert en Patrimoine culturel /

Bibliographie

Danielle Laport, « Organisations de travail et développement durable : l’initiative des partenaires sociaux (organisations syndicales et paronales) de la Martinique », Études caribéennes [En ligne],6 | Avril 2007, mis en ligne le 16 novembre 2010, consulté le 26 novembre 2017. URL : http://etudescaribeennes.revues.org/471 ; DOI : 10.4000/etudescaribeennes.471

FORTIN Andrée, « Notes sur la dynamique communautaire » Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, n° 1, 1994, p. 23-32. URI : http://id.erudit.org/iderudit/301249ar.

Organisation des Nations Unies , Commission mondiale sur l’environnment et le developpement Our common future ,(rapport Brundtland),1987
UNESCO, Convention de 2003 sur la Sauvegarde du Patrimoine Culturel Immateriel, Paris, 2003.

Tixier M. (dir.). 2005. Communiquer sur le développement durable. Paris : éditions d’Organisation, 356 p.