Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 4 mai 2018
A l’occasion de la Semaine de la science et du progrès social, qui s’est tenue à Génipailler, Milot, du 23 au 28 avril 2018, le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn-Monde) a organisé sa 6e édition des Prix d’Excellence. Nancy Roc présente, pour AlterPresse, la 2e partie des portraits de quelques-un(e)s des lauréat(e)s, qui ont été honorés comme exemples à suivre au sein d’une société en mal de repères et de modèles de réussite.
Dans le cadre de la sixième édition des Prix d’Excellence, le Jury International de Sélection 2018 (JIS-2018) du Grahn-Monde a retenu la candidature de 18 personnes et organismes d’exception qui ont reçu un hommage public, au cours d’une cérémonie qui a eu lieu le mardi 24 avril 2018, dans le cadre de PIGraN’2018, dans la Cité du savoir, Génipailler, à Milot, dans le Nord d’Haïti. En ce début du mois de mai, qui a débuté par la Fête du Travail, le 1er mai, voici quelques-unes de ces personnalités et organismes, retenus par le Grahn comme modèles de réussite, d’intégrité et de persévérance.
Prix du Scientifique de l’année
Le Prix du Scientifique de l’année 2018 a été décerné par le Groupe de réflexion et d’action pour une nouvelle Haïti au professeur Dr. Gaël Pressoir.
Sous son allure de jeune bohème, le Dr Gaël Pressoir est un brillant généticien, phytogénéticien et biologiste végétal. Né à Port-au-Prince, il obtient son doctorat de l’École d’agronomie de Montpellier en France. Il est généticien et sélectionneur (il développe de nouvelles variétés par croisements).
De 1999 à 2003, il est assistant de recherche au sein d’une équipe de l’Institut français de recherche pour le développement (Ird), basée au Centre international d’amélioration du maïs et du blé au Mexique. De 2003 à 2007, il s’investit dans la génomique de la diversité du maïs en tant qu’associé de recherche à l’Institut de diversité génomique de l’Université Cornell aux États-Unis.
Dr. Gaël Pressoir est enseignant-chercheur à l’Université Quisqueya depuis 2011 et est actuellement Doyen de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement. Il a créé la Fondation Chibas-Haïti, un centre de recherche sur la bioénergie et l’agriculture durable dont il est le directeur exécutif et le directeur de recherche. L’objectif de cette fondation est de développer et d’acquérir les technologies nécessaires au développement du secteur agricole en Haïti. Le centre de recherche Chibas a développé des variétés de Gwo Metsiyen (jatropha) et de Pitimi dous (sorgho sucré) à usages multiples (nourriture/alimentation de bétail et énergie) pour les régions subhumides et souvent frappées par la sécheresse. Le Chibas travaille aujourd’hui sur le sorgho, le Jatropha comestible, le maïs, le haricot, l’arachide et s’apprête à démarrer des programmes de recherche sur d’autres cultures essentielles à la sécurité et souveraineté alimentaire en Haïti
Les travaux du Dr. Pressoir portent sur la création de variétés améliorées hybrides de Jatropha comestible pour le reboisement des zones sèches et la mise au point de farine pour l’alimentation animale incorporant le tourteau du Jatropha comestible. Ses travaux de recherche ont amené à la création d’une série d’hybrides à haut potentiel de rendement qui, après maintes expérimentations et vu les résultats positifs au niveau de la ferme avicole de la faculté d’agronomie et de médecine vétérinaire de l’Université d’État d’Haïti, vont bientôt pouvoir être disséminés.
Mais surtout le Dr Gael Pressoir est le père de la variété de Sorgho Papèpichon. Depuis 2015 une infestation d’un nouveau type de puceron de genre Melanaphis a durement affecté la production de sorgho en Haïti. En 2016 et 2017 le ministère de l’agriculture chiffre les pertes de 80 à 90% de la production. La variété de sorgho développé par Gael Pressoir et son équipe est en train de sauver une filière qui représente un produit de 35 à 40 millions de dollar US pour les producteurs. L’investissement dans la recherche agricole possède l’un des meilleurs taux de retour sur investissement et les travaux du Docteur Pressoir sont là pour montrer que la recherche en Haïti est indispensable pour le développement du secteur agricole.
Gael Pressoir a déjà reçu cette année le prix d’une des douze personnalités de l’année de la Promodev pour ces travaux sur le sorgho. Le prix du Grahn comme scientifique de l’année vient couronner le parcours du Professeur Pressoir et l’impact de ses travaux sur l’agriculture Haïtienne.
Dr. Pressoir est l’auteur de plus d’une trentaine de publications scientifiques dont certaines sont abondamment citées par la communauté scientifique. Ce prix lui est décerné pour marquer sa contribution exceptionnelle à la recherche scientifique en Haïti en tant que généticien, phytogénéticien et biologiste végétal. Sa jeune carrière est parsemée de succès qui augure bien pour son avenir de scientifique. À un moment où le pays fait face à un grand besoin de scientifiques pour se pencher sur ses problèmes et les résoudre, à un moment où il faut mettre la science et le savoir au service de l’amélioration du quotidien de la population, Dr. Pressoir fait figure d’exemple et de modèle à suivre par les étudiants et jeunes chercheurs qui rêvent de changer le pays et le monde par le savoir et la recherche scientifique.
Prix du Jeune Entrepreneur : Corinne Joachim Sanon Symietz
Corinne Joachim Sanon Symietz avait tout pour réussir au pays de l’oncle Sam, mais elle avait un rêve qui l’a poussée à revenir en Haïti pour le réaliser. En effet, après des années d’études couronnées de succès aux États-Unis, baccalauréat en Génie industrielle à l’Université de Michigan en 2006, Maîtrise en administration des affaires (Mba) de la prestigieuse Wharton School of Business de l’Université de Pennsylvanie en 2011, après quelques emplois bien rémunérés en Amérique, en Asie et dans les Caraïbes, elle a préféré renoncer aux avantages et à la sécurité que tout cela lui procurait pour retourner en Haïti et créer, en 2015, son entreprise Les Chocolateries Askanya sise au 75, rue Espagnole, à Ouanaminthe, dans le Nord-Est d’Haïti.
Madame Corinne Joachim Sanon Symietz voulait aller au bout de ses rêves : être, à la fois, une entrepreneure et une créatrice d’emplois pour ses compatriotes. Tout semble lui donner raison, car deux ans plus tard, Les Chocolateries Askanya compte près d’une dizaine d’emplois directs et occupe environ 5 000 paysans impliqués dans la récolte ou dans la transformation du cacao. Et, tel que prévu dans le plan d’affaires, Les Chocolateries Askanya offre un produit haut de gamme, très apprécié sur le marché national et international. C’est déjà le cas aux États-Unis où l’entreprise s’est créée une niche.
Mais l’objectif de Corinne Joachim Sanon Symietz est d’étendre encore davantage son marché. C’est que son entreprise a participé à plusieurs foires internationales, par exemple au Paraguay, à la Foire mondiale du cacao et du chocolat en France, au Salon du Chocolat de Montréal et de Paris en octobre et novembre 2017. Son chocolat a été classé parmi les 50 meilleurs échantillons dans le cadre du Programme « Cocoa of Excellence » en août 2017. Ainsi, grâce aux Chocolateries Askanya, il est désormais permis de parler de chocolat « Made in Haïti ».
Malgré la diversité et la forte concurrence existant dans le secteur, Les Chocolateries Askanya ont pu percer le marché extérieur et atteindre un chiffre d’affaires de 250 000 $US en peu de temps. Cela démontre la qualité de la production, du marketing et de la gestion de cette jeune entrepreneure.
Bien que préoccupée par son entreprise, Corinne Joachim Sanon Symietz trouve le temps de s’intéresser à la relève entrepreneuriale. En effet, elle cherche à développer une nouvelle génération d’entrepreneurs haïtiens en consacrant du temps à l’encadrement d’élèves du secondaire.
Bref, goût du risque, vision, compétence, ingéniosité, générosité, dynamisme, détermination, voilà quelques caractéristiques de Madame Joachim Sanon Symietz a démontré son leadership et est devenue une femme d’affaires remarquable.
Prix Groupe Jean Vorbe du Sportif féminin
Pour l’année 2018, l’honneur de recevoir le Prix Groupe Jean Vorbe du Sportif féminin revient à La sélection nationale féminine de football U20.
La sélection nationale féminine est composée d’une trentaine de jeunes filles nées en 1999 et 2000 :
Rentrées à l’Académie Camp Nou en 2013, elles participent au championnat national de première division (D1). En 2014, ces jeunes joueuses sortent vice-championnes du tournoi Caraïbe des nations à la finale face à l’Équipe du Canada.
En 2016, elles sont championnes de la Caraïbe mais ratent la qualification pour la Coupe du monde des moins de 17 ans (U17), encore une fois face à l’Équipe du Canada. En 2018, elles deviennent les héroïnes de Couva (Trinidad and Tobago) en battant le le Canada (1-0) lors du match pour la 3ème place du championnat féminin U-20 de la Concacaf.
La sélection féminine haïtienne U-20 obtient donc une qualification pour la Coupe du monde féminine U-20 de la FIFA. Haïti représentera la CONCACAF en France du 5 au 24 août 2018 en compagnie du Mexique et des États-Unis. Ces footballeuses de talent ont donc su se faire valoir pour être choisies en équipe nationale U15 - U17 - U20.
Le succès de cette sélection nationale féminine U20 est le résultat des efforts du Centre de Formation de la Fédération Haïtienne de Football (Fhf), lequel fut ouvert en 2010 dans la foulée des dispositions arrêtées en vue d’imprimer un élan supplémentaire au football, suite au séisme de 2010. La sélection nationale féminine des moins de 20 ans, conduite par le sélectionneur Marc Collat, a réussi pour la première fois à se qualifier pour une phase finale d’une Coupe du monde féminine. L’impact des réalisations de l’équipe nationale féminine U-20 représente, entre autres, un grand moment de communion et de fierté nationale ; une grande mobilisation nationale pour supporter la présence d’Haïti dans un événement mondial ; une grande motivation créée chez les plus jeunes pour la pratique sportive en général et le football en particulier et une mise en valeur des efforts consentis par les parents qui encouragent leurs enfants à faire du sport.
Prix Groupe Jean Vorbe du Sportif masculin
Pour l’année 2018, l’honneur de recevoir le Prix Groupe Jean Vorbe du Sportif masculin revient à Monsieur Jean Reynold Joseph.
Né le 25 octobre 1985, il accepte, 22 ans plus tard, l’invitation d’un ami à participer à un entraînement de karaté. Dès lors, débute, pour lui, une grande histoire d’amour avec cet art martial qu’est le kyokushinkai, qui signifie en japonais « école de la vérité ultime ». Contrairement aux autres styles de karaté, le kyokushin ou le Kyokushin est un karaté de full-contact, qui met l’accent sur l’efficacité en combat réel et n’autorise en général pas de port de protection lors des combats. Autrement dit, la prise de risque est énorme.
Depuis l’obtention de sa ceinture noire en 2008, Jean Reynold Joseph n’a cessé de progresser et de collectionner les titres et les victoires. Déjà détenteur d’un palmarès à faire pâlir bien des sportifs avec six titres de champion national et deux titres de vice-champion national d’Haïti, « Rey le trancheur », comme on le surnomme, a apporté à son impressionnant tableau de chasse la médaille d’or aux championnats du monde au Japon en 2016 et en Italie en 2017.
Que d’efforts, de sueur, d’entraînements, d’abnégation, de frustrations parfois, pour devenir champion du monde et porter les couleurs d’Haïti à un tel niveau ! C’est au prix de beaucoup de sacrifices et de blessures qu’il est arrivé à ces résultats. Il a eu la jambe cassée deux fois en six mois, et toutes sortes de blessures après chaque combat. Mais il est un combattant persévérant qui souhaite gagner pour Haïti le titre olympique en 2020.
En tant qu’instructeur, il s’investit beaucoup dans la formation des jeunes depuis 2008, dans des dojos d’amis. En janvier 2013, il a créé son propre club, le Mas Reyama Kyokushin Dojo, où il accueille une quarantaine de jeunes. Les élèves de cet instructeur participent depuis 2010 aux compétitions nationales, obtenant les trois premières places pour leurs catégories. Deux de ses athlètes ont participé à des compétitions internationales, obtenant la distinction de vice-champion dans leurs catégories respectives.
Jean Reynold Joseph est un combattant exceptionnel et un grand ambassadeur d’Haïti dans sa discipline. En tant qu’instructeur il rêve de mettre en place une fondation de kyokushinkai pour lui permettre d’initier et de former un plus grand nombre de jeunes à travers le pays en leur inculquant sa passion pour cet art martial.
Toutes nos félicitations à ces modèles exemplaires, Lauréats des Prix d’Excellence 2018 de Grahn-Monde !
Crédits photos lauréats : Nancy Roc
Photo Corinne Joachim Sanon Symietz ; collection privée de Mme Sanon Symietz
Photo chocolat : Chocolaterie Askanya
Photo sorgho : Le Nouvelliste