Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 2 mai 2018
A l’occasion de la Semaine de la science et du progrès social, qui s’est tenue à Génipailler, Milot, du 23 au 28 avril 2018, le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn-Monde) a organisé la 6e édition des prix d’excellence. Zoom sur quelques-un(e)s des lauréat(e)s au sein d’une société en mal de repères et de modèles de réussite.
Depuis le séisme de 2010, le Grahn cherche à renforcer en Haïti une culture d’excellence dans toutes les sphères d’activités, en mettant l’accent sur la réussite collective et le souci du bien commun. Selon le Grahn, « l’excellence correspond à cet idéal que doit poursuivre toute société désireuse de progrès et de bien-être, à cette nécessité de viser toujours plus haut pour éviter la stagnation, les dérives et la descente aux enfers ». Dans une société corrompue en pleine déliquescence et où les jeunes fuient le pays en quête d’un avenir meilleur, la démarche du Grahn s’inscrit dans une quête de progrès social par la valorisation et la stimulation des personnes qui incarnent le goût du travail bien fait, la persévérance dans la quête d’un monde meilleur, le dépassement de soi et le sens de l’éthique.
Dans le cadre de la sixième édition de ce programme, le Jury International de Sélection 2018 (JIS-2018) a retenu la candidature de 18 personnes et organismes d’exception qui ont reçu un hommage public, au cours d’une cérémonie qui a eu lieu le mardi 24 avril 2018, dans le cadre de PIGraN’2018, dans la Cité du savoir, Génipailler, à Milot, dans le Nord d’Haïti. En ce début du mois de mai, qui a débuté par la Fête du Travail, le 1er mai, voici quelques-unes de ces personnalités et organismes, retenus par le Grahn comme modèles de réussite, d’intégrité et de persévérance.
Prix du Leadership 2018 : Maryse Pénette-Kedar
Le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn-Monde) a décerné, pour l’année 2018, le Prix du Leadership à Madame Maryse Pénette-Kédar. L’objectif principal de ce prix est de reconnaître la capacité d’une personne à mobiliser son environnement et à le guider dans la réalisation d’un projet personnel ou collectif, profitable à la société, en mettant en relief l’importance d’un bon leadership ou d’une bonne gouvernance dans une organisation, une localité ou une région. C’est donc là une façon d’amener les citoyennes et les citoyens haïtiens à apprécier l’excellence de façon générale et la réussite de leurs compatriotes en particulier. Pour l’année 2018, l’honneur de recevoir le Prix du Leadership revient à Madame Maryse Pénette-Kedar.
Maryse Pénette-Kedar a grandi à Port-au-Prince. Elle est membre fondatrice et présidente de la Fondation Progrès et Développement (ProDev). Cette fondation, à but non lucratif, a pour mission de promouvoir une éducation de qualité dans les quartiers défavorisés et le développement de l’autonomie des jeunes Haïtiens afin qu’ils prennent en main leur avenir.
Le parcours académique de Maryse Pénette-Kedar l’a menée jusqu’au 3e cycle. En 1985, elle rejoint l’ambassade d’Haïti en Belgique à titre de ministre conseiller/chargée d’affaires. La passion de servir son pays l’encourage à négocier et à obtenir, en décembre 1989, l’entrée d’Haïti dans la Convention de Lomé IV, un partenariat d’exception entre la Commuhnauté economique européenne/ Cee (devenue Union européenne / Ue) et 70 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (dits pays Acp). En reconnaissance de son accomplissement, elle est nommée ambassadrice d’Haïti auprès du Benelux à Bruxelles, en 1990.
Après un retour dans le secteur privé en Haïti de 1991 à 1995, elle réintègre les affaires publiques. De 1995 à 2000, elle est secrétaire d’État au Tourisme et met en place le 1er Plan directeur du Tourisme. Depuis 2000, Maryse Pénette-Kedar est consultante senior auprès de Royal Caribbean International, une compagnie maritime américano-norvégienne spécialisée dans les croisières. Elle est également présidente de la Société Labadie Nord (Solano), entreprise chargée de gérer l’escale de croisière de « Labadee » pour cette même société, au Cap-Haïtien. C’est dans ce cadre qu’elle a négocié le partenariat public/privé qui unit l’État haïtien et le Royal Caribbean International pour la construction du quai de Labadie pouvant accueillir, depuis 2009, les plus grands bateaux du monde.
Durant toute sa carrière, Maryse Pénette-Kedar a travaillé au renforcement des structures économiques, sociales et politiques d’Haïti. Elle a présidé l’Association des Industries d’Haïti de 2005 à 2007. Elle est membre de la Chambre de commerce américaine en Haïti (Amcham) et de l’Association Touristique d’Haïti. Elle est également active dans plusieurs organisations non-gouvernementales, notamment comme membre fondateur de la Fondation haïtienne contre les maladies endémiques (Fhame) et membre fondateur et co-présidente du Centre Haïtien du Leadership et de l’Excellence (Chle), qui promeut une Haïti inclusive, autonome et prospère.
En 2010, l’engagement de Maryse-Pénette Kédar pour son pays prend un tournant déterminant à la suite du terrible séisme de 2010 qui a ravagé Haïti. Elle devient présidente de la Fondation Progrès et Développement (ProDev) qu’elle a créé en 1995 - avec son père, l’éducateur chevronné Max Pénette – et qu’elle gère avec transparence et efficacité. Au printemps 2010, la ProDev aide plus d’une dizaine d’écoles primaires et de jardins d’enfants de Port-au-Prince à se relever de la catastrophe et à se restructurer. Aujourd’hui, le réseau de ProDev s’étend de Port-au-Prince au Nord d’Haïti, en passant par le plus grand bidonville d’Haïti, Cité Soleil, la Grande-Anse et le Grand Sud, touchant plus de 54,000 élèves à travers Haïti.
Prix de l’Action citoyenne : docteur Kyss Jean-Mary
Le Prix de l’Action citoyenne a été remis par le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn-Monde) au docteur Kyss Jean-Mary. Le but principal de ce prix est de reconnaître et de rendre hommage à une personne (homme, femme ou enfant) qui, en tant que citoyen(ne), a eu un comportement exemplaire en posant un ou plusieurs actes qui ont aidé à améliorer les conditions de vie dans une (ou des) communauté(s) d’Haïti, ou qui s’est illustré(e) dans la défense du bien commun et l’accomplissement du devoir citoyen.
Le Dr. Jean-Mary, né le 18 juilet 1943 à Hinche, dans le Plateau Central, y fait ses études primaires et une partie de ses études secondaires, qu’il achèvera à Pétion-Ville. En 1969, il obtient son diplôme de médecin à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’État d’Haïti (Ueh). En 1976 et 1978, il obtient ses diplômes de Spécialiste en chirurgie et en obstétrique gynécologique de l’État de New-York. A son retour en Haïti, en1980, il se consacre à la pratique privée de la médecine et, parallèlement, enseigne jusqu’en 1995 comme professeur à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’UEH et est médecin à l’Hôpital Général. Très apprécié par ses patients, ces derniers ont toujours été sa boussole.
De 1995 à 2009, il accepte de diriger la Faculté des Sciences de la Santé de l’Université Quisqueya. Il a contribué, durant son passage à ce poste de dirigeant, à faire de cette dernière l’une des plus importantes facultés de médecine du pays. Il a aussi aidé à résoudre, à l’Hôpital de l’Ueh, l’épineux problème de résidence des étudiants des facultés de médecine privées. Depuis 2014, Dr. Jean-Mary est à la tête du rectorat de l’Université Publique du Centre à Hinche, où il a pu développer un climat d’entente et de collégialité indispensable à la mise en place d’une bonne gouvernance universitaire. Son grand souci du service public s’est une fois de plus manifesté avec sa décision de mettre à la disposition des étudiants de la Faculté des Sciences de l’Agriculture une partie de ses terres pour la réalisation de leur stage pratique.
La vie publique du docteur Jean-Mary a été aussi marquée par son passage actif à la tête de la Fédération Haïtienne de Football, de 1994 à 1998. Il a été membre du Rotary Club de Port-au-Prince et de la Chambre de Commerce de Hinche, dont il fut président.
Agriculteur de l’année 2018 : Pierre Jackson Bonne-Année
L’objectif principal de ce prix est de récompenser et de rendre hommage à un agriculteur ou une agricultrice talentueux qui excelle dans les pratiques des cultures et/ou de l’élevage du bétail.
Né à Charlette, une communauté de la ville de Torbeck, Pierre Jackson Bonne-Annee termine ses études primaires à l’école de l’église méthodiste et ses études secondaires aux lycées Rivière Herard de Torbeck et Philippe Guerrier des Cayes. Il poursuit ensuite ses études universitaires à l’American University of the Caribbean, aux Cayes, où il obtient un diplôme en sciences de l’agriculture et de l’environnement. Durant ses études universitaires, il offre volontairement ses services à son église, dirigeant des groupes de jeunes, ainsi qu’à diverses organisations telles que World Concern, Catholic Relief Services. Il parcoure le Sud en aidant à la mise en place de projets de reboisement à Chardonnières, Tiburon et Les Anglais. Jackson gère actuellement une grande ferme de plantations de bananes, de citrons et de pois et met en place des semences qui seront distribués aux agriculteurs locaux.
En 2012, il investit son temps dans la préservation du Piman Bouk, seulement connu en Haïti, en créant une pépinière pour cultiver ce piment haïtien et aider à maintenir son caractère unique. En 2014, il prend la direction de la ferme Prosper à Charlette où il installe une plantation d’arbres fruitiers sur un hectare afin de préserver tous les arbres fruitiers haïtiens qui étaient en voie des disparition en Haïti (corossol, goyave, cerise, abricot, cayemite, jaune d’œuf, etc ). Sur les 1000 arbres plantés, il obtient un taux de réussite de 82 pour cent.
En 2015, il rejoint la Fondation EDEM et, grâce à un partenariat avec la Fondation Kellogg, crée la première ferme officielle à l’Ile-à-Vache. La ferme est devenue le fleuron de la communauté locale où des agriculteurs participent à toutes formes de formation et des étudiants en agriculture viennent de la ville des Cayes pour des stages. La ferme inonde le marché local d’aubergines, de poivrons verts, de piments, de carottes et de bananes plantains.
En 2016, alors que tout le monde se décourage suite au passage destructif de l’ouragan Matthew dans le Sud, Jackson retrousse ses manches et profite des espaces vides laissés par Matthew à Charlette pour lancer une importante plantation de bananes et de citrons. Aujourd’hui ces plantations sont le joyau de la communauté de Charlette et sont devenues une source de semences.
Les efforts de Jackson peuvent maintenant être admirés à l’Île-à-Vache et à Torbeck. Ils sont devenus des modèles pour d’autres fermiers et une source d’inspiration pour les jeunes dans sa communauté. Les agriculteurs réalisant le potentiel de leurs terres, se sont associés à la Fondation EDEM pour aider à l’installation de trois grandes bananeraies, selon le modèle de Jackson. Ce dernier est l’un des rares agronomes à utiliser le vétiver pour expérimenter l’agriculture de conservation, une méthode dans laquelle les déchets agricoles sont utilisés pour garder le sol humide et le protéger contre la croissance de l’herbe. Il a également utilisé un système d’irrigation en utilisant l’énergie solaire comme source d’énergie.
Cet agriculteur exemplaire livre désormais la banane aux restaurants locaux et entreprises locales de Torbeck et de la ville Les Cayes. Il est un modèle pour les jeunes de la communauté qui ne croient pas à l’agriculture. Son message aux jeunes de la région est de croire aux ressources qu’ils ont localement car elles sont la clé de leur vie.
Pour voir ses réalisations cliquez ici : Ferme du Village, EDEM Foundation, Ile-a-Vache, Haiti
Prix de l’Environnement et de l’Aménagement : Parc de Martissant
Pour l’année 2018, l’honneur de recevoir le Prix de l’Environnement et de l’Aménagement revient au Parc de Martissant. L’objectif principal de ce prix est de reconnaître et de récompenser publiquement un service ou une entreprise pour ses réalisations exceptionnelles qui ont contribué à l’amélioration de la qualité de l’habitat en Haïti, dans les domaines de l’aménagement urbain, de la gestion environnementale, de l’éducation relative à l’environnement, des énergies propres, etc.
Le projet du Parc de Martissant a pris naissance suite à un partenariat survenu entre la Fondasyon Konesans ak Libète (Fokal) et l’État haïtien, il y a plus de 10 ans. Le parc est situé dans une Zone d’aménagement concerté habitée par environ 50.000 personnes et s’étend sur un boisé de 17 hectares. Par arrêté présidentiel, le gouvernement haïtien a déclaré cette zone d’utilité publique en 2007 et a confié sa gestion à la Fokal jusqu’en 2020, avec l’obligation que cet espace devienne un jardin botanique.
L’histoire de ce parc est aussi riche en culture, car il repose sur un site qui a accueilli jadis la célèbre demeure dénommée « Habitation Leclerc ». Celle-ci fut transformée en l’un des hôtels les plus luxueux de la capitale, un hôtel qui était considéré comme une galerie d’art et avait suscité la curiosité des célébrités mondiales.
Aujourd’hui, l’Habitation Leclerc accueille un parc botanique et médicinal, en plus d’un espace culturel, éducatif et récréatif. Doté d’une flore importante, le Parc de Martissant héberge également une avifaune endémique et fait partie des viviers importants pour certaines espèces d’oiseaux migrateurs. Au cœur du Parc se retrouve une aire d’amusement avec divers équipements destinés aux enfants de tous âges. Cet îlot de verdure, qui englobe un trésor écologique, crée un attrait touristique grandissant et est classé sur Tripadvisor, parmi les lieux à voir à Port-au-Prince.
Le Parc se distingue par certaines de ses réalisations :
Un mémorial dédié aux victimes du tremblement de terre du 12 janvier 2010 ;
Un jardin de plantes médicinales qui est un centre d’apprentissage pour les visiteurs et un lieu de référence pour ceux qui font la promotion de la guérison par les plantes. Il compte 400 plantes haïtiennes ou étrangères de 150 espèces différentes ;
Un centre culturel qui dessert les communautés avoisinantes, incluant une bibliothèque et une bibliothèque mobile ; le bibliotaptap. Il est conçu sur le modèle des taptap, ces typiques véhicules de transport en commun qui sillonnent les artères de la zone métropolitaine. Le bibliotaptap offre des services de lecture et d’animation dans des espaces publics et des écoles.
Le Parc de Martissant intègre la communauté et relance le développement économique et social par différentes démarches, telles que la mise en œuvre du projet d’éclairage public avec 142 systèmes d’éclairage constitués de petites lampes solaires. C’est une initiative initiée par des organisations de femmes suite aux questions relatives à la sécurité des femmes dans la communauté.
En reconnaissance de cette volonté de préserver l’écosystème de la zone de Martissant, de cette gestion environnementale exemplaire et de ce désir d’authentifier un riche legs écologique, le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (Grahn-Monde) a décerné, pour l’année 2018, le Prix de l’Environnement et de l’Aménagement au Parc de Martissant.
Découvrez le Parc de Martissant en vidéo : Haïti - Parc de Martissant : Un oasis dans la misère
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Crédits photos lauréats : Nancy Roc
Photo Parc de Martissant Coté Caraïbes
Photo bibliotaptap Fokal
Nancy Roc, le 2 mai 2018