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Haïti : Les ferronnières d’art de Noailles

Par Ilse Roels

Soumis à AlterPresse le 8 mars 2018

La sculpture de fer découpé fait partie du patrimoine culturel d’Haïti. Cet art est traditionnellement pratiqué par les hommes en raison du fait qu’il demande beaucoup de force physique. Les sœurs Balan font partie des rares femmes à s’adonner à cet art. Elles nous permettent de jeter un autre regard sur la sculpture, cette fois pratiquée par les femmes.

Burin et marteau en main, entourées d’œuvres métalliques sculptées en cours de fabrication, Guerlande (33) et Armelle (36) travaillent dans leur atelier. Improvisé sur un terrain vacant de Noailles. Dans ce quartier de Croix-de-Bouquet sur la route nationale reliant Port-au-Prince avec Malepasse, la ferronnerie d’art a été transmise de pères en fils depuis les années 1950. Dans un milieu professionnel masculin, les sœurs Balan sont se sont créées une place comme collectif de femmes. Elles nous montrent un autre regard sur la ferronnerie d’art en Haïti.

Armelle Balan a 36 ans, elle travaille le fer découpé depuis toute jeune. Concentrée et silencieuse, elle tape sur un morceau de tôle depuis dix minutes. Chaque geste, chaque mouvement est millimétré. La musculature de ses mains, poignets, bras et épaules témoignent du gros labeur physique qu’elle pratique depuis des décennies. "La ferronnerie est une passion, et pour moi le plus beau métier. J’arrive à créer des œuvres d’art à partir des matériaux recyclés des bidons de fuel brulés, pratiquement à partir de rien", explique-t-elle. Armelle fait généralement le travail grossier de découpage des plaques de la tôle brute, auxquelles ses sœurs ajoutent le relief et autres détails, avant la finition.

Plus jeune, Guerlande est la seule des sœurs Balan à maitriser toutes les étapes de la fabrication des œuvres : du traçage au découpage, de la mise en évidence des reliefs au polissage, jusqu’au vernissage. Assise par terre sur une pierre, elle travaille minutieusement les derniers détails d’une œuvre. Chaque fois que le poinçon touche le métal, il met un peu plus en évidence un relief, une forme, une ligne. Ses doigts protégés par de simples pansements, les pieds nus ou protégés par des chaussettes. Son travail l’absorbe, elle ne parle pas beaucoup.

Les sœurs Balan sont des natives de Noailles. Toutes les sept ont été initiées à la sculpture de fer découpé par leur frère aîné, Jonas Balan. Cinq d’entre elles en ont fait leur métier, c’est le cas de Guerlande, Armelle, Nadège, Marlène et Myrtha. Dans un environnement professionnel masculin, elles ont choisi de travailler en collectif pour rester compétitives. Avec une voisine qu’elles ont formée au métier, elles gèrent ensemble les commandes et se divisent les étapes de la production.

Des images fantastiques aux détails très peaufinés, où végétaux, êtres humains et animaux mythiques se métamorphosent. Tout un univers qui reflète le système de pensée haïtien, associé au sacré et à l’environnement, se dévoile à la boutique de Myrtha, l’ainée des sœurs. Elle seule possède sa propre boutique dans laquelle elle travaille avec ses enfants.

Dans ce milieu professionnel masculin les autres sœurs ont des difficultés à s’imposer. La boutique des sœurs Balan ayant été dévastée par le tremblement de terre de 2010, elles sont obligées de travailler pour le compte d’un neveu, d’un frère, d’un mari ou d’un collègue ferronnier. Elles doivent travailler dur, au rythme des battements des marteaux, du matin au soir, à l’ombre des arbres, la cuvette de lessive à côté, les enfants dans les alentours. Comme professionnelles intermédiaires elles perçoivent mensuellement des sommes dérisoires, allant de 1.000 à maximum 2.500 gourdes.

Afin de maitriser la chaîne de production et de commercialisation, elles souhaiteraient réhabiliter leur boutique dont seulement la toiture est à refaire. Malgré les difficultés, les sœurs Balan ne pensent pas à abandonner. Vu leur talent, passion et persévérance, ce collectif de ferronnières d’art prometteur, mérite de sortir de l’ombre.

Le village artistique de Noailles à Croix-de-Bouquets
Le fer découpé de Noailles fait partie du patrimoine culturel d’Haïti
Guerlande et Armelle avec leur sœur ainée Myrtha, devant sa boutique
Des bidons de fuel sont brules afin d’en retirer peinture et autres produits toxiques
La ferronnerie d’art utilise d’outils simples tel que burins, marteaux et poinçons
Armelle achète des tôles découpées des bidons brûlés
Guerlande et Armelle dans leur atelier improvisé en plein air
Armelle avec une de ses œuvres
Les artisanes travaillent assises par terre, sans protection
Guerlande avec une de ses œuvres exposés dans la boutique d’un ami ferronnier
Myrtha Balan, l’aînée des sœurs dans sa boutique avec son frère qui l’a initié dans le métier
Armelle, Guerlande, Nadège et Marlène Balan cherchent à remettre en fonction la boutique des Sœurs Balan