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Guadeloupe : Levée de boucliers contre la campagne discriminatoire à l’encontre des immigrés haïtiens

Par le Groupe de Réflexion sur la société de la Guadeloupe

Soumis à AlterPresse le 27 février 2005

-  G.R.S.G.
-  (Groupe de Réflexion sur la société de la Guadeloupe)
-  35, Cité Bologne
-  97100 BASSE-TERRE

A

-  Messieurs les Présidents du
-  Conseil Général,
-  Conseil Régional de la Guadeloupe,
-  Membres du Congrès des deux instances.

OBJET : Lettre ouverte contre la campagne discriminatoire à l’encontre des immigrés haïtiens en Guadeloupe.

Monsieur le Président du Conseil Général,

Monsieur le Président du Conseil Régional,

Mesdames et Messieurs les Congressistes,

Le congrès convoqué par vous, débattra d’une question incontournable aujourd’hui : l’IMMIGRATION, et, singulièrement, l’immigration clandestine. En effet, depuis quelque trois mois, une vaste campagne, à la limite du lynchage médiatique se poursuit sur certaines ondes à l’encontre d’un groupe ciblé : les Haïtiens et d’autres communautés de la Caraïbe. Des dérapages verbaux se multiplient à longueur d’antenne : des situations venues tout droit de l’imaginaire, rivalisent avec des contre vérités assénées. Des politiciens se servent du problème de l’immigration comme fonds de commerce pour augmenter leur électorat. Ils utilisent des données mensongères pour faire sensation et attiser la xénophobie contre les Haïtiens et d’autres communautés d’immigrés, créant ainsi les conditions d’un affrontement entre Guadeloupéens et Haïtiens.

Prenant le contre pied de ce qui est affirmé sur certaines ondes, nous rappelons les faits suivants :

a) D’après l’INSEE (Institut national de statistiques et d’études économiques), l’actuelle population de la Guadeloupe se chiffre à 444.000 habitants. Certains citoyens, au gré des élucubrations, prétendent que la Guadeloupe serait envahie par des immigrés clandestins haïtiens, au nombre de : 20.000Â…, 30.000Â…, 40.000Â…, voire plus.

Pourtant, le Service des Immigrés de la Préfecture de Basse-Terre consulté, donne les chiffres suivants pour l’année 2004 : 27.000 immigrés en situation régulière, résidant en Guadeloupe, soit 6.2 % de la population, se répartissant comme suit : 12.433 Haïtiens (2.8 %), 6.805 Dominiquais (1.5 %), 2.397 Dominicains (0,53 %), etc... Parmi les 12.433 Haïtiens officiellement déclarés, environ 9.933 résidents sont titulaires de la carte de séjour, et 2.500 sont demandeurs d’asile. Le Service d’immigration de la Préfecture de Basse-Terre estime que les Haïtiens en situation irrégulière seraient au nombre de 3.000. Donc, nous voyons bien que nous sommes loin de cette vision d’apocalypse décrite et entretenue par certains, vision qui laisserait croire à un envahissement sauvage de la Guadeloupe. Il est clair qu’il s’agit là d’amplifier les sentiments de peur et d’insécurité des Guadeloupéens pour des raisons non avouables.

b) La majorité des Haïtiens clandestins vivent une situation de misère travaillant dans les champs de canne, dans les bananeraies, s’adonnant à la culture maraîchère et vivrière, et ce, en l’absence de toute condition d’hygiène. Certains travaillent de 6 heures à 18 heures pour un salaire journalier de 20 à 30 euros. Ce qui constitue un cas outrancier d’exploitation, quand on sait que cette situation organisée par certains patrons guadeloupéens peu scrupuleux, et peu respectueux de la loi, Cette situation peu enviable est subie par 90 % des immigrés haïtiens. Le constat est clair : les Haïtiens, loin d’appauvrir la Guadeloupe, enrichissent leurs patrons et participent par leur travail à l’économie locale en créant de la valeur ajoutée. En outre, à travers la TVA (Taxe à la valeur ajoutée) et l’octroi de mer perçues au quotidien sur tout achat, ils contribuent à alimenter les recettes budgétaires de l’Etat et des collectivités.

On accuse encore ces Haïtiens d’envahir le marché du travail, constituant ainsi une concurrence déloyale face aux 40.000 chômeurs guadeloupéens. En réalité, ces immigrés ne font qu’accepter les besognes que les Guadeloupéens ne veulent plus faire.

c) Une propagande s’appuyant sur des informations erronées tend à faire croire que la CMU (Couverture médicale universelle), répartie à profusion parmi les immigrés, serait la source des difficultés financières du département et, en définitive, de la sécurité sociale. Les immigrés sont aussi accusés de profiter des services sociaux de l’Etat (école, services de santé, allocations familiales, logement, etcÂ…) et d’empêcher ainsi à la famille guadeloupéenne, la jouissance de ces services. FAUX ! ....

La CMU n’est accordée qu’aux nationaux et aux étrangers en situation régulière. Tout comme l’école, Mesdames, Messieurs les Congressistes, les services de santé, les allocations familiales, le logement, font partie de la convention des droits de l’homme et du droit social qui en découle ; toutes choses qui, là aussi, ne sont accordées qu’à ceux qui satisfont aux desiderata et aux valeurs de la République.

d) Les Services de Police de la Guadeloupe, pour l’année 2004, estiment qu’il y aurait, mensuellement, 400 à 500 immigrés clandestins qui pénètrent sur le sol guadeloupéen, soit annuellement 4.800 à 6.000, dont la majorité seraient des Haïtiens. Quel crédit peut-on donner à ces chiffres, puisque par nature, le nombre des clandestins n’est pas quantifiable ?..... Selon les mêmes sources, un réseau de trafic est organisé à partir d’Haïti, à travers la République Dominicaine vers l’île proche de la Dominique qui devient la plaque tournante du réseau. Ces mêmes services ont pu identifier les principaux responsables : des Dominicains, aidés dans leurs tâches par des passeurs immigrés haïtiens. Là aussi, le trafic est connu, les filières paraissent amplement identifiées. Le dernier passage de la Dominique vers la Guadeloupe se ferait clandestinement et moyennant pécules à hauteur de 400 $ US. Au total, ce trafic coûte au candidat haïtien à l’immigration entre 2.000 à 3.000 $ US, sans garantie de succès (interception, arrestation, naufrage, mort violente), après avoir vendu tous ses biens ou engagé des dettes auprès d’usuriers pour financer son rêve.

Qui sont les vrais coupables de cette situation ? .... Est-ce le malheureux voyageur qui a cru à la terre promise ou les contrebandiers et leurs acolytes qui profitent du dysfonctionnement des services de l’Etat et du manque de coopération entre les pays de la Caraïbe ? ...

e) L’immigration est un phénomène mondial qu’on ne peut éviter. Les phénomènes connus en Guadeloupe se retrouvent sur les côtes espagnoles et françaises, et les images répétitives des côtes italiennes ne sauraient nous démentir. L’immigration est déterminée par certaines circonstances structurelles, et d’autres, conjoncturelles. Dans les années 1960, beaucoup de Guadeloupéens avaient aussi émigré vers d’autres pays. Faut-il rappeler que la Guadeloupe est une région de l’Union européenne qui a signé un accord de libre-échange avec les pays de l’ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) dont Haïti fait partie.

Nous, témoins de cette situation d’injustice sociale et de la campagne discriminatoire menée contre les Haïtiens, nous vous adressons, Messieurs les Présidents du Conseil Général et du Conseil Régional, Mesdames et Messieurs les Congressistes, cette lettre ouverte pour vous exprimer notre indignation, et vous faire les propositions suivantes :

1/ Il convient de réguler l’immigration clandestine qui fournit une main-d’œuvre à bas prix sur un marché de travail illicite ; mais cela ne justifie pas l’actuelle campagne de xénophobie contre la dignité humaine des travailleurs haïtiens. Conscients que la défense des frontières demeure une compétence régalienne de l’Etat, nous vous demandons instamment d’attirer l’attention des ministères concernés pour que soient mises en place les procédures tendant à contrôler le réseau de contrebande de l’immigration irrégulière.

2/ D’étudier au cas par cas la situation des travailleurs clandestins, de légaliser les situations qui s’imposent de manière permanente ou saisonnière. Pour ce faire, une intervention auprès de l’OFPRA (Organisme français de protection des réfugiés et apatrides) s’avère indispensable.

3/ De mener une campagne de sensibilisation dans les milieux scolaires et dans les médias sur l’immigration, sur son aspect humanitaire, sur notre rapport face à nous-mêmes et face à l’étranger. D’informer les citoyens guadeloupéens des valeurs de la République française que nous respectons et de développer la culture de solidarité entre les peuples de la Caraïbe dont la Guadeloupe et Haïti sont parties intégrantes. Ces valeurs sont contraires à la finalité de l’actuelle campagne de discrimination menée contre les Haïtiens en Guadeloupe.

4/ Il convient de mettre l’Etat français face à sa responsabilité sur les problèmes de la Guadeloupe (chômage, transport, culture, insécuritéÂ…) et ne pas tolérer cette fixation xénophobe dont sont victimes les immigrés haïtiens. Le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) est souvent intervenu dans le cas de dérives discriminatoires contre des communautés d’immigrés en France comme ce fut le cas pour les Juifs. Pourquoi ne pas intervenir dans le cas des immigrés en Guadeloupe ?... Pourquoi ne pas contrôler certains médias comme Radio Contact qui incite à la haine raciale ?...

5/ La situation actuelle d’Haïti est le résultat d’un long processus. De son indépendance à nos jours, ce pays a été puni par les grandes puissances, en particulier par la France et par les Etats-Unis d’Amérique. La rançon de 150 millions de francs or exigés par la France à Haïti, en reconnaissance de son indépendance, et l’occupation américaine du pays de 1915 à 1934, en sont les exemples les plus frappants. Pourquoi les élus guadeloupéens n’interviennent-ils pas auprès de l’Etat français pour lui demander, en guise de réparation, de contribuer au développement d’Haïti, afin que les Haïtiens puissent vivre chez eux ?

Vous avez, Messieurs les Présidents du Conseil Général et Régional, Mesdames et Messieurs les Congressistes, une responsabilité historique à assumer dans la situation actuelle de la Guadeloupe. Car, si pour la première fois depuis 2004, un consensus s’est dégagé autour de ce problème au sein des assemblées, il est fort regrettable que ce ne soit pas pour s’attaquer aux fléaux que sont : le chômage, la drogue, la criminalité, la violence routière, le respect des droits des travailleurs et trouver des solutions à l’aménagement du territoire. Nous craignons que les mesures d’exceptions de répression policières que réclament certains ne portent atteinte aux libertés publiques qui demain concerneront les Guadeloupéens eux-mêmes. Les devoirs du politique est d’indiquer les choix judicieux et cohérents, et non pas de courir après les idées qui forment l’air du temps.

Nous espérons que les arguments ci-dessus évoqués, accompagnés d’un document de réflexion sur la dignité humaine, auront la chance de vous permettre de rappeler fermement les valeurs de la République dont nous sommes sûrs , vous être porteurs .

Veuillez agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Congressistes,
L’expression de notre plus haute considération.

Basse-Terre, le 18 février 2005

C.c : à Monsieur le Préfet de la Guadeloupe.

Liste de Signataires de la Lettre ouverte contre la campagne discriminatoire à l’encontre des immigrés haïtiens en Guadeloupe

Ref. Gens de la Caraibe - www.gensdelacaraibe.org