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8 mars, journée internationale des droits des femmes

Péripéties du quota de 30% de femmes dans les postes politiques en Haïti

Nécessité de mesures d’accompagnement efficaces pour mettre fin au système patriarcal

Dossier

Par Emmanuel Marino Bruno*

P-au-P, 07 mars 2018 [AlterPresse] --- À travers le monde, davantage de femmes s’engagent depuis plusieurs années, dans la vie politique, observe l’agence en ligne AlterPresse.

Toutefois, des obstacles, dressés sur leur chemin, continuent de les empêcher d’avoir une représentativité suffisante dans les postes publics. Des méthodes, dont le principe de quota, sont expérimentées ou en train d’être expérimentées, en vue d’essayer de parvenir à un équilibre entre les sexes, dans les institutions.

Dans plusieurs pays, comme Haïti, les quotas sont vus, par des mouvements féministes, comme un mécanisme efficace, permettant aux femmes, de manière progressive, d’accéder à l’égalité avec les hommes.

Pour d’autres voix, cet outil serait contraire au principe de l’égalité des chances, pour toutes et pour tous, et violerait les principes de la démocratie libérale, par le fait qu’il permettrait de favoriser les femmes, par rapport aux hommes. Dans quel sens ?

Le quota serait-il capable de contribuer à une certaine autonomisation politique des femmes ?

Violerait-il les principes de la démocratie libérale, ou bien contribuerait-il, au contraire, au processus de démocratisation ?

Bref état des lieux du quota en Haïti

En Haïti, le principe du quota de 30% de femmes, à tous les postes de décision de la vie nationale, notamment dans les services publics, a été reconnu, en 2012, dans la version dite amendée, en son article 17-1, de la Constitution de 1987.

Cette disposition - non respectée au sein des gouvernements successifs – sauf, paradoxalement, sous l’ancienne administration [1] du président Michel Joseph Martelly et du premier ministre Laurent Salvador Lamothe - promeut une représentation minimale des deux sexes (femmes et hommes) dans les espaces de pouvoir.

Grace à ce principe, la représentativité [2] des femmes dans les postes politiques, très faible depuis 2006, allait connaitre une hausse temporaire, en 2012 et 2013, avec la composition du cabinet ministériel de Lamothe.

Les chiffres

30.71% de femmes ont occupé des postes de décisions, sous l’administration Martelly/Lamothe, selon les résultats d’un sondage du Bureau de recherche en informatique et en développement économique et social (Brides) [3], publié en 2014.

Lors de l’installation du cabinet ministériel de Lamothe, le 16 mai 2012, Martelly s’est réjoui du respect du quota de 30% de femmes, au niveau des postes de nomination du dit gouvernement.

Dans le gouvernement d’Evans Paul (16 janvier 2015 – 26 février 2016), formé le 19 janvier 2015, à la suite d’un remaniement ministériel, sur 37 hauts fonctionnaires nommés, il y a eu seulement 6 femmes, dont 4 ministres et deux secrétaires d’Etat, soit moins de 17 % pour 31 hommes (soit environ 84 %), par rapport au quota [4] de 30% des femmes, prescrit par la Constitution de 1987 dite amendée.

Seulement 3 femmes, soit moins de 19% de femmes, faisaient partie du nouveau gouvernement du premier ministre Enex Jean-Charles (28 mars 2016 - 21 mars 2017), comprenant 16 ministres nommés pour 18 ministères (deux ministres assumant un 2e ministère par intérim).

Pour sa part, le chef du gouvernement actuel Jack Guy Lafontant (Premier ministre d’Haïti depuis le 21 mars 2017) a formé son gouvernement avec 18 ministres, dont 13 hommes et 5 femmes, 3 secrétaires généraux au rang de ministres, 4 secrétaires d’État et un directeur de cabinet (tous des hommes), selon un décompte effectué à partir des informations correspondantes, consultées sur le site du bureau du premier ministre.

Seulement 19.23 % de femmes sont actuellement présentes dans ce gouvernement, par rapport à 80.76 % d’hommes, alors que Lafontant ambitionnait de faire respecter l’article 17.1 de la Constitution de 1987, dite amendée, qui établit le principe du quota d’au moins 30% de femmes dans les institutions publiques.

Quid des postes électifs ?

L’application du principe du quota de genre s’est avérée encore plus compliquée, pour les femmes, dans les postes électifs, que dans les postes nominatifs.

Sur 192 partis politiques, 17 d’entre eux ont proposé un total de 24 femmes comme candidates pour les élections sénatoriales de 2015. Après l’analyse des dossiers des candidates et le traitement des contestations, le Conseil électoral provisoire (Cep) a sélectionné 23 femmes candidates, habilitées à prendre part à ces élections [5] , soit 9% par rapport à 209 hommes (soit 90%) sur un total de 232 participantes et participants. Très loin du quota souhaité de 30% des femmes.

Sur 1,621 candidates et candidats, admis pour participer aux élections de 2015 pour la députation, on retrouve 129 femmes, soit 8%, par rapport à 1,492 hommes, soit 92%.
Dans ces élections législatives de 2015, aucune femme candidate n’a été élue.
Pour les élections législatives de 2016 [6], sur 2,029 candidates et candidats, inscrits, dont 1,767 pour la députation et 262 pour le sénat, 8% de femmes - dont 129 candidates à la députation - et 23 au sénat ont été admis, par rapport à 92% d’hommes, après le traitement des données.

« À l’exception du poste de président de la république, la liste de candidats, soumise au Conseil électoral provisoire, par les partis politiques ou groupements politiques, pour chaque poste électif, doit contenir au moins 30% de femmes » [7] , lit-on aussi dans le décret électoral en date du 2 mars 2015.

À l’heure actuelle, seulement 4 femmes siègent au parlement haïtien (50e législature), suite aux résultats des législatives partielles du 20 novembre 2016.

Ce que la malice populaire qualifie de chanm gason, un parlement d’hommes, qui serait foncièrement rébarbatif à la participation et à l’inclusion des femmes…

N’a-t-on pas vu, récemment, des parlementaires – que la malice populaire appelle « parle-menteurs » -, foncièrement rétrogrades et opposés aux progrès sociaux, indispensables à l’évolution de l’humanité, afficher ouvertement leur révulsion, parce qu’une proposition de loi mentionnait « office de la protection de la citoyenne et du citoyen », arguant que la mention « de la citoyenne » serait contraire à la Constitution ?

Sur 129 sénateurs et députés, composant l’assemblée nationale, on avait dénombré 8 femmes pour 21 hommes, au sénat, et 6 femmes pour 123 hommes, à la chambre des députés, respectivement dans les 48e (2006-2010) et 49e (2011-2015) législatures.

En 2013, « la représentation politique des femmes en Haïti est parmi les plus basses au monde, avec seulement 4% de femmes au parlement haïtien, soit 5.2 % à la chambre des députés et 0 au sénat » [8]
.
Haïti figurait parmi les six pays au monde, dont l’une des chambres parlementaires n’avait aucune représentation féminine.

Pourtant, la femme a « le droit à l’égalité d’accès aux fonctions publiques de son pays et de participer aux affaires publiques, y compris la prise de décisions » [9]
.
« Assurer le renforcement du pouvoir d’action des femmes et leur promotion, y compris le droit à la liberté de pensée, de conscience, l’égalité des chances et la pleine participation, sur un pied d’égalité, des femmes et des hommes, en tant qu’agentes et agents, et bénéficiaires d’un développement durable, au service de l’être humain, sont des conditions essentielles à l’élimination de la pauvreté, au moyen d’une croissance économique soutenue, du développement social, de la protection de l’environnement et de la justice sociale » [10], stipule l’article 12 de la Déclaration et Programme d’action de Beijing de 1995 sur les droits des femmes.

« Le renforcement du pouvoir d’action des femmes et leur pleine participation, sur un pied d’égalité, à tous les domaines de la vie sociale, y compris aux prises de décisions, et leur accès au pouvoir, sont des conditions essentielles à l’égalité, au développement et à la paix », poursuit l’article 13.

Qu’est ce qui explique la marginalisation politique des femmes en Haïti, alors que celles-ci représentent 52 % de la population haïtienne ?

L’adoption du principe du quota, dans un pays, comme Haïti, qui se veut démocratique, constituerait-elle un moyen efficace pour promouvoir une participation politique des femmes face à l’intransigeance du système patriarcal ?

Favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes dans le pays, à travers le quota de genre, n’est-ce pas permettre à tous les êtres humains, femmes et hommes, de contribuer, de manière démocratique, au développement durable de la société ?

C’est quoi le quota ?

Mécanisme souvent temporaire, le quota entend garantir une représentation minimale d’un des deux sexes au sein des institutions publiques.

Outil visant à favoriser la participation progressive des femmes à la vie politique, le quota de genre permet de corriger les inégalités, sur une base volontaire ou par une législation spécifique. Son but ultime est d’atteindre la parité hommes et femmes, dans l’intérêt de la société.

« L’idée de base des mécanismes de quotas est de permettre aux femmes d’accéder à des fonctions politiques et de veiller à ce que l’élection de poignée de femmes ne serve pas simplement d’alibi dans la vie politique » [11]

Quelques arguments en faveur du quota

Plusieurs arguments sont mis en avant, pour expliquer les avantages, qu’apportera un principe de quota en faveur de l’intégration des femmes dans la sphère publique.

L’insertion de la femme est bloquée par de nombreuses barrières, surtout sociales (système de protection sociale), politiques (critères de sélection des candidats), économiques (écart salarial entre les sexes, féminisation de la pauvreté) et culturelles (stéréotypes sur le rôle social, assigné aux femmes par rapport aux hommes).

La mise en application d’un quota pour les femmes constituerait une mesure nécessaire, pour compenser tous les obstacles, susceptibles de les empêcher d’obtenir leur juste part des sièges politiques.

Ces difficultés, dues, notamment, à l’existence d’un système patriarcal, auquel font face les femmes haïtiennes, doivent être franchies, en vue de leur réelle participation politique dans la société.

Loin d’être une forme de discrimination (il s’agit d’une discrimination positive), le quota revendique le respect du droit des femmes d’avoir une représentation égale dans les espaces de pouvoirs.

En tant que citoyennes à part entière, les femmes, par leurs propres expériences, peuvent également apporter leur contribution à la vie politique.

Alors que les femmes sont, fort souvent, qualifiées et compétentes, au même titre que les hommes, elles sont reléguées au second plan par le système de domination mâle.

L’application d’un quota en faveur des femmes permettrait de corriger cette domination masculine, qui leur est imposée dans la société, à cause de leur sexe.

Cette mesure permettrait également à l’Etat haïtien de donner l’opportunité aux femmes (estimées à plus de la moitié de la population haïtienne), de contribuer, comme les hommes, aux progrès socio-économiques et démocratiques de leur pays.

L’égalité entre les femmes et les hommes s’avère donc incontournable, pour la consolidation de la démocratie, le respect des droits humains et le développement durable.

Pour des mesures d’accompagnement, favorables à l’application du quota

Pour faciliter une meilleure promotion de la femme, il faudrait des mesures d’accompagnement, en vue d’éviter toutes formes d’instrumentalisation du principe de quota.

Une approche globale, basée sur des campagnes de sensibilisation, de formation et d’un système électoral juste, est à privilégier, en vue de l’intégration des femmes dans tous les domaines de la société.

Des activités de formation à l’égalité de genre, au sein des partis politiques, à l’intention de leurs membres, indépendamment de leur sexe, ainsi que de sensibilisation à travers les médias, doivent être mises en œuvre, dans une perspective d’éradication des stéréotypes, afin d’aboutir à une véritable parité.

L’apport des médias est incontournable dans la création d’une certaine visibilité des femmes candidates, lors des campagnes électorales.

Un temps d’antenne équitable et proportionné pourrait être garanti à l’ensemble des candidats politiques, quel que soit leur sexe.

En ce sens, une meilleure sensibilisation des médias à la question de genre s’avère aussi importante, pour s’assurer d’une couverture équitable des femmes en politique.

À leur tour, les médias doivent également former l’opinion publique, autour de la question de genre, en vue de dénoncer tous stéréotypes, véritables obstacles à l’accès des femmes à la vie politique.

Il ne faut pas négliger, non plus, la contribution de la société civile et des organisations non gouvernementales : dans la conception, la promotion et le suivi des mesures, visant à améliorer la représentation politique des femmes.

Le quota et le système électoral

Le respect du principe de quota de 30% de femmes, exigence contenue dans le décret électoral, doit être appliqué, particulièrement dans les processus électoraux.

Le système électoral aura pour tâche d’instaurer des sanctions, applicables en cas de non-respect des mesures, afin d’assurer une représentation équilibrée des sexes dans les compétitions électorales.

Ces sanctions peuvent concerner, entre autres, le rejet des listes de candidates et candidats, non conformes au principe de quota en faveur des femmes.

L’application des quotas et d’autres mesures positives devrait bénéficier à un système de surveillance d’instances électorales crédibles, comme des organes indépendants, des tribunaux à compétence électorale ou des commissions électorales.

Il convient aussi d’encourager les instances électorales et les administrations concernées à collecter des données statistiques, ventilées par sexe.

Le quota et les partis politiques

Le rôle essentiel des partis politiques consistera à l’amélioration de la représentation politique des femmes : d’abord en leur sein, ensuite sur les listes électorales.

Un travail d’éducation devrait être fait, au sein des partis politiques, pour les encourager à choisir des femmes, comme candidates aux élections. L’inscription d’un nombre égal de femmes et d’hommes, sur les listes électorales, doit également devenir une exigence.

Il faut aussi une transparence dans les procédures de sélection des candidates et candidats, effectuées par les partis politiques, pour veiller à accroître la représentation des femmes et établir un équilibre entre les sexes.

Des actions, pour augmenter la participation politique des femmes et visant une meilleure implication des organisations de femmes ainsi que la promotion d’initiatives de financement de leur campagne électorale, sont à encourager.

Pour cela, des fonds publics, octroyés aux partis politiques, doivent être, en partie, destinés à promouvoir la représentation politique des femmes.

Il faudra, tôt ou tard, sortir de la féminisation de la pauvreté, pour permettre aux femmes d’avoir les moyens financiers, leur permettant de s’impliquer dans la politique, comme les hommes. [emb rc apr 07/03/2018 0:00]

* Licencié en communication sociale, Journaliste, Assistant à l’édition de l’Agence en ligne AlterPresse

Photo logo : Une vue de la chambre des députés en Haïti.


[1Le respect du quota de 30% de femmes n’empêche pas forcément leur marginalisation politique.

[2[Selon Marie Claude Dorcé de la Commission antisexiste du parti politique Organisation du peuple en lutte (Opl), « Pendant la seule période, allant de 2006 à mars 2013, Haïti a connu cinq (5) gouvernements. Dans celui, dirigé par Jacques Edouard Alexis (2006-2008), deux (2) ministères sur 18 sont dirigés par des femmes (Commerce, Condition féminine). Sous le gouvernement de Michèle Duvivier Pierre-Louis (2008-2009), le nombre est passé à trois (3) (Commerce, Condition féminine, Affaires sociales). Celui de Jean-Max Bellerive (11 novembre 2009 – 18 octobre 2011) comptait quatre (4) femmes (Affaires étrangères, Condition féminine, Culture, Commerce). Le gouvernement de Garry Conille (Premier ministre d’Haïti, du 5 septembre 2011au 1- mai 2012) en comptait trois (3) (Tourisme, Condition féminine, Santé). Et l’actuel gouvernement, dirigé par Laurent Salvador Lamothe, qui comptait 6 femmes ministres, au début, est passé à dix (10) sur vingt-trois (23) ministres, dans le cadre du récent remaniement ministériel ; soit un taux de 44%. ». Ces informations sont consultées le 10 novembre 2017, sur le site du journal en ligne Tout Haïti au lien suivant : http://www.touthaiti.com/touthaiti-actualites/2043-44-de-femmes-au-gouvernement-egalite-reelle-ou-instrumentalisation.

[3Fondée en avril 1992, la firme haïtienne Brides est spécialisée, entre autres, dans les sondages d’opinions et les enquêtes statistiques.

[5Ankèt sou prezans fanm yo nan eleksyon lejislatif 2015 yo : baryè anvan, pandan epi aprè kanpay, sou direksyon Julien Sainvil, Solidarite fanm ayisyèn (Sofa), septanm 2016

[77] Décret électoral en date du 2 mars 2015, publié dans le journal officiel de la république d’Haïti, Le Moniteur, sous l’ancienne administration du président Joseph Michel Martelly (14 mai 2011-7 février 2016).

[8Haïti, un nouveau regard, résumé exécutif du rapport 2013, Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 2014.

[9Convention américaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention Belem Do para), adoptée au Brésil, le 9 juin 1994, lors de la 24e session ordinaire de l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (Oea) et ratifiée par décret du 11 juillet 1996 (Le Moniteur No 66-A du 9 septembre 1996).

[10Déclaration et Programme d’action de Beijing de 1995, suite à la quatrième Conférence mondiale sur les droits des femmes, déroulée du 4 au 15 septembre 1995, à Beijing (Chine continentale).

[11Définition de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (Idea International), consultée, le 22 novembre 2017, sur son site www.idea.int au lien suivant : https://www.idea.int/data-tools/data/gender-quotas/quotas?quotalang=fr#what.