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Haïti-Télédiffusion : Et si l’État et le secteur privé finançaient aussi les émissions à caractère social et éducatif !

Par Sophonie Ylas Deravine*

Soumis à AlterPresse le 14 février 2018

Les émissions à caractère social et éducatif ne durent presque plus sur les petits écrans en Haïti. La majorité des télévisions n’ont pas souvent de budget pour financer ces genres d’activités. A la place de ces programmes, les feuilletons et les films étrangers trouvent une place de choix. Entre temps, des jeunes bourrés de talent, submergés par de bonnes idées, n’arrivent toujours pas à apporter leur contribution au changement de cette triste réalité.

Concevoir une émission, écrire le projet, faire appel à une compagnie de production pour la réalisation… ne sont pas une mince affaire. De plus, assurer la logistique et payer entre 400 à 500 dollars américains par épisode pour le produit fini, un autre exercice oh combien difficile. Rien que pour la production d’une émission hebdomadaire, on a besoin mensuellement, d’un montant d’environ 1 600 à 2 000 dollars américains pour payer une compagnie. Ces points figurent parmi la liste des conditions imposées par la majorité des médias haïtiens. Les présentateurs qui rêvent de prendre ce genre d’initiative, doivent affronter cette réalité.

Une fois la première démarche exécutée, place à la négociation avec les propriétaires de média. Qu’ils soient de qualité ou pas, la plupart des médias fortunés, sont susceptibles d’acheter le produit du présentateur, à un prix qui varie entre, environ 6000 à 7 000 dollars américains par mois. Ce qui va permettre à celui-ci de continuer le travail pour ensuite devenir une exception aux échecs.

En outre, si l’émission appartient au média, le patron peut proposer au présentateur 10 000 à 15 000 gourdes par mois pour la présentation de cette dernière ou rien du tout. Je me rappelle avoir présenté une émission pendant des mois sur une télévision à Port-au-Prince sans n’avoir jamais reçu un centime de la part du département des ressources humaines de ce média. Dans d’autres cas, et le plus souvent, ces patrons proposent à l’animateur de l’émission, de faire une sorte de partenariat en termes de pourcentage sur les gains de publicité.

Les négociations les plus fréquentes entre Présentateurs et Directeurs de télévision

Selon une source fiable, le prix mensuel des spots publicitaires de la presse télévisée varie entre 1,000 à 5,000 dollars américains et plus. S’agissant du pourcentage sur gain de publicité, l’accord se fait ainsi entre les médias et les présentateurs : "soit 20% pour le présentateur et son équipe et les 80% restant dédiés au média. Ou, 30% pour le présentateur et son équipe et les 70% restant réservés au média. Ou encore, 35% pour le présentateur et son équipe et les 65% restant consacrés au média."

L’un des cas le plus courant, est que les médias demandent aux présentateurs de produire l’émission et ensuite payer pour la diffusion. A ce niveau, le tarif varie entre 250 à 300 dollars américains par émission, ce qui ferait environ 1000 à 1200 dollars américains au total à verser mensuellement au média, pour la diffusion hebdomadaire.

Dans ce scenario, le présentateur devrait dépenser environ 2,000 à 2,400 dollars américains par mois pour la production de l’émission, et environ 1,000 à 1,200 dollars américains pour la diffusion. Ce qui donnerait un total de 3,000 à 3,600 dollars américains à investir, s’il veut rentrer et rester dans ce secteur d’activité, sans avoir aucune garantie d’en tirer profit.

Trouver des sponsors en Haïti, un casse-tête chinois

Trouver des sponsors pour une émission à caractère social ou éducatif en Haïti, est synonyme de perte de temps. Pour diffuser une émission dans un média ici, non seulement les patrons imposent aux présentateurs de produire l’émission mais aussi, ils les obligent à être les seuls à chercher et à trouver des commanditaires pour l’accord de partenariat. Et eux, ils attendent pour encaisser l’argent. Le pire, si le présentateur est très influent et réussit à trouver beaucoup de sponsors, ce qui est très rare, la plupart des patrons de médias digèrent mal qu’il gagne autant d’argent. Souvent, ils priorisent l’option qui consiste à résilier le contrat sans aucune raison valable. Entre appels sans succès, rendez-vous spontanés et multiples déceptions, les concepteurs d’émission passent tout leur temps à faire le va-et-vient dans des entreprises, pour quémander de l’argent pour la réalisation de leur projet.

Ces grands hommes ou femmes, chefs d’entreprise, ne trouvent même pas nécessaire de les recevoir. Ils préfèrent les mettre en relation avec leur responsable de markéting qui va leur refuser la demande. Beaucoup de chefs d’entreprise en Haïti n’accordent aucune importance aux émissions à caractère social et éducatif.

Ce n’est pas étonnant ! Leur support aux émissions de dénigrement le prouve clairement, parce qu’en Haïti, ils savent très bien que beaucoup de gens aiment les ragots. Leurs préférées sont les émissions à caractère sportif, politique, et aussi, des films et séries télévisées.

Quand il s’agit de la période carnavalesque, ils s’acharnent à l’idée de sponsoriser tous les groupes musicaux du moment, et peu importe la qualité du produit. Quant aux institutions de l’Etat, impossible d’entrer en contact avec elles, voire, demander un support financier. Les présentateurs n’ont pas d’autres choix que de les rayer de leur liste de contact.

Pourtant, chaque année, l’Exécutif collabore avec le secteur privé, en vue de supporter le carnaval en Haïti, le plus grand évènement culturel et touristique du pays. En 2017, ils ont investi 240 millions de gourdes pour l’organisation de ces festivités. 50 millions provenaient du trésor public et les 190 millions du secteur privé. Et cette année, le budget est à 180 millions de gourdes. 100 millions proviennent de l’Exécutif et les 80 autres du secteur privé.

Après calcul, on constate que le secteur privé avait décaissé pour le carnaval de 2017, environ 79,2% des 240 millions de gourdes et l’Etat, environ 20,8%. Et en 2018, 44% du montant proviennent du secteur privé et 56% de l’Etat.

La Télévision peut être un outil d’apprentissage et de changements positifs pour la société haïtienne

Haïti dispose d’une population très jeune. Selon l’Institut Haïtien de Statistique et d’informatique (IHSI), plus de la moitié de la population a moins de 21 ans. Dans un pays sous développé comme Haïti, où la corruption fait rage, les jeunes sont très vulnérables à toutes sortes d’activités malsaines, comme la délinquance juvénile et autres.

La production et l’encouragement des émissions télévisées à caractère social et éducatif auraient un impact très positif sur le développement personnel de ces jeunes. En plus, il existe très peu de loisirs et d’activités dédiées à eux. La télévision peut être un outil d’apprentissage et de changements positifs pour la société haïtienne, où le taux d’alphabétisme est à environ 48,6% pour les femmes et 60.1% pour les hommes, selon l’IHSI.

Les présentateurs désespèrent que leur rêve de contribuer à l’avancement et au changement positif du pays se réalise un jour. Ils disent souhaiter que l’Etat collabore avec les médias, en vue de produire et d’inclure des émissions à caractère social et éducatif dans leur programmation, tout en leur offrant un salaire décent. Pour eux, ce serait un point très positif pour l’avenir des médias et la jeunesse haïtienne.

*Journaliste

Source image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Television.svg