Par Jean-Claude Icart*
Soumis à AlterPresse le 30 janvier 2018
Selon la définition proposée par Albert Memmi, « …le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur
et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression. ». L’agression peut
prendre plusieurs formes ; au niveau d’un pays, elle renvoie généralement à une
exploitation économique.
La république d’Haïti a été récemment la cible d’une odieuse attaque raciste
venant du Président des États-Unis d’Amérique. Les réactions n’ont pas tardé et sont
venues de partout. Elles se poursuivent encore au moment d’écrire ces lignes mais
le moment est venu de se poser la question de la forme que prend ou que pourrait
prendre l’agression qu’annoncent ou que révèlent ces insultes, proférées
par quelqu’un reconnu comme un grand stratège de la diversion.
Haïti est un pays exsangue, quasiment sous tutelle, dévasté par des catastrophes
naturelles, incapable de produire de quoi nourrir sa population et qui se retrouve
régulièrement aux derniers rangs de tous les indicateurs économiques. On peut
faire l’hypothèse que ce qui est annoncé, c’est l’exploitation de ses ressources
minières, un secteur relativement intouché jusqu’ici. Il n’est peut-être pas inutile
de rappeler que le Salvador, l’autre pays nommé par le Président des États-Unis
lors de sa sortie scatologique, a interdit l’an dernier l’exploitation de mines
métalliques sur son territoire.
Le Président américain avait également cité les pays africains de façon générale.
Plusieurs ouvrages dénoncent le pillage des ressources minières de l’Afrique,
notamment au sud du Sahara. Le cas du Congo-Kinshasa pour qui les richesses
minières semblent constituer une véritable calamité est particulièrement tragique.
Cependant, d’aucuns estiment que certains pays devraient être reconnaissants de se
faire exploiter et ne devraient surtout pas s’aviser de refuser ou même de négocier
quoi que ce soit.
En juillet 2017, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de l’actuel président
d’Haïti, un projet de loi sur l’exploitation des mines a été soumis au sénat de la
république. Ce projet de loi devrait être étudié au cours de la session législative
qui a débuté le 8 janvier 2018. L’opacité de l’information sur les ressources minières
du pays et sur le texte de ce projet de loi est telle que le Congrès des États-Unis a
adressé une lettre au président du sénat haïtien le 20 novembre 2017 pour encourager
un débat public sur cette question « compte tenu des risques importants de
l’exploitation minière pour les droits humains et environnementaux ».
Depuis le milieu des années 70, différentes études ont fait état de l’intéressant potentiel
du sous-sol haïtien : pétrole et gaz, or, iridium, etc. L’exploitation de ce potentiel soulève
cependant d’importantes questions :
1- Haïti est un des pays au monde les plus vulnérables au changement climatique.
Il est traversé par deux importantes failles sismiques et est situé en plein sur la
route des ouragans de la Caraïbe. De plus, c’est un pays densément peuplé,
montagneux et fortement érodé. Les risques environnementaux qui découleraient
de l’exploitation minière sont extrêmement importants. Par exemple, les principales réserves d’or sont situées sur des bassins versants densément peuplés par des agriculteurs, le long de la faille septentrionale.
2- L’État haïtien est reconnu comme un État faible (et affaibli). Il a eu l’appui de la
Banque mondiale pour la rédaction du projet de loi sur les mines mais l’analyse
d’une version préliminaire obtenue en 2014 [1] a révélé de très grandes faiblesses
dans ce document qui se situerait en dessous des standards internationaux,
notamment au niveau de la transparence, de l’évaluation et de la protection
environnementales, de la gestion de l’eau, du niveau des redevances, de la remise
en état des sites.
De l’avis général, la corruption et la non-transparence sont deux défis majeurs que doit relever l’État haïtien. On peut aussi se demander si cet État a les moyens de défendre valablement les intérêts de sa population actuellement ? Par ailleurs, la quasi exclusion des institutions étatiques dans le dossier humanitaire de la reconstruction d’Haïti après le séisme de 2010 a donné le signalé d’une véritable course au trésor de grandes compagnies, parfois avec la complicité de certains organismes dits de bienfaisance. Qu’en sera-t-il (ou qu’en est-il) dans un dossier purement économique, dominé seulement par la logique du profit ?
La grossièreté des déclarations du Président américain cache sûrement un enjeu important. Cette hypothèse permet également de jeter un éclairage différent sur la politique haïtienne des dernières années, notamment sur la fabrication d’un consensus au sein de la classe politique et les efforts pour museler la presse. Une chose est certaine : le traitement de ce dossier définira le visage d’Haïti pour au moins ce XXIe siècle.
* Comité Haïti Mines
Montréal, 28 janvier 2018.
[1] Voir par exemple : ByenKonte, MalKalkile ? Human Rights and Environmental Risks of Gold Mining in Haiti © December 2015, Global Justice Clinic & Haiti Justice Initiative
“Ready for Gold ? Assessing Haiti’s Governance and Regulatory Capacity for Large-Scale Mining,” Oxfam America Research Backgrounder series (2015)
Concertation pour Haïti. L’industrie minière en Haïti. Enjeux et réalités. Montréal, Janvier 2016.