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Haīti : Nouveau leadership au Parlement

Agenda copieux sur fond de suspicion

Par Vario Sérant

P-au-P., 15 janv. 2018 [AlterPresse] --- Le Parti haītien tėt kale (Phtk) au pouvoir et ses alliés ont raflé tous les postes au Sénat de la République, lors de l’élection pour le renouvellement du Bureau, le 9 janvier 2018.

Le sénateur Joseph Lambert du Sud-Est, surnommé l’animal politique, en est le nouveau Président, succédant ainsi à son collègue de l’Artibonite Youri Latortue. Lambert avait déjà occupé cette fonction en 2006 sous la présidence de René Garcia Préval.

Comme Youri Latortue, Joseph Lambert a été conseiller du Président Joseph Michel Martelly tout au long du mandat de ce dernier.

Le nouveau Bureau du Sénat est totalement masculin, alors que le précédent en comptait une femme, en la personne de la Sénatrice Dieudonne Numa Etienne (Nord).

La configuration politique n’est pas trop différente à la Chambre des députés où le député de Delmas, Gary Bodeau, un allié du parti au pouvoir, a été élu président du Bureau.

Gary Bodeau, qui a été questeur à deux reprises, dirige le bloc Alliance parlementaire pour Haïti (APH), l’un des cinq blocs inscrits auprès du bureau de la Chambre des députés. L’APH compte soixante-quatre membres, y compris les députés du PHTK et alliés. 

Ces nouveaux bureaux, dans les deux chambres du Parlement, avec un mandat d’un an renouvelable, ont été mis sur pied après l’ouverture de la première session ordinaire de l’année législative 2018.

L’année législative précédente

Les deux ex-présidents du Sénat, Youri Latortue, et de la Chambre des députés, Cholzer Chancy, se sont félicités du bilan de l’année législative précédente. Latortue a fait valoir que malgré les nombreuses et grandes difficultés, le Parlement a pu voter environ une quarantaine de lois, en grande majorité de nature économique et sociale.

“Nous avons adopté plusieurs résolutions d’intérêt public ; nous avons exercé sur le Gouvernement un contrôle minutieux et efficace ; nous avons contribué au renforcement de la Cour de Cassation et de l’Office de Protection du citoyen ; nous avons été très actifs dans la mise en œuvre d’une diplomatie parlementaire intelligente, active et porteuse de respect envers notre patrie commune”, a ajouté le seénateur Youri Latortue.

Compromis ou “deal politique”

Avant la fin de l’année législative précédente, l’Exécutif a concoté une entente avec les 10 sénateurs dont le mandat devait arriver à terme le 8 janvier, permettant à ces derniers de rester en poste jusqu’en 2020. Si certains évoquent un compromis utile pour la stabilté du pays, d’autres l’assimilent à “deal politique” qui mettra à mal le rôle de contrôle que le Parlement, déjà dominé dans les deux chambres par le PHTK et allies, est censé remplir.

Les dossiers pendants

La formation du Conseil électoral permanent, le Conseil constitutionnel et le rapport d’enquête de la commission éthique et anti-corruption du Sénat sur le programme Pétrocaribe figurent parmi les dossiers qui sont pendants au Parlement.

Conseil électoral permanent

Annoncé par l’ancien Président du Sénat, Youri Latortue, pour la mi-octobre 2017, la Commission bicamérale chargée d’étudier les dossiers des candidats devant représenter le Parlement au sein du Conseil Electoral Permanent, n’a toujours pas soumis son rapport á l’assemblée. Youri Latortue a exprimé le regret de n’avoir pas eu le temps de mettre sur pied le Conseil électoral permanent (Cep), “une institution que le pays attend depuis plus de 30 ans”.

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (Cspj) a publié, le 20 septembre 2017, une liste de 36 personnalités, dont 9 femmes, aspirant à briguer trois postes au prochain organisme électoral permanent.

Le Président Jovenel Moïse a pour sa part annoncé, dans un discours devant l’assemblée nationale, le 8 janvier, l’ouverture officielle des candidatures devant représenter le pouvoir exécutif dans le Conseil électoral permanent (CEP).

Selon la constitution amendée (en 2011), il revient à ces trois pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire) de se mettre d’accord pour mettre en place cette institution.

Dans ses dispositions transitoires, la Constitution de 1987, avait prévu un Conseil électoral provisoire pour organiser l’élection de 1987. Toutes les autres joutes électorales devaient être organisées par le Conseil électoral permanent, lequel n’a jamais été constitué à date, en raison notamment de “calculs politiciens” de la part des Chefs d’Etat qui se sont succédés.

Plusieurs secteurs, notamment politiques, ont, ces dernières semaines, réprouvé la façon dont l’Exécutif opère en vue de constituer un Conseil électoral permanent, qui pourrait être, selon eux, inféodé au régime Tèt Kale, deuxième version. Ces mises en garde sont ignorées par le Chef de l’Etat.

Conseil constitutionnel

Une autre entité prévue par la Constitution, et dont le Chef de l’Etat a réitéré la volonté, dans sons récent discours devant l’Assemblée nationale, de mettre en place, est le Conseil constitutionnel.

A l’instar du Conseil électoral permanent, le Conseil constitutionnel sera formé de 9 personnalités qui seront choisies, à part égale, par les 3 pouvoirs de l’Etat.

“Cependant, le Conseil constitutionnel requiert une démarche beaucoup plus complexe, puisqu’il est prévu que chaque pouvoir aura à désigner 3 membres à raison d’un ancien juge, d’un avocat et d’une personnalité de la société civile”, a indiqué le sénateur Youri Latortue, ajoutant que pour ces postes, les candidats doivent avoir 40 ans ou plus.

Selon l’article 190 bis de la Constitution amendée, « le conseil Constitutionnel est un organe chargé d’assurer la constitutionnalité des lois. Il est juge de la constitutionnalité de la loi, des règlements et des actes administratifs du pouvoir exécutif. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours ».

Des secteurs de l’opposition et de la société civile affichent par rapport aux velleités pour mettre en place le Conseil constitutionnel la même réticence dont ils font montre face à la formation du Conseil électoral permanent. Ces secteurs craignent que le régime Tèt Kale ne soit mû que par la volonté de consolider son pouvoir, en accaparant et vassalisant ces entités prévues par la Constitution.

Rapport Pétrocaribe

Un autre dossier pendant, et non des moindres, est le rapport d’enquête de la commission éthique et anti-corruption du Sénat sur le programme Pétrocaribe. Ledit rapport épingle plus d’une quinzaine de personnalités - dont deux anciens Premiers ministres, Jean Max Bellerive (novembre 2009 - mai 2011) et Laurent Salvador Lamothe (mai 2012 - décembre 2014) - ainsi que d’anciens ministres, d’anciens directeurs généraux et des responsables de firmes de constructions, impliquées dans des appels d’offres suspects.

Ce rapport n’a, jusqu’à présent, pas été l’objet de discussions approfondies au Sénat de la république. L’absence des sénateurs a empêché la tenue d’une séance, prévue le 30 novembre 2017, autour du rapport. Des discussions, entamées sur ce dossier, au Sénat, le 14 novembre 2017, ont été également discontinuées.

Devant des centaines d’Haïtiens, à Paris, à la mi-décembre 2017, le Président Jovenel Moïse a assimilé le rapport du Sénat à une tentative de persécution politique et indexé « un empressement visant à détourner l’attention ».

Youri Latortue, président du Sénat d’alors, avait jugé regrettables ces propos du Chef de l’Etat, tout en se disant d’accord avec le président sur la question de la persécution politique.

« Personne ne doit être persécuté sur la base de son appartenance politique », argue-t-il. Cependant, nuance Latortue, le président a commis une erreur dans ses commentaires sur le rapport. « Ce rapport est l’œuvre du Parlement haïtien, un pouvoir indépendant. Les articles 59 et 60 de la Constitution sont clairs. Le Sénat, après avoir mené son enquête, en fonction de l’article 118 de la Constitution, peut faire un suivi au niveau des instances judiciaires », a martelé Youri latortue.

La corruption et l’impunité ont été parmi les principaux handicaps au fonctionnement de la justice en Haïti, au cours de l’année 2017. Et pour cause, le mardi 5 décembre 2017, des milliers de personnes ont marché dans les rues de Port-au-Prince, contre la corruption et l’impunité, à l’initiative du Collectif du 4 décembre et de plusieurs organisations de la société civile.

Un agenda copieux sur fond de suspicion

Au vu de ces dossiers, un agenda copieux, sur fond de suspicion, attend les bureaux fraîchement élus et les assemblées des deux chambres du Parlement. Et dire que nous n’avons pas fait état de l’examen à venir de la loi des finances 2018-2019 (qui est en voie de finalisation, selon le Ministre des Finances, Jude Alix Patrick Salomon).

Plusieurs secteurs du pays avaient dénoncé le budget de l’exercice précedent (2017-2018), le qualifiant de « criminel, d’anti-peuple ». Des protestations en cascade avaient eu lieu dans plusieurs villes du pays, notamment à Port-au-Prince.

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COMPOSITION DES NOUVEAUX BUREAUX ELUS DANS LES 2 CHAMBRES

Composition du bureau du bureau du Sénat :
Joseph Lambert, Président (Sud-Est)
Pierre Francois Sildor, Vice-Président (Sud)
Onondieu Louis, Questeur (Nord-Ouest)
Dieupie Chérubin, 1er secrétaire (Sud-Est)
Joseph Willot, 2e secrétaire (Centre)
 
Composition du bureau du bureau de la Chambre des Députés
Gary Bodeau, Président (Delmas)
Caleb J. Desrameaux, Vice-président aux Séances (Tabarre)
Myriam Amilcar, Vice-président aux Affaires Administratives (Saint-Michel de l’Attalaye)
Jean Willer Jean, Premier Secrétaire (Croix-des-Bouquets)
Guerda Benjamin, Deuxième Secrétaire (Savanette)
Anouce John Bernard, Questeur(Beaumont)
Louis Mary Bonhomme, Vice-questeur (Saint-Louis du Nord/Anse-à-Foleur)