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Haiti : Évasion massive et enjeu électoral

P-au-P., 24 févr. 05 [AlterPresse] --- L’évasion massive de prisonniers le 19 février dernier à la prison centrale de Port-au-Prince montre la fragilité et la faiblesse du système sécuritaire en Haiti, a estimé le Secrétaire Général du Conseil Electoral Provisoire (CEP), Rosemond Pradel.

Cette action soulève des préoccupations, alors qu’on s’approche de la période électorale et que le CEP projette de lancer bientôt le processus d’inscription des électeurs. Si cette première étape échoue, les élections ne pourront avoir lieu à la fin de l’année, a prévenu le conseiller.

Pradel préconise des efforts de la part du gouvernement, de la police et de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) en vue du renforcement du système de sécurité, afin de garantir le déroulement des différentes phases du processus électoral.

Le CEP a déjà fixé les rendez-vous électoraux : 9 octobre pour les élections municipales et locales, 13 novembre pour le premier tour des législatives et présidentielles et 18 décembre pour le deuxième tour.

Ces compétitions devraient mettre fin à la transition ouverte avec le départ de l’ancien Président Jean Bertrand Aristide le 29 février 2004 et qui ne doit pas excéder 2 ans. Cette transition ne doit pas aboutir à un échec, répètent à tout bout de champ des responsables politiques de tout bord.

Le défi électoral

Les prochaines compétitions électorales représentent, sur le plan politique, le défi majeur que doit affronter l’actuelle administration provisoire. « La mission la plus importante qui nous attend cette année c’est l’organisation et la réalisation des élections », déclarait le Premier Ministre Gérard Latortue le 3 février au palais présidentiel, lors de la cérémonie d’investiture du gouvernement remanié.

Les 4 millions d’électeurs haïtiens auront à choisir un Président, 30 sénateurs, 90 députés, ainsi que les membres des conseils et assemblées municipaux et locaux à travers le pays.

Latortue prend en compte que la réussite des prochaines élections passe par l’établissement d’un climat de sécurité. En octobre 2004 il créait une Secrétairerie d’Etat à la Sécurité Publique, en tant qu’élément clé du dispositif de sécurité. « La sécurité est une priorité essentielle pour la réussite de la transition », martelait-il.

A cette époque, les anciens partisans armés d’Aristide, regroupés dans quelques quartiers populaires de Port-au-Prince, venaient de lancer un mouvement violent en faveur du « retour physique » de l’ancien Président en Haiti. Il est vrai que depuis, l’intensité de ces actes de violence a diminué, mais sporadiquement on assiste à des flambées, faisant en 4 mois 403 tués par balles, dont 19 policiers, selon la Coalition nationale pour les droits des Haitiens (NCHR).

Un autre pôle de tension qui risque de troubler l’atmosphère électorale est celui constitué par les membres de l’ancienne armée dissoute en 1994. Ces anciens militaires, dont la plupart ont participé à des actions armées contribuant à la chute de l’ancien régime, ont conservé leurs armes pour exiger la reconstitution de l’armée et le paiement de salaires accumulés et indemnités.

Le gouvernement a entrepris depuis décembre 2004 un processus de règlement des indemnités, mais la situation n’a pas pour autant été modifiée. D’ailleurs, les anciens militaires ont été accusés par la Direction de la police dans l’assassinat de 4 policiers le 7 février. Leur chef autoproclamé, Ravix Remissainthe, qui nie toute participation à ce crime, est activement recherché.

La question de la sécurité et du rétablissement du calme sur tout le territoire haïtien, dans la perspective électorale, est indissociable d’une initiative de désarmement général, indiquent certains secteurs politiques. Il faut désarmer, affirme par exemple Evans Paul de la Convention Unité Démocratique (KID) et Paul Denis de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL), deux des principaux partis d’opposition à l’ancien régime.

D’autres secteurs penchent de préférence en faveur de la remise en place de fait de l’armée, en vue, soutiennent-ils, de la sécurité. C’est la position, entre autres, de Hubert de Ronceray du Grand Front de Centre Droit (GFCD) et de Reynold Georges de l’Alliance pour la Libération d’Haiti (ALAH).

Cependant, la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH), sous commandement militaire du Brésil, affirme disposer désormais des moyens nécessaires, avec notamment un effectif d’environ 6.000 militaires et plus de 1.400 policiers, pour établir un climat propice aux élections.

Parallèlement, la MINUSTAH appuie l’idée d’un processus de « dialogue national » prôné par le gouvernement en place. Un projet est lancé en ce sens à la mi-février de cette année par le Chef civil de la Mission des Nations Unies en Haiti, l’ambassadeur chilien Juan Gabriel Valdes, pour assister les différents secteurs "dans leurs efforts de reconciliation" et de "construction de solides et légitimes institutions démocratiques qui travaillent au développement collectif d’Haïti".

Ambiance fébrile en perspective

L’ambiance électorale s’annonce fébrile avec l’éventualité de la participation de plus de 90 partis politiques, si l’on en croit les velléités exprimées. Ce que redoute le Premier Ministre, qui invite à un regroupement par tendances. Le Parti National Progressiste Haitien (PANPRHA), le Congrès National des Mouvements Démocratiques (CONACOM) et le parti dénommé Ayiti Kapab (Haiti peut se prendre en main), tous de la mouvance social-démocrate, ont entamé des démarches de fusion.

De son coté, l’ancien parti gouvernemental, Famille Lavalas, n’envisage pas (encore) de prendre part au processus et réclame, pour ce faire, la libération de ses membres emprisonnés sous diverses accusations et qu’il considère comme des « prisonniers politiques ». Parmi eux, on compte l’ancien Premier Ministre Yvon Neptune, arrêté en juin 2004 pour implication présumée dans une tuerie effectuée à Saint Marc (Nord) 2 semaines avant le départ d’Aristide.

Le coût global des prochaines opérations électorales est estimé à 44 millions 300 mille dollars américains, qui devraient être fournis en majeure partie par la communauté internationale. L’Etat haïtien a prévu d’y contribuer pour 3 millions de dollars.

La crédibilité du processus représente également un enjeu important. Il y a 5 ans, des élections contestées ont beaucoup contribué à approfondir la crise qui secoue actuellement le pays. [gp apr 24/02/2005 08:40]