Par Dr Mario Theliard*
Soumis à AlterPresse le 4 janvier 2018
En référence à l’article paru dans l’édition du 23 décembre 2017 du New York Times sous le titre « Stoking fears, Trump defied bureaucracy to advance immigration agenda », j’aimerais revenir sur les progrès scientifiques accomplis au cours de ces 3 derniers décennies et sur l’état actuel de l’épidémie en Haïti, presqu’île considérée comme un succes story dans la lutte contre la pandémie du Sida. Je le ferais à titre de médecin ayant 14 ans d’expérience de recherche et de prise en charge de Personnes vivants avec le VIH (PVVIH) tant en Haïti (Centre GHESKIO), qu’aux Etats-Unis d’Amérique, Broward County où je travaille depuis plusieurs années.
Michael D. SHEAR et Julie HIRSHFIELD, rédacteurs de l’article rapportent ainsi des propos que le président des États-Unis, Donald Trump, aurait tenus sur les immigrants Haïtiens, Afghans et Nigérians : « More than 2,500 were from Afghanistan, a terrorist haven, the president complained. Haiti had sent 15,000 people. They “all have AIDS”. Forty thousand had come from Nigeria, Mr. Trump added. Once they had seen the United States, they would never “go back to their huts” in Africa ». Les journalistes de New York Times utilisent comme sources les révélations de certains éléments de l’entourage de Monsieur Trump. Ce qu’on appelle une fuite d’information.
Pour l’histoire, je dois dire que je n’ai pas entendu personnellement cette déclaration, mais à lire le texte journalistique, n’importe quel nouveau-né peut aisément déterminer qu’une telle déclaration porte l’ADN du même père que les rhétoriques xénophobes aux réalités des Mexicains et des Musulmans. On se souvient encore de celles que M. Trump tenait le 27 novembre dernier à propos de la Sénatrice du Massachusetts, Elizabeth Warren. En se référant à l’honorable sénatrice, il évoqua l’image de “Pocahontas”, lors d’une cérémonie d’hommage à un vétéran Amérindien.
D’autre part, le très expérimenté New York Times, quotidien plus que centenaire, a questionné six témoins, dont quelques-uns de l’entourage quotidien le plus proche de M. Trump, avant de publier cet article. Le NY Times se tient ferme derrière son article malgré les invectives et les soi-disant démentis apportés par la porte-parole, très gênée, de la Maison Blanche, Mme Sarah Huckabee Sanders. Ces démentis ne sont et ne seront jamais pris au sérieux car, même après avoir fait son mea culpa pour avoir déclaré qu’il a l’habitude d’introduire ses mains au niveau de la partie génitale des femmes sans leur consentement, Donald Trump a récemment mis en question la véracité de la vidéo.
Revenons aux progrès scientifiques accomplis au cours des trente dernières années et à la situation actuelle de la pandémie en Haïti. L’humanité a toujours connu des épidémies, qu’elles soient naturelles ou accidentellement créées. La migration, le tourisme ou les invasions militaires ont toujours été connus comme les moyens de propagation épidémique les plus communs. En 1981, le “Center for Disease Control and Prevention” (CDC) a faussement imputé la responsabilité aux Haïtiens d’introduire le VIH aux Etats-Unis, ce que le réputé anthropologiste et chercheur Paul Farmer a démenti à travers ses travaux publiés dans l’ouvrage : AIDS and Accusation : Haiti and the Geography of Blame, (Farmer 2006, 146-7). À travers ces mêmes travaux, Dr. Farmer a même prouvé le contraire que “HIV was introduced in Haiti by American Sexual tourists” (Farmer 2006, 146-7)”. Environ 36 ans plus tard, quoique le Center for Disease Control and Prevention (CDC) en eu fait retrait, les effets de ces stigmatisations racistes ne cessent de guetter les Haïtiens. Nous croyons même avoir terminé avec ces invectives quand actuellement, ici aux Etats-Unis, l’une des stratégies d’attirer, de maintenir les PVVIH et de réduire les disparités dans l’offre des soins de santé à des groupes ethniques minoritaires est le fameux concept “Culture Competence Care” qui consiste à adapter l’approche générale à la culture et aux croyances des groupes minoritaires afin d’obtenir l’adhésion maximale dans la prise en charge de l’infection à VIH.
Le dernier rapport du Programme National de Lutte contre le SIDA (PNLS) publié par le Ministère haïtien de la Santé Publique et de la Population en mars 2016, à la page 12, (alinéa 2.2), fait état de la stabilisation de la prévalence de l’épidémie sur toute l’étendue du territoire national à 2.2% sur un intervalle de 10 ans : 150 000 cas sur une population de 10 million d’habitants environ, ce qui coïncide avec la tendance à la baisse annuelle de l’incidence telle que témoignée dans le même rapport : Baisse de l’incidence de l’infection à VIH en Haïti entre 2004 – 2014 de 27%, page 29, (alinéa 3.3). Elle est aussi reflétée par la diminution de 50% du nombre de décès lié au VIH sur 6 ans, de 2008 à 2014 (page 30, alinéa 3.4) depuis l’introduction des traitements avec les Antirétroviraux, en 2003. À date, ils ne sont pas très nombreux les pays qui ont, autant qu’Haïti, fait reculer les indicateurs épidémiologiques dans le monde en matière de prise en charge de l’infection à VIH. En plus, Haïti a énormément progressé dans l’amélioration du protocole de prise en charge de l’infection au VIH a travers les nombreux travaux de recherches menés aux centres GHESKIO et a Zanmi La Sante.
Les acquis scientifiques des 40 dernières années ont repoussé les frontières de la prise en charge de l’infection à VIH et ont amélioré considérablement la qualité et l’espérance de vie des PVVIH au point que dans moins d’un mois, toute personne bien adhérente au traitement et aux conseils médicaux peut atteindre une suppression virale maximale (VL : <20 copies/ml not detected, c’est-à-dire une charge virale indétectable avec moins de 20 copies de virus par millilitre de sang) et la garder toute sa vie avec un seul comprimé par jour. Actuellement, les nombreuses recherches, en cours tant aux États-Unis qu’ailleurs, tendent vers l’éradication des réservoirs latents de VIH par de nouvelles stratégies telles que :
L’approche “Kick and kill” qui consiste premièrement à activer l’expression de l’ADN des provirus au niveau des CD4 latents et deuxièmement à augmenter la réponse immunologique et à éliminer les cellules infectées. Cependant, beaucoup d’autres travaux sont encore à faire pour relever les défis de cette stratégie. Je vous épargne des détails immunologiques pour vous faciliter la compréhension de l’essentiel (Fundamental of HIV, 2017, Chap. 6 HIV Cure strategies) ;
L’approche “Latency Reversal” consistant à faciliter l’évasion de cellules CD4 T infectées latentes chez les patients à charge virale indétectable afin de les rendre susceptibles d’être attaquées par les Lymphocytes T Cytotoxiques, je vous épargne encore des détails scientifiques, (Fundamental of HIV, 2017, Chap. 6 HIV Cure strategies) ;
Beaucoup d’autres stratégies comme “Immune Enhancing strategies” et “Gene Modification strategy” encore plus complexes que les deux précédentes sont également à l’étude, (Fundamental of HIV, 2017, Chap. 6 HIV Cure strategies).
Tout ceci me permet d’espérer que sous peu, un traitement définitif de l’infection à VIH verra le jour en moins d’un demi-siècle de recherche. Le monde scientifique est revenu de trop loin et a accompli beaucoup trop pour une telle déclaration (celle de M. Trump), le pire c’est que toutes ces données épidémiologiques et scientifiques élémentaires sont disponibles et gratuitement accessibles à quiconque veut se préparer à se porter candidat à n’importe quel poste au monde.
Par ces déclarations blessantes, M. Trump embarrasse tout le monde :
Il s’embarrasse lui-même, car il n’aura jamais le courage de les confirmer ;
Il embarrasse son entourage au point que les témoins ne peuvent plus garder les secrets ;
Il embarrasse son porte-parole qui est visiblement gêné et peut même avoir du mal à répondre aux questions de ses enfants après une journée de travail ;
Il embarrasse la diplomatie américaine qui aura du mal à nettoyer la voie après son passage ;
Il embarrasse le parti Républicain ;
Il embarrasse les immigrants, surtout les noirs des États-Unis ;
Il embarrasse les personnes vivants avec le VIH à travers le monde et autour de lui à la Maison Blanche, qui sait, dans sa famille ;
Il embarrasse tout un vaillant peuple, celui d’Haïti qui a versé son sang à Savannah, Georgia, pour aider les États-Unis à devenir le pays qu’il est aujourd’hui, pendant que M. Trump, cherchait des prétextes pour ne pas accomplir son service militaire dans son jeune âge ;
Il embarrasse le peuple américain, etc.
Pour conclure, Il reste beaucoup de progrès à accomplir par le monde scientifique, Haïti a beaucoup d’efforts à faire encore en matière de lutte contre l’épidémie de l’infection à VIH, mais, nous ne sommes plus en 1981, comme la déclaration de M. Trump tend à le faire savoir. Nous ne sommes plus à l’ère ou les personnes vivant avec le VIH préféraient se cacher face à la stigmatisation des ignorants au lieu de chercher l’accès au soin de santé ; nous ne sommes plus à l’époque de chercher qui a tort, car personne n’a jamais eu raison. Au contraire, nous sommes à l’époque de l’entraide, de la prévention avant et après l’exposition à VIH, à l’époque de “Test and Treat”, à l’époque de l’accès au soin de santé et surtout du maintien en soin en attendant la cure définitive.
* MD, FP, HIV Provider
Coconut Creek, Florida, le 31 décembre 2017