Par Gotson Pierre
P-au-P., 01 janv. 2018 [AlterPresse] --- Il faut un nouveau départ pour Haïti. C’est, en substance le cri lancé par l’éditorial d’AlterPresse de la fin de l’année 2017, invitant à construire une société différente qui puisse rompre avec le sentiment permanent d’échec.
Il se trouve que le dernier essai de notre confrère Hérold Jean-Francois, « Citoyenneté et État de droit en Haïti », plaide en faveur de cette rupture.
Ce livre, qu’il a signé à la fin de l’année 2017, aborde la difficulté de la construction d’une société de droit en Haiti, juste quête des 30 dernières années, dans le cheminement d’une longue et chaotique sortie de dictature, elle-même trentenaire.
Au moment de marquer le 214e anniversaire de la création de cette république, l’ouvrage de Jean-Francois relance la réflexion sur les obstacles à l’épanouissement de la « nation » haïtienne.
Pour le confrère, il y a, pour le moment, « deux nations » dans la société haïtienne.
Ce pays issu d’un « processus douloureux » qui a permis de fondre les différences ethniques en une entité homogène, n’est pas parvenu à la création d’ « une » véritable société.
La société haïtienne d’aujourd’hui est « une entité disparate, disloquée, incohérente », sans lien social entre les citoyens\citoyennes.
C’est, selon lui, ce déficit de lien social qui entrave l’entrée dans la « dimension nationale ».
En fait, soutient Hérold Jean-Francois, nous n’avons pas réussi à « surmonter les antagonismes entre héritiers des esclaves et descendants des colons », à la suite de l’indépendance de 1804, qui a permis de proclamer la 1ère République issue d’une révolution anti-esclavagiste.
La « nation civique » n’émerge toujours pas, plus de deux siècles plus tard, à cause du « mépris réciproque » entre la minorité des nantis et la masse des arrières petits fils et filles d’esclaves.
Comment créer les conditions d’intégration sociale en Haïti : telle est l’interrogation qui ramène à la nécessité d’une « société civique », c’est-à-dire une société où les acteurs et actrices assument « leur statut de citoyens et citoyennes » et jouent « effectivement leur rôle ».
Mais le constat de Jean-Francois est navrant : la « citoyenneté, un concept creux en Haïti ». Ce pays est constitué d’un « ensemble d’individus » et « le rapport à l’autre n’est pas bien défini ». L’égoïsme prévaut dans une sorte de « jungle ».
Ce déficit de citoyenneté est alimenté par la défaillance de l’État, ce dernier n’aidant pas l’individu à « s’élever au rang de citoyen ».
En ce sens, le journaliste et écrivain met en exergue l’incapacité - ou peut-être l’absence de volonté - de l’Etat à doter les natifs d’Haïti de document d’identité.
On a suivi tous les plaidoyers qui se sont développés autour du droit à un acte de naissance en Haïti. Et on sait que ce problème, qui constitue un handicap majeur en matière d’état civil et de filiation est loin d’être résolu.
Il parait que les actuels gouvernants préfèrent même doter les Haïtiens d’un document de voyage (le passeport) au lieu de prendre les dispositions d’assurer l’accès au document de base qu’est l’acte de naissance !
Pour Hérold Jean Francois, les conditions socio-économiques d’existence où manger devient une « priorité » - il faut ajouter ‘absolu’ - ne facilitent pas « la participation à des taches citoyennes ».
A souligner que cette extrême précarité est en partie à la base des pratiques clientelistes qui se développent dans notre société. Voilà pourquoi les entités politiques semblent beaucoup plus se pencher sur des stratégies de se servir de la précarité pour assouvir des intérêts de pouvoir que pour rechercher des voies d’amélioration des conditions de vie.
Dans cette société, dominée par la précarité - entretenue ! -, règnent également l’impunité et la corruption - la société est « prise en otage par les malfrats » -, des problèmes cuisants que la « faiblesse institutionnelle », notamment celle de la justice, ne permet pas d’adresser correctement.
La seule « institution » omniprésente et qui tend à monopoliser l’ensemble des pouvoirs serait la présidence. Le régime instauré par la constitution de 1987 avec trois pouvoirs distincts : l’exécutif, le législatif et le judiciaire, ne parvient pas encore à « dompter » le chef de l’État « tout puissant ».
L’État de droit devient ainsi « un rêve inaccessible ».
L’État qui devra prioriser l’intérêt commun « n’est pas né ». Il est à venir cet État qui devra travailler à la transformation du pays.
Pour cela, préconise l’auteur de « Citoyenneté et État de droit en Haïti », il faudra jeter « des passerelles » en vue d’un « dialogue social ».
La société civile devra elle aussi jouer sa participation en se dynamisant. Il y a probablement sur ce point un défi énorme, car le contexte conditionne les actions de la société civile. Il y a une profonde réflexion à faire et des réponses essentielles à trouver. On est encore à s’interroger sur les causes de la faible participation aux dernières élections générales 2016-2017, soit autour de 21%. Participation décevante également à la marche contre la corruption du 5 décembre 2017, contrairement à la multitude mobilisée de manière récurrente en République Dominicaine.
Pour sa part, l’élite économique devra « redéfinir sa mission en faisant son bilan », un bilan qui se reflète à travers ce que Jean-François appelle la « colonisation économique » d’Haïti par la République voisine. On pourrait en dire plus, quand on considère le niveau de développement des infrastructures et la qualité des services en comparaison avec notre pays !
Haïti est en effet une société de classes et où le fossé qui sépare les couches sociales est inacceptable. C’est un pays de clans.
Nous sommes en présence d’un « apartheid social », qui « conduit tout droit au danger de disparition » du pays.
Un seul choix, selon Hérold Jean-François : « essayer autre chose ». Ce qui ne peut se faire sans un « nouveau départ » avec « un nouveau regard ».
Pour lui, il faut parvenir à l’établissement d’une « société haitienne formée de groupes sociaux différents, mais intégrés dans la nation suivant la vision fondatrice (...) liberté, égalité, fraternité ».
Il faut surtout en finir avec l’exclusion. Ce ne sera pas donné. Ce sera le résultat d’un combat constant, lucide et intelligent, alliant l’engagement, la fermeté, la souplesse, la tolérance et le respect absolu de principes fondés sur une entente nationale, démocratique et progressiste à construire de toute urgence. [gp apr 02/01/2018 12:30]
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Herold Jean Francois, Citoyenneté et État de droit en Haïti, Éditions Mediatek, décembre 2017, Port-au-Prince, Haïti