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La migration internationale (y compris Haïti) : Quelles perspectives pour l’année 2018 ?

Par Smith Augustin et Wooldy Edson Louidor

Port-au-Prince, 22 déc. 2017 [AlterPresse] --- L’année 2017 touche à sa fin, avec peu de nouveautés concernant la migration internationale. L’heure est au bilan et, surtout, à l’analyse pondérée des zones d’ombre et des perspectives pour l’année 2018, dans un panorama international de plus en plus inquiétant.

Des zones d’ombre

Les crises migratoires et de réfugiés continuent de plus belle, à travers le globe. Alors que le monde n’est pas en guerre (du moins officiellement), le nombre actuel des personnes réfugiées et déplacées de force est comparable à celui de l’époque des deux guerres mondiales du XXe siècle.

Ces crises migratoires et de réfugiés à l’échelle mondiale sont sur-diagnostiquées. Les facteurs à l’origine de ces crises - qui sont identifiés dans ces diagnostics - sont aussi légion que la complexité du phénomène migratoire.

Figurent, entre autres facteurs, l’absence de volonté politique, le manque d’articulation entre États et gouvernements, le repli identitaire de certaines sociétés, mondialisation de l’indifférence, l’agressivité du capitalisme néolibéral déprédateur, le changement climatique et les catastrophes naturelles, l’inégalité grimpante entre le Nord et le Sud (et à l’intérieur des sociétés), la crise de notre humanité et de ses principes et valeurs sacrés, dont ceux des droits humains.

Au-delà des diagnostics, les zones d’ombre sont en train de se propager. D’où la nécessité urgente de trouver des solutions concrètes et durables, face à la situation déplorable de plus de 65 millions de personnes déplacées de force à travers le monde, dont plus de 21 millions de réfugiés, 3 millions de demandeuses et demandeurs d’asile, et plus de 40 millions de personnes déplacées dans leur propre pays (statistiques de l’Organisation des Nations unies / Onu pour 2016).

Quelles perspectives pour l’année 2018 ?

Un panorama mondial de plus en plus inquiétant

La migration internationale fait partie du grand scénario du panorama mondial, de plus en plus inquiétant. Au-delà des bruits assourdissants, dans les médias internationaux, autour des conflits impliquant le président américain Donald Trump et son homologue nord-coréen Kim Jong-un (né le 8 janvier 1983 à ‎Pyongyang) ou encore le président russe Vladimir Poutine, l’agenda global des États et gouvernements (toutes tendances confondues) est dominé par la fermeture des frontières, le repli identitaire et l’affirmation de la souveraineté étatique-nationale aux dépens de la protection des droits humains.

Par exemple, l’Europe et les États-Unis d’Amérique s’emmuraillent de plus en plus ; le fantôme du racisme, de la discrimination et de l’hostilité guette.

Dans ce contexte d’inimitié envers l’étranger et l’autre en général (le Noir, le Latino, l’Arabe, etc.), les partis politiques de l’extrême-droite font florès et les discours xénophobes réverbèrent, engendrant de la terreur.

Le néonazisme a resurgi avec force en Allemagne, obligeant la chancelière réélue Angela Merkel à composer avec des zones d’ombre de l’histoire allemande, alors que les États-Unis d’Amérique regardent, avec préoccupation, le déclin de leurs acquis majeurs, en termes de libertés fondamentales et de lutte contre la discrimination raciale.

L’Amérique Latine, autrefois terre hospitalière pour les réfugiés des pays latinos et caribéens, de l’Europe et de l’Afrique, se convertit, de plus en plus, en un ensemble de pays-ghettos, fermés sur eux-mêmes et jaloux de leur souveraineté nationale. Le temps des grandes solidarités et hospitalités s’y effrite.

« Au cours des cinq dernières années, le nombre de demandeuses et demandeurs d’asile a augmenté de manière alarmante, soit plus de 782.11 %, alors qu’on observe une diminution de presque 9% en ce qui a trait à la quantité de personnes qui ont été reconnues comme réfugiés », ont souligné la Commission interaméricaine des droits humains (Cidh) et du Haut-Commissariat pour les réfugiés (Hcr), dans une déclaration conjointe, à l’occasion de la Journée internationale des réfugiés [1]. : .

Cependant, le cas de l’Union européenne (Ue) et des États-Unis d’Amérique est beaucoup plus inquiétant, en ce qui a trait à la protection des droits humains des migrantes et migrants, et des réfugiés. L’adoption, par l’Union européenne, en date du 18 mai 2016, d’un accord [2] conjoint avec la Turquie, pour répondre à l’arrivée de flux de réfugiés (provenant majoritairement d’une Syrie en guerre), a marqué ce recul.

Sécurisation des frontières par-delà la protection des vies, interception en haute mer des réfugiés en fuite de la guerre pour empêcher leur avancée en Europe, non-respect systématique du procès, en bonne et due forme, vis-à-vis des demandeuses et demandeurs d’asile, entassement des réfugiés dans des camps en Grèce, en lieu et place de l’accueil sur la « patrie des droits humains », etc... Autant de non-sens et de violations du droit international, qui ont poussé des organismes, comme Médecins sans frontières (Msf), à critiquer et à dénoncer cet accord Ue-Turquie !

D’autre part, les multiples mesures migratoires, adoptées par le président étasunien Donald Trump, à coup de décrets présidentiels, ordres exécutifs et autres initiatives régressives, violent vertement les principes fondamentaux des droits humains et, en particulier, le droit international des migrantes et migrants, et des réfugiés.

Faut-il citer, à titre d’exemples, l’interdiction aux citoyennes et citoyens, originaires de huit pays, majoritairement musulmans, d’entrer aux États-Unis d’Amérique, la diminution drastique du nombre de réfugiés admis en territoire étasunien depuis la création de ce programme en 1980, les arrestations et déportations massives de migrantes et migrants irréguliers sans aucune forme de procès, la finalisation annoncée du programme Statut de protection temporaire (TPS) en faveur des migrantes et migrants haïtiens, nicaraguayens et soudanais sous menace de déportation, entre autres [3] .

Entre terreur et espérance face à l’avenir

Entre-temps, l’impatience gagne les cœurs. L’année 2017 laisse, derrière elle, une mixture de terreur et d’espérance face à l’avenir.

Dans ce panorama, il y a lieu de situer la géographie des crises migratoires et de réfugiés en Méditerranée (avec les Syriennes et Syriens, les Africaines et Africains), en mer d’Andaman (avec les Rohingyas), à la frontière entre le Mexique et les États-Unis d’Amérique et dans le couloir centre-sud-américain (avec les Haïtiennes et Haïtiens, les Cubaines et Cubains). Et ce, sans parler de multiples non-lieux (ou zones de non–droit), qui pullulent dans les cinq continents et qui sont sous contrôle strict des réseaux criminels, dont des territoires en Libye, où la vente aux enchères d’exilés africains, convertis en esclaves, a été filmée, en novembre 2017, par CNN, et le train de la mort (appelé « la Bestia ») au Mexique, où des migrantes sont impunément violées.

Par ailleurs, des migrantes et migrants sont constamment mangés par des animaux sauvages dans la forêt du Darien, ou noyés dans des rivières en crue en Amérique Centrale. Des migrantes vénézuéliennes sont obligées de se prostituer à Cúcuta, ville colombienne frontalière du Venezuela, en vue de s’acheter de la nourriture et des médicaments pour leurs enfants, laissés dans un pays autrefois riche, mais actuellement en proie à une crise humanitaire aigue et prolongée.

Malgré les dénonciations coutumières, le drame de la migration est, en gros, souvent silencieux, invisible, et se passe loin des projecteurs des médias, de la présence et de l’action des organismes étatiques et internationaux, des défenseurs des droits humains et des organisations de la société civile.

Il y a donc peu de place pour l’espérance, sinon celle que marque l’initiative, lancée par l’Organisation des Nations unies (Onu), d’organiser un Pacte mondial sur les migrantes et migrants et les réfugiés. Cet événement majeur, qui réunira les chefs d’État et de gouvernement du monde entier, aura lieu en l’année 2018 à New York. Il aura permis, en dépit de la décision du président américain de se retirer du Pacte mondial, que la question migratoire soit encore à l’ordre du jour, dans l’agenda géopolitique global.

Et ce, depuis l’arrivée à la tête de l’Onu, le 1er janvier 2017, de l’ex secrétaire du Haut-Commissariat pour les réfugiés (Hcr), le Portugais António Guterres, qui a renforcé le positionnement de la question migratoire comme l’un des défis majeurs du monde actuel. Le Secrétaire général de l’Onu a, en effet, dynamisé des rencontres interétatiques et multilatérales, dans toutes les régions du monde, en vue de préparer le Pacte mondial, en construisant des documents de travail et autres intrants sur la situation migratoire et en articulant des propositions de solution.

Le Pacte mondial devrait, en fait, contenir des engagements de la part des États et gouvernements et des mesures concrètes, visant à fournir un « cadre d’action globale » pour les réfugiés et « pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ».

Que peut-on espérer pour l’année 2018 ?

Le Pacte global marquera, sûrement, un tournant dans la question migratoire pour l’année 2018. De plus en plus d’États et de gouvernements et de blocs régionaux, dont l’Union européenne, prennent au sérieux l’importance cruciale de cet événement, qui cherche à apporter une réponse mondiale proportionnelle à l’ampleur du phénomène migratoire.

Le leadership de l’Onu et, en particulier, de son secrétaire général se fera sentir au milieu des grands débats, où des autorités de pays d’arrivée, d’origine et de transit s’affronteront, tenant compte des divergences d’intérêts.

Cependant, on est en droit de se demander si les engagements, que prendront les États et les gouvernements envers les personnes migrantes et réfugiées, ne vont pas faire partie, tout simplement, d’une longue liste de pactes, d’accords, de traités, de déclarations et autres instruments de droits humains, au niveau international et régional, qui sont restés lettres mortes.

Tout semble indiquer que, quant à la protection des droits humains des étrangères et des étrangers, les États et gouvernements ne sont pas encore prêts à céder leur souveraineté.

L’Union européenne présente, en ce sens, l’exemple le plus éloquent : en dépit des accords de droits humains, déjà convenus entre les États membres de la communauté, des pays comme la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Roumanie préfèrent résoudre, à leur manière, les problèmes liés à la question migratoire.

Le panorama se fait de plus en plus sombre, face à l’évidence que la solution du problème migratoire « mondial » requiert une gouvernance mondiale, donc une autorité supranationale, qui puisse imposer le respect et la pérennité des accords, conclus entre tous les États du monde, autour d’un certain minimum d’actions communes à mettre en œuvre.

La migration est une affaire globale (global issue). La migration nécessite l’adoption d’une vision et d’une action globales, tant pour être comprise dans sa complexité, qu’en vue de pouvoir résoudre les défis et les problèmes, qu’elle suscite à travers le monde. [sa wel rc apr 22/12/2017 20:00]