Par Wesner Désir*
Soumis à AlterPresse le 20 décembre 2017
¨Le serpent qui mord est celui qui guérit¨, dixit la Bible.
L’organisation et le développement du secteur touristique haïtien furent l’œuvre d’un homme de génie qui a dirigé le pays d’une main de maître. La plupart des hôtels furent des résidences privées des gens riches transformées et aménagées grâce à l’aide du gouvernement dirigé par un président visionnaire, en l’occurrence Léon Dumarsais Estimé. Cette œuvre savamment orchestrée fut, en grande partie, à la base du progrès que la société haïtienne a connu au cours de la période 1947-1981. A partir de 1981, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, un coup fatal fut asséné à la société haïtienne par la révocation par les Etats-Unis de la Convention de 1919 portant sur la parité fixe gourde/dollar, la libéralisation effrénée de l’économie haïtienne entraînant ainsi le déclin de l’ensemble de l’appareil productif et de l’industrie touristique.
Du point de vue idéologique, une vaste campagne de dénigrement fut montée de toutes pièces contre la société haïtienne, l’accusant, à tort, d’être à la base de la propagation du virus d’une maladie, à l’époque, mystérieuse, dénommée : Hémophile, Homosexuel, Héroïnomane, Haïtien (4H), rebaptisée plus tard : Syndrome Immuno-Déficience Humaine (SIDA). L’incidence d’une campagne pareille fut, en effet, très destructrice pour l’économie haïtienne en général et le secteur touristique en particulier.
Voilà le contexte dans lequel survient, dans les colonnes du prestigieux Magazine Forbes, cet article ô combien bienveillant rédigé par Mme Alexandra Talty intitulé : The 27 Best Budget Travel Destinations For 2018 [1] par lequel Port-Salut, commune du département du Sud (Haïti), est classée en 9ème position sur une liste de vingt-sept (27) destinations recommandées aux visiteurs à revenu moyen, qui voudraient se déplacer en 2018. L´article se démarque de la traditionnelle tentation de ne dépeindre la société haïtienne qu´à partir du diptyque catastrophe (tremblement de terre du 12 janvier 2010 et ouragan Matthew par exemple) et violence. Il souligne l´existence à Port-Salut de cet endroit magique dominé par une plage magnifique et agrémenté des services (hébergement, restauration et d’autres) à bon marché.
Le hic, c’est que ces informations qui devraient être considérées comme une sorte de pain béni n’ont pas été, à mon humble avis, appréciées à leur juste valeur. Voilà ce qui a motivé ma décision de rédiger ce texte qui visait, en somme, à sensibiliser mes compatriotes, tant de l’appareil gouvernemental, du secteur privé des affaires que de la société dans son ensemble. J´ose espérer que cet article peut contribuer à changer la perception d’une partie de l’opinion publique internationale sur la véritable réalité d’Haïti et sur les potentialités dont le pays dispose en termes de : 1) patrimoine bâti (les villes coloniales, le système de fortification composé de cent soixante-seize (176) forts et fortins disséminés à travers le pays, remontant à la période coloniale et la période haïtienne respectivement, 2) les sites naturels sont également multiples, les grottes, de superbes plages, etc. 3) le mode de vie et l’hospitalité de la population. Voilà les composantes du véritable décor d’une société insuffisamment valorisée et exploitée.
Ce sont autant de facteurs qui peuvent être mis en valeur afin de relancer Haïti sur la cartographie et l’échiquier touristique international.
Après avoir été informé de l’existence de l’article de Mme Talty publié dans les colonnes du Magazine Forbes intitulé : ¨The 27 Best Budget Travel Destinations For 2018¨, j’ai pris le soin d’y avoir accès et de le lire attentivement. Alors, imbu de la pertinence de cet article et son incidence comme facteur de changement probable de perception d’une partie de l’opinion publique internationale face à Haïti, j’ai contacté plusieurs amis et des personnalités de divers milieux en Haïti et je me suis vite rendu compte que la plupart d’entre eux n’ont pas su considérer ledit article à sa juste importance. Mon inquiétude devenait alors beaucoup plus grande à ce propos. Il faut sensibiliser l’opinion quant aux retombées positives de cet article, s’il est bien exploité, pour le secteur touristique haïtien en général et celui de Port-Salut (département du Sud) en particulier.
Tout en reconnaissant les limites de mon intervention, j’invite les autorités de l’Etat, le secteur privé des affaires et la société dans son ensemble à faire en sorte de tirer le maximum de profit de cet article. Car, contrairement à certaines gens qui perçoivent dans l’œuvre de Mme Talty une simple recommandation faite à un certain public ou à une certaine clientèle à visiter certaines destinations (27), dont Port-Salut qui, d’ailleurs, est perçue comme un endroit dévasté par l’ouragan Matthew, nous pouvons saisir la balle au bond pour mettre en valeur cette destination et toutes les autres qui sont autant viables, au profit d’une relance de notre tourisme. Il s’agit ici d’être ingénieux, en utilisant, comme les autres pays, les moyens de la publicité et les plateformes des sites qui vendent les destinations touristiques à travers le monde.
D’aucuns se demandent, à tort ou à raison : Est-ce que l’enquête de Mme Talty fut réalisée avant ou après l’ouragan Matthew ? Un pareil questionnement vise à analyser le bien-fondé du choix de la Journaliste de porter Port-Salut sur la liste des destinations à visiter au cours de l’année 2018. Pour étayer cette démarche de recommandation, comme elle l’entend, la rédactrice a adopté, comme méthodologie, les dispositions suivantes :
le ciblage de la clientèle (les petites bourses, ceux-là qui veulent voyager pas cher)
la promotion des atouts de Port-Salut (plage magnifique, soleil, etc.)
la déconstruction de certaines idées reçues ne présentant Haïti que comme une société dominée par la violence et en proie aux méfaits de la double catastrophe du 12 janvier 2010 ( séisme) et du 3 au 4 octobre 2016 (ouragan Matthew).
Ce questionnement relatif au choix de Mme Talty d’inscrire Port-Salut, en dépit de sa situation actuelle, sur la liste des destinations à visiter en 2018, en compagnie d’autres destinations telles que : Montréal, Santiago, Barcelone, Dakar (Sénégal), Zanzibar (Tanzanie), Moab (Utah, USA), Maroc, Namibie, Paris, etc. ne saurait, en aucun cas, remettre en cause le bien-fondé de la démarche de la rédactrice. Car, jusqu’à preuve du contraire, l’enquête de la Journaliste ne saurait non plus se réaliser sur une base fantaisiste. Car il y va, en tout état de cause, de la crédibilité de la journaliste comme professionnelle et de celle du prestigieux Magazine Forbes.
Homme ou femme de peu de foi, dirait Jésus. Si la génération de 1946 ne se prêta pas au jeu du pouvoir d’Estimé, on n’aurait peut-être du mal à connaître le progrès dans l’organisation et le développement du secteur touristique haïtien. Cette génération à laquelle j’appartiens a l’impérieuse obligation de faire montre de perspicacité pour bien interpréter le signe des temps, afin de pouvoir saisir la moindre opportunité qui s’offre à elle en cet instant difficile de l’histoire nationale.
Loin de se laisser décourager par les conséquences des récents ouragans (Matthew notamment), il est du devoir de l’Etat haïtien et du secteur privé des affaires de voir en la démarche du Magazine Forbes une opportunité majeure pour poser, sur de nouvelles bases, la reconstruction de l’ensemble des trois (03) départements du Grand Sud dévastés par l’ouragan Matthew, à savoir : Nippes, Sud et Grand’Anse. Il s’agit de bâtir une hyper mégapole composée de trois (03) mégapoles de développement (Miragoâne, les Cayes et Jérémie) et de vingt-sept (27) villes-tampons modernes. D’autant que le 30 mars 2016, l’UNESCO a reconnu la biosphère de la Hotte (Massif de la Hotte) comme patrimoine national. Il s’agit de trente (30) communes et de quatre-vingt-quatre (84) sections communales constitutives des trois (03) départements géographiques susmentionnés. Voilà le nouvel enjeu sous-jacent à la démarche de Mme Talty.
Modalité de financement et implémentation du projet
En regardant l’ampleur de la vision selon laquelle j’aperçois les retombées afférentes à l’article de la Journaliste, peut-être vous demandez-vous comment l’Etat, le secteur privé des affaires et la société dans son ensemble vont-ils procéder pour trouver les fonds nécessaires au financement d’un ou de multiples projets aussi colossaux. Je vous réponds, d’entrée de jeu, que l’argent comme commodité est une création de l’esprit humain ; par conséquent, trouver les fonds nécessaires, aussi élevés soient-ils, relève d’un ensemble d’exercices de nature financière, comptable et monétaire, destiné à recueillir les moyens nécessaires à la réalisation d’un projet quelconque.
La question de surliquidité des fonds disponibles dans le secteur bancaire haïtien, un enjeu pour la réalisation de grands projets nationaux
Le secteur bancaire haïtien est réputé être en possession de plus de deux milliards de dollars américains (2,000,000,000.00 USD) de surliquidité. Sans vouloir m’aventurer sur un terrain difficile réservé presqu’exclusivement aux initiés, je me permets, tout en étant très conscient de mes limites en la matière, d’avancer le fait suivant : avec deux milliards (2,000,000,000.00 ) de dollars comme investissement de base, on pourra, au risque d’être démenti, dégager des fonds de l’ordre de près de cent milliards de dollars américains (100,000,000,000.00 USD) grâce à un montage financier adéquat. Il s’agit des investissements qui serviront à financer ce mégaprojet.
Mobilisation des ressources et perspectives développement
Toute une brochette de spécialistes, d’experts et de techniciens, tant nationaux qu’étrangers, devront être mobilisés pour les phases d’étude, de supervision et de réalisation des diverses étapes de ces vastes projets. Ainsi des experts en finances, des économistes, des banquiers, des aménagistes, des paysagistes, des développeurs, des urbanistes, des architectes, des anthropologues, des sociologues, des communicateurs sociaux, etc. C’est ce corps de professionnels ainsi que des centaines de milliers d’ouvriers, qui seront mobilisés pour la réalisation de ces projets gigantesques dans l’ensemble des trois (03) départements susmentionnés.
Une nouvelle économie attisée dans la région
Des maisons de courtage, des banques, des compagnies d’assurance, des firmes de construction, des bureaux d’études en architecture, des cabinets de comptabilité et d’avocats et des entreprises de service de toutes sortes constitueront le nouveau dispositif du tissu économique qui prendra forme et se développera dans l’ensemble du Grand Sud.
Lancement des chantiers et caractéristiques des travaux
Plus de trente (30) communes et de quatre-vingt-quatre (84) sections communales, constitutives de ces trois (03) départements du Grand Sud, seront converties en de gigantesques chantiers, que ce soit les voieries et réseaux divers (VRD), la construction des plusieurs ports, de multiples ponts, de réseaux de plusieurs centaines de kilomètres de route de toutes sortes, d’un aéroport et des aérodromes, de vastes constructions d’immeubles de toutes sortes, de jardins, de parcs et de forêts, de clubs, des infrastructures de sports et de loisirs, etc.
Conclusion
L’interprétation que j’ai faite après la lecture de l’article de Mme Talty, intitulé ¨The 27 Best Budget Travel Destinations For 2018¨, s’inscrit, dans une démarche dite prospective, c’est-à-dire une démarche qui vise à la transformation de l’état actuel de la Commune de Port-Salut, tenant compte de ses potentialités.
La société haïtienne doit s’engager résolument dans une nouvelle dynamique consistant en un trinôme construction/déconstruction/reconstruction. Cette équation consiste à bâtir le développement national sur la base de la déconstruction de l’ordre antérieur fondé sur l’exclusion, la non valorisation des ressources nationales et le système d’économie de rente. Pour ce faire, il convient de poser les bases d’une nouvelle économie en vue de reconstruire une société moderne fondée sur l’intégration de toutes les couches de la société et la garantie du progrès ainsi que l’émancipation à toutes et à tous. Une démarche pareille requiert la mise en place d’une économie fondée sur un système de production susceptible de garantir le bien-être généralisé.
Cette nouvelle dynamique correspond à une philosophie fondée sur la garantie du bien commun, la redéfinition du binôme Etat/société et un nouveau mode de fixation de l’homme haïtien à l’économie afin de bâtir une civilisation génératrice de progrès. L’article de Mme Talty n’est autre, à mon avis, qu’un appel implicite lancé aux dirigeants politiques de tout bord, au secteur privé des affaires et à la société dans son ensemble à bâtir un développement susceptible de valoriser les communautés locales en fonction de leurs potentialités respectives. Port-Salut n’est qu’un étalon, une carte ou une nouvelle porte susceptible de permettre à Haïti de faire son entrée dans la modernité.
Séparée de 350 km de frontière de la République Dominicaine, qui reçoit 3 à 4 millions de visiteurs par an, de la Jamaïque, au sud-ouest, qui accueille, quant à elle, 2,5 à 3 millions de visiteurs par an et de Cuba, au nord-ouest, qui reçoit 3 à 4 millions de touristes par an, notre pays, de par sa situation géographique, présente des atouts majeurs qu’il convient d’exploiter, en constituant un nouveau circuit touristique avec les pays susmentionnés. Voilà le défi à relever.
* Enseignant
Contact : wesner.desir@gmail.com
[1] The 27 Best Budget Travel Destinations For 2018} par Alexandra Talty in Forbes Magazine [https://www.forbes.com/sites/alexandratalty/2017/11/20/the-27-best-budget-travel-destinations-for-2018/#1b70a65a5086]