P-au-P., 12 déc. 2017 [AlterPresse] --- Le chanteur, guitariste et auteur haïtien Emmanuel (Manno) Charlemagne, décédé, le dimanche 10 décembre 2017, à 69 ans, à Miami, était la voix de la résistance à l’oppression, la voix du défi et de l’insolence, selon Dany Laferrière et Lyonel Trouillot, deux écrivains haïtiens internationalement connus.
« C’est la voix d’une génération qui a subi la dictature sans se laisser avaler par la Bête », écrit Laferrière, de l’Accadémie française, dans un texte-hommage intitulé « Autobiographie d’une génération », paru dans le quotidien Le Nouvelliste.
« On avait l’impression qu’il vivait au rythme saccadé de son pays. Quand ce pays n’arrivait plus à respirer, il gueulait à sa place. Quand par chance c’était la saison des fruits et des jeunes filles en fleur, ses chansons se faisaient plus douces », témoigne-t-il.
« C’est un témoin », ajoute Dany Laferrière, qui a connu Manno Charlemagne à ses débuts.
« Nous savons, poursuit-il, qu’il est mort de cette adolescence sans pain, de ces séjours en prison, de cette errance à l’étranger où parfois il ne savait pas où il allait passer la nuit, de cette vie exempte du moindre confort matériel durant de trop longues périodes ».
Ayant dû s’exiler en 1980, Manno Charlemagne a vécu entre les États-Unis et le Canada, jusqu’à la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986.
Il est reparti en exil, en septembre 1991, après le sanglant coup d’État militaire contre le président Jean-Bertrand Aristide, démocratiquement élu lors des élections générales du 16 décembre 1990.
Pour Lyonel Trouillot, compagnon de la première heure de Manno Charlemagne, « sous la dictature de Jean-Claude Duvalier, c’était la voix du défi, de l’insolence, la prise de risque au quotidien tantôt dans la juste violence du discours revendicatif devant la violence d’un ordre assassin, tantôt en décrivant simplement la condition des humbles ».
« Fou, moqueur et rageur », son chant aussi fort que sa voix, dénonçait la dictature, mais « il n’était pas exempt de contradictions, d’outrances », estime Trouillot dans un article publié dans le Nouvelliste.
Néanmoins, « pour ceux, moins nombreux, qui l’ont écouté, suivi, dans les années Duvalier, il était la voix de notre projet de dignité. Blessure et révolte (…) la voix de la colère du juste, de l’exploité, du démuni, en force et en beauté ». [apr 12/12/2017 01 :00]