Lettre ouverte de deux citoyens haitiens
Soumis à AlterPresse le 21 février 2005
Monsieur Gérard Latortue
Premier Ministre du Gouvernement provisoire d’Haïti
Monsieur Juan Gabriel Valdez
Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies
Responsable de la MINUSTAH
Lettre Ouverte
Port-au-Prince, le 20 Février 2005
Le samedi 19 février 2005 nous avons reçu en notre résidence la visite intempestive d’un membre de la CIVPOL / MINUSTAH. Il venait récupérer les formes distribuées trois mois plus tôt pour collecter des informations permettant de planifier le contrôle du quartier. Il nous a annoncé que les mesures de fermeture du quartier seraient effectives à partir du lundi 21 février en vue d’assurer la sécurité des agents des Nations Unies. Cette nouvelle situation implique de sérieuses restrictions à notre citoyenneté nous transformant en prisonniers dans notre propre résidence et dans notre quartier placé sous le contrôle permanent des agents de la force onusienne.
Le quartier concerné fait le lien entre Bourdon et Christ Roi et facilite le transit des véhicules, de nombre d’écoliers et de passants. Cette route est désormais fermée à toute circulation. Tous les riverains et en particulier, les membres de notre famille et ceux qui fréquentent quotidiennement notre maison devraient porter des badges de la MINUSTAH. Tous nos véhicules devraient aussi être munis d’un badge d’identification émis par la MINUSTAH. Tous nos visiteurs devraient s’identifier aux postes de contrôle et recevraient un laisser passer pour le temps de la visite. L ’agent de la CIVPOL qui nous a visité a même osé nous demander la liste des personnes susceptibles de nous visiter. Nous avons appris également que des voisins avaient été l’objet d’une enquête effectuée, sans leur consentement, visant à déterminer la fréquence des visites qu’ils reçoivent chaque jour.
Nous considérons qu’il s’agit d’une violation inacceptable des droits fondamentaux de tout citoyen de jouir de la liberté de se déplacer sans contraintes. Ces droits sont garantis par les chartes internationales et par la Constitution haïtienne. Nous ne pouvons accepter que notre vie privée soit gérée par des agents de la MINUSTAH.
De quoi s’agit-il ? Depuis le mois de juillet 2004 la MINUSTAH a loué les locaux de l’hôtel Villa St Louis pour y installer des bureaux. Nous pouvons comprendre qu’il soit nécessaire de sécuriser le bâtiment mais nous ne pouvons accepter que ces agents des Nations Unies se comportent en pays conquis et décident que l’ensemble du quartier devienne aussi leur propriété privée. Nous sommes de paisibles citoyens occupant une résidence familiale établie dans ce quartier depuis plusieurs décennies. Notre quartier a toujours été relativement paisible et la présence de ce bureau est à l’origine de nombreuses nuisances pour les riverains au cours de ces derniers mois. Nous assistons quotidiennement au défilé d’un grand nombre de véhicules tout-terrain cherchant à se garer dans un quartier peu habitué à cette charge importante de véhicules de grosse cylindrée. Nous avons déjà adressé une lettre de protestation suite à des conflits récurrents qui nous opposent aux conducteurs de ces véhicules. Les véhicules de la MINUSTAH obstruent la circulation, se mettent souvent devant l’entrée de notre résidence et gênent le va et vient de nos véhicules et de ceux de nos visiteurs. Les accrochages qui se sont produits en maintes fois avec les agents de la force onusienne ont souvent été caractérisés par l’arrogance classique des occupants teintés de discours racistes et anti-femmes : « c’est parce que les haïtiens sont indisciplinés que nous sommes là .. les Haïtiens n’ont rien dans la têteÂ… », « Quiconque détient une licence méritée peut transiter dans ce passage » etcÂ…
HAITI est membre fondateur des Nations Unies et suivant les discours officiels, cette mission fait partie des mécanismes mis en place pour appuyer les efforts de stabilisation de la démocratie. Cependant de nombreux comportements s’inscrivent plutôt dans une logique d’occupation avec ses composantes d’abus de la force, de mépris, d’arrogance et de déni des droits des populations. Face à cette situation, au nom de notre choix de vivre dans notre pays comme citoyen-nes libres, déterminé-és à aimer et construire notre pays, déterminé-es à inculquer à nos enfants les valeurs fondamentales liées au respect de soi et de son pays, à l’amour de notre culture et à la défense de notre dignité nous voulons signaler :
1.- Il n’est pas normal que ce soit des agents de la MINUSTAH et de la CIVPOL qui négocient (imposent) nos conditions de vie et limitent nos droits de libre circulation. Si des changements devraient intervenir dans le quartier, nous aurions du être contactés par des agents autorisés de la PNH ou de toute autre institution haïtienne. Cette prise en charge par la MINUSTAH de la gestion d’un quartier résidentiel dénote une perte de souveraineté de l’Etat haïtien qui doit assumer ses responsabilités envers les citoyens haïtiens.
2.- Le mandat de la MINUSTAH est de contribuer à sécuriser le pays et à établir les conditions d’une démocratie stable. Cela ne l’autorise pas à réglementer la vie des citoyens dans leur espace privé. Comme on peut le constater cette coûteuse mission jusqu’ à date n’arrive pas à travailler au désarmement des bandes irrégulières et ne parvient pas à sécuriser les espaces stratégiques comme le sont le Palais National et le Pénitencier. L’évasion spectaculaire du samedi 19 février est une preuve d’ inefficacité de la présence onusienne qui passe à côté du mandat défini par le Conseil de Sécurité et en même temps affiche un déploiement de moyens qui font insulte à la misère et à l’insécurité qui prévalentÂ…
3.- Les citoyens des quartiers comme l’avenue Martin Luther King, l’avenue Poupelard, l’ave John Brown sont victimes en permanence d’attaques et d’agressions de toute sorte déstabilisant leur vie quotidienne, perturbant leurs activités économiques et sociales, compromettant la scolarité de milliers d’écoliers. Il nous semble que ces quartiers qui ne se trouvent qu’à quelques centaines de mètres de chez nous pourraient être sécurisés par la simple présence de patrouilles régulières. Ces quartiers sont livrés à eux-mêmes malgré l’existence des troupes spéciales cagoulées de la PNH et malgré la présence dans le pays de soldats et de policiers dépêchés par les Nations Unies. Quel est le concept de sécurité priorisé par la MINUSTAH et POUR QUI ?
4.- Nous ne sommes pas des criminels. Nous ne sommes pas des suspects. Nous n’acceptons pas de vivre en Résidence Surveillée. Nous n’acceptons pas que nos enfants, notre famille portent des badges émis par la MINUSTAH pour rentrer chez nous. Nous n’acceptons pas ce système d’apartheid. Nous n’acceptons pas que notre vie privée soit placée sous le contrôle des agents étrangers. Ce coin de terre est le seul espace où nous pouvons jouir pleinement de nos Droits. Toute mesure visant à sécuriser le bâtiment que la MINUSTAH occupe est légitime mais doit être compatible avec l’exercice des libertés citoyennes de tous les riverains et de leurs visiteurs .
5.- Si les responsables de la MINUSTAH estiment que le bâtiment ne peut être sécurisé sans violenter la vie privée des riverains ces locaux ne devraient pas se trouver dans un quartier résidentiel et devraient être déplacés pour être accueillis dans une base militaire offrant les conditions de sécurité recherchées. On ne peut pas imposer aux citoyens des conditions de vie de camp militaire.
Les dirigeants du bureau de la MINUSTAH que nous avons rencontrés nous ont bien fait comprendre l’irrévocabilité des mesures arrêtées et qu’ils avaient l’autorisation formelle du Gouvernement haïtien pour les implanter. Nous, de notre côté, restons confiants de notre droit de vivre dans la dignité dans notre pays, dans notre quartier, dans notre maison. Nous affirmons notre volonté de continuer à nous montrer conséquents comme nous l’avons fait toute notre vie. Nous resterons fidèles à nos valeurs de liberté, de dignité, de fierté de notre identité haïtienne, de croyance en l’avenir de notre pays et de notre peuple.
Nous demandons aux responsables de la MINUSTAH de produire des recommandations mieux adaptées et de prendre des mesures pou revenir sur ces dérives arbitraires et rétablir la force du Droit.
Nous appelons le gouvernement haïtien à faire respecter nos droits de citoyen de vivre libres car nous n’accepterons pas de nous plier à ces mesures illégales.
Nous sollicitions la manifestation de solidarité de nos compatriotes de tous les secteurs pour que notre cri d’indignation et de protestation résonne dans les cœurs et les têtes pour que nous nous engagions tous et toutes à construire résolument ce pays.
Ce n’est pas une bataille privée. C’est la manifestation d’un acte d’occupation que nous devons récuser. Nous ne serons jamais respectés comme individus si nous ne retrouvons pas le sens de la solidarité et si nous ne nous attelons pas à restaurer collectivement notre dignité de peuple.
Yolette Etienne
Camille Chalmers
Rue Mercier #20, Bourdon
Tel : 245 9514 - 402 3702
CC : Mr Bernard Gousse,
Ministre de la Justice
Mr Léon Charles,
Directeur Général de la Police
Au x organisations de Droits Humains : NCHR, POHDH
Aux membres du Cabinet ministériel