Dans l’Enquête sur la mortalité, morbidité et l’utilisation des services (Emmus VI), le livre de chevet du Mspp, sa sébile, on peut lire que le taux de mortalité infantile est de 81 décès pour mille naissances vivantes. Sur 3 décès enregistrés dans le pays, il y a au moins un, qui est celui d’un enfant âgé de 0 à 4 ans. A chaque 30 minutes écoulées, au moins une famille haïtienne pleure le décès d’un enfant…
Soumis à AlterPresse le 22 novembre 2017
Par Dr. Guy Marcel Craan, Master of science (MSc) *
De Profundis clamavi ad te, Domine [1]
Tout le monde trouve son compte à la Toussaint !
Que vous croyez aux Saints ou qu’à la mort tout est fini, c’est quand même deux jours de congé, les 1er et 2 novembre en Haïti, vous en profitez ! Il y a une offre d’activités assez variées, selon les goûts et les moyens.
Pour celles et ceux, dont la paresse est un droit, le repos est tout indiqué. Aussi, est-ce le temps de la réflexion.
A ce sujet, j’ai pensé au verset de la bible, Romain 6:23, qui a été évoqué malencontreusement par un élu. A ce moment, une chanson de Manno Charlemagne me vint à l’esprit : Bawon, mande O si tout moun ki mouri yo, èske se Bondye ki touye yo… Certes, le chanteur Joseph Emmanuel (Manno) Charlemagne donna la réponse, mais je suis un peu insatisfait par son caractère trop général.
La sourate 81 : 8-9 m’est passée par la tête […Et lorsqu’on demandera à la fillette, enterrée vivante, pour quel pêché elle a été tuée…] je ne pus m’empêcher de penser aux enfants du pays. Pour quel péché, cette année encore (en 2017), 18,000 enfants ont été tués en Haïti ?
Par déni ou par ignorance, certains vont fulminer : d’où sort ce chiffre ?
Mais, ouvrez grands les yeux : c’est d’un document, publié aux bons soins du Ministère de la santé publique et de la population (Mspp), avec l’appui financier et les logos de tous les donateurs, adeptes de l’amitié comptable… l’Enquête sur la mortalité, morbidité et l’utilisation des services (Emmus VI), le livre de chevet du Mspp, sa sébile.
On peut lire que le taux de mortalité infantile est de 81 décès pour mille naissances vivantes. Prenez vos calculettes, vérifiez ! Si vous doutez, sachez, que sur 3 décès enregistrés dans le pays, il y a au moins un qui est celui d’un enfant âgé de 0 à 4 ans. A chaque 30 minutes écoulées, au moins une famille haïtienne pleure le décès d’un enfant.
Je ne voudrais pas troubler votre repos avec cette comptabilité mortifère. L’Organisation mondiale de la santé (Oms) et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) se chargent de la tenir à jour. Faites une visite sur leurs sites et vous trouverez, dans le profil sanitaire du pays, le nombre de décès, survenus au cours des 15 dernières années..
Comme catharsis, on a appris, à beaucoup de parents, à désigner les loups garous comme auteurs de ces meurtres.
Si vous y croyez, les loups garous ne sont pas celles et ceux que vous pensez. Ils n’habitent pas vos bidonvilles pourris. Ils ont des bureaux, des titres, des grades, des privilèges et des pouvoirs exorbitants.
Ce sont des gens diplômés, surdiplômés le plus souvent, et des imposteurs certaines fois. Ils sont Haïtiens ou étrangers. Le pire, les loups garous, qui tuent vos enfants, n’ont pas conscience de leurs méfaits. Arrêtez de prendre, comme boucs émissaires, ces vieilles sans défense, comme auteures des vos malheurs.
Faisons une réflexion basique et simple, comme dans la chanson d’Orelsan.
Basique. La « Mortalité évitable est « l’ensemble des causes de décès qui, compte tenu des connaissances médicales et techniques à la date du décès, auraient pu être, en grande partie, évitées, grâce à une bonne qualité du système de soins ». WHO, 2014.
Simple. Vos enfants meurent, parce que les dirigeants de ce pays sont incompétents et corrompus.
Basique. En permettant à toutes les familles d’avoir accès à l’eau potable et à des latrines, on pourrait réduire de deux tiers (2/3) le nombre de décès des enfants de moins de cinq ans.
Simple. Ceux, qui mettent les ressources nationales dans la poudre de perlimpinpin comme carnavals, caravanes, parlement et autres fumisteries, sont les vrais loups garous.
Désolé, si, en lisant ce texte, vous découvrez combien le pouvoir, que vous avez, pour décider des politiques publiques du pays, n’était autre qu’un pwen lougawou.
Vous pouvez être pardonné, parce que vous avez tué les enfants des pauvres, sans le savoir. Cependant, en tout état de cause, à partir d’aujourd’hui, l’ignorance ne saurait être une excuse pour vous.
1er novembre 2017
• Spécialiste en santé publique en Haïti
[1] Psaume 130. Des profondeurs, je criai vers toi, Seigneur.