P-au-P, 20 nov. 2017 [AlterPresse] --- La remobilisation des Forces armées d’Haïti (Fad’h), dissoutes en 1995 pour cause de coups d’État et d’exactions diverses, risque de provoquer une recrudescence de l’insécurité dans le pays, prévient l’historien Roger Petit-Frère, également professeur d’Université.
Depuis Alexandre Pétion (président de la république d’ Haïti du 9 mars 1815 au 29 mars 1818), l’Armée, en Haïti, a toujours été un instrument de répression contre la population, rappelle-t-il, lors d’une conférence-débats, le vendredi 17 novembre 2017, à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
Petit-Frère dit craindre que le retour de l’armée en Haïti, dans le présent contexte, soit juste une stratégie, pour répondre à la crise actuelle, caractérisée par une situation de révolte d’une bonne partie de la population et de l’opposition politique.
Mettre de l’ordre à l’interne, c’est le travail de la Police nationale d’Haïti (Pnh) alors que l’armée, quant à elle, doit défendre la nation. Une force armée, dans un pays comme Haïti, se doit d’être soumise et liée au peuple, souligne-t-il.
La manière dont l’administration du président Jovenel Moise et du premier ministre Lafontant procède pour remobiliser l’armée, en dehors de la prise en compte des intérêts et de la défense du peuple, est « inquiétante », fustige-t-il.
Dans la plupart des cas, les forces militaires dites « capitalistes » sont là pour défendre la catégorie dominante dans leur société, met-il en garde.
D’autre part, le professeur d’Université estime que les armées ont généralement tendance à appauvrir davantage les pays dont la situation économique est déjà critique comme celle d’Haïti.
Pour sa part, le porte-parole du parti Rasin kan pèp la, Camille Chalmers, a qualifié l’arrêté du président Moïse de « scandaleux », lors de son intervention.
« Cette armée, sans troupe, sans budget, sans doctrine militaire » est tout simplement une force pour poursuivre la répression, et n’aura rien à voir avec l’armée indigène avec laquelle le pouvoir veut la comparer, dit-il.
Le 15 novembre 2017, Jovenel Moïse a pris un arrêté présidentiel, mettant en place un commandement intérimaire pour les Fad’h, ayant à sa tête un ancien officier, Jodel Lesage, nommé « lieutenant-général ».
Lesage est chargé de conduire les travaux, liés au rétablissement, à l’organisation et au fonctionnement des Forces Armées.
Un défilé des Forces Armées, en cours de reconstitution, a même eu lieu, le samedi 18 novembre 2017, au Cap-Haitien, à l’occasion du 214e anniversaire de la Bataille de Vertières.
Le mode de financement de la nouvelle force armée annoncée par Moïse - non encore communiqué, jusqu’à présent - soulève des inquiétudes et questionnements.
« Par quoi ou par qui le budget de ces Forces armées d’Haïti sera-t-il financé ? Quelles seront les alternatives, les politiques ou les approches des autorités pour mobiliser des fonds devant financer les forces armées du pays à partir du budget du ministère de la Défense ? », se demande l’économiste Riphard Serent.
« Assisterons-nous, dans le prochain budget 2018-2019, à de nouvelles augmentations de taxes, pour financer le budget des Forces Armées d’Haïti, ou du moins y aura-il, très bientôt, une lutte véritable contre la corruption en Haïti ou contre la contrebande ainsi qu’une meilleure gestion des finances publiques, en vue de mobiliser plus de fonds et rattraper les manques à gagner ou les pertes de recettes fiscales, au bénéfice du budget de ces forces ? »
Autant de questions importantes que soulève la mise en place de l’armée, selon cet économiste.
Plus de 19 milliards de pesos dominicains, soit environ 414 millions de dollars américains (Ndlr : US $ 1.00= 65.00 gourdes ; 1 euro = 80.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 1.60 gourde aujourd’hui) seraient mobilisés, pour l’année 2017, pour la défense nationale, en République Dominicaine.
En Haïti, le budget du Ministère de la défense, pour l’exercice en cours 2017 - 2018, ne dépasserait même pas 520 millions de gourdes, soit environ 8 millions de dollars américains.
Le budget annuel, alloué à la Mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (Minustah), remplacée, le 15 octobre 2017, par la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (Minujusth), se situait autour de 500 millions de dollars américains. [rjl emb gp apr 20/11/2017 10 :55]