Par Gotson Pierre
Paris, 23 oct. 2017 [AlterPresse] — Le professeur Marcel Dorigny, membre du « Comité des travaux historiques et scientifiques » du Ministère français de la Recherche, critique la très faible présence de l’histoire d’Haïti dans l’enseignement en France.
L’historien, qui participait à la « Semaine haïtienne » à Lille (Nord de la France), estime que les enseignants français sont mal formés en ce qui concerne l’histoire d’Haïti, liée pourtant à celle de la France, observe AlterPresse.
Colonisée par la France, Haïti a combattu les troupes françaises et a proclamé son indépendance le 1er janvier 1804.
Dès le départ, la révolution anti-esclavagiste d’Haïti a été ignorée et rejetée au niveau international, rappelle le professeur.
L’indépendance de 1804, explique-t-il, est un non-lieu. Il fait remarquer que cet évènement a été occulté et rejeté, y compris par la presse française de l’époque, alors que Haïti est le deuxième pays indépendant de l’Amérique, après les États-Unis (1776).
Après 1804, le mot Haïti n’apparait dans aucun texte officiel, malgré le commerce qui s’est poursuivi avec le pays indépendant toujours considéré comme « Saint Domingue », nom colonial.
« Il ne faut pas reconnaître une république de nègres, sortie d’une résurrection », pensent alors les puissants du début du XIXe siècle, poursuit l’éminent professeur.
Les puissances européennes vont jusqu’à reconnaître un certain droit de la France sur « Saint Domingue », n’écartant aucune possibilité pour les troupes de Napoléon de reprendre possession de l’île.
Haïti est donc « une nation malvenue », dont la « reconnaissance conditionnelle » par la France a lieu en 1825, moyennant une indemnité de 150 millions de francs or.
En 1838, la France reconnaît l’indépendance totale d’Haïti et ramène l’indemnité à 90 millions de francs or.
Haïti termine de payer en 1883. Mais les dettes, contractées par le pays pour se libérer de cette indemnité, ne seront totalement acquittées qu’en 1946, précise Dorigny.
La réclamation publique du remboursement de cet argent se produit sous l’administration du président Jean-Bertrand Aristide (2001-2004). La chute d’Aristide intervient dans un climat chaotique le 29 février 2004.
Les dominés au pouvoir
Plus loin, comparant la révolution haïtienne avec celle qui a eu lieu aux Etats-Unis d’Amérique (1776) et l’autre qui a eu lieu en France (1789), Dorigny estime que c’est la seule parmi les trois, où « les dominés prennent le pouvoir ».
La révolution américaine était menée par les colons, la française a établi le principe de la liberté et de l’égalité sans mettre fin à l’esclavage, considère-t-il.
Celle qui chasse les colons et qui proclame la liberté des esclaves, c’est bien la révolution haïtienne, qui a été, pendant de nombreuses années, diplomatiquement isolée.
Haïti devient alors « une sorte d’État à part et va le rester ».
Par ailleurs, souligne-t-il, sur le plan interne, la révolution de 1804, en Haïti, est l’unique à abolir l’esclavage et détruire à la fois le système agraire colonial.
Le système de petites propriétés est instauré. Il fonctionne plus ou moins avec une population réduite, mais montre de sérieuses limites au fil des années. Actuellement, la production agricole n’arrive à répondre qu’environ 20% de ses besoins alimentaires, dit-il.
« Aujourd’hui, Haïti, est l’unique société paysanne de la Caraïbe ». Les villes et bidonvilles explosent sous le poids d’une « démographie fulgurante ». D’une population de 450,000 habitants en 1804, le pays compte présentement environ 11 millions d’habitantes et d’habitants.
L’émigration est massive, ajoute le professeur, qui mentionne le cas du Chili, où des jeunes Haïtiens partent tous les jours.
Selon les données évoquées, en 1973 il y avait 20 Haïtiens au Chili. Les dernières estimations font état de 45,000 Haïtiens vivant au Chili. [gp apr 23/10/2017 12:00]