Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 18 octobre 2017
Ces dernières semaines, la question des violences faites aux femmes est au cœur de l’actualité internationale après les révélations sur les pratiques du producteur américain Harvey Weinstein. Dans la foulée, le hashtag #BalanceTonPorc a déclenché une avalanche de réactions sur Twitter. Et si, au-delà de l’affaire Weisntein, Haïti pouvait tirer les leçons d’une utilisation plus pertinente des réseaux sociaux pour dénoncer les pratiques inacceptables de mise dans ce pays et, en particulier, la corruption ? Une analyse de Nancy Roc.
Avec l’affaire Weinstein, le rideau s’est levé sur les pratiques prédatrices des producteurs hollywoodiens sur les actrices. Accusé de harcèlement sexuel et de viol par plus de 30 femmes, le producteur hollywoodien déchu Harvey Weinstein se retrouve au cœur d’une controverse qui a pris au cours de la dernière semaine des proportions planétaires.
Dans la foulée de l’affaire Weisntein, avec l’hashtag #BalanceTonPorc, la journaliste Sandra Muller et directrice de La lettre de l’audiovisuel, a déclenché une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux. En seulement trois jours, plus de 150.000 messages ont été postés sur Twitter, mobilisant plus de 59.000 internautes autour de ce hashtag, selon les chiffres de la plateforme de veille sur les réseaux sociaux, Visibrain. Ainsi, un seul hashtag, bien pensé, a incité des milliers d’internautes – en particulier des femmes- non seulement à dénoncer leurs harceleurs et prédateurs sexuels mais à libérer la parole et briser le tabou du silence.
Il ne serait pas étonnant d’apprendre que dans un pays comme Haïti où des milliers de jeunes fuient à l’étranger en quête de travail, aucune femme haïtienne – et encore moins les analphabètes - n’a pensé ou osé utilisé le hashtag #balancetonporc pour dénoncer son patron, propriétaire, collègue et autres. Pourtant, Dieu seul sait combien de porcs il y aurait à balancer en Haïti ! Par contre, j’ai vu une Haïtienne sur Facebook répondre à l’appel de l’actrice américaine Alyssa Milano, qui a invité, dimanche dernier, les femmes à faire part de leurs expériences de harcèlement sexuel à l’aide du mot-clic MeToo (moi aussi) sur Twitter, des milliers d’entre elles l’ont utilisé et le lundi 16 octobre, le hashtag #MeToo a enflammé la Toile.
Au-delà de l’affaire Weinstein, il serait opportun que les Haïtiens puissent se questionner et repenser leur utilisation des réseaux sociaux. En effet, si ces derniers sont largement utilisés pour s’informer, ils le sont bien moins pour dénoncer de façon constructive et percutante, les exactions des uns et des autres qui prolifèrent dans un pays sans foi ni loi, où l’impunité règne et où les citoyens sont tous devenus des laissés-pour-compte.
La puissance d’un hashtag
Face à des groupes de presse de plus en plus politisés, décrédibilisés ou manipulés, on observe de plus en plus sur les réseaux sociaux dans le monde, la multiplication de hashtags en soutien à des personnalités ou à des événements marquants. Des hashtags qui bien souvent font l’effet d’une bombe et deviennent viraux au point de changer le cours des choses. Le hashtag #balancetonporc vient s’ajouter à une liste de mots clés qui exposent considérablement certains sujets liés à l’actualité. A ce titre, citons les hashtags mémorables tels que #JeSuisCharlie, #BlackLivesMatter, #BringBackOurGirls, #IceBucketChallenge, #Ferguson, #OscarsSoWhite, #PorteOuverte, #OccupyWallStreet, qui sont tous devenus de véritables phénomènes culturels mondiaux. Quant au hashtag #Jan25, il aura marqué l’histoire du réseau social Twitter. Il a été utilisé pour appeler à manifester le 25 janvier 2011 au Caire et dans tout le pays, signalant le début d’un impressionnant mouvement qui se terminera par la démission d’Hosni Moubarak, le président égyptien, environ deux semaines plus tard. Durant le soulèvement, Twitter aura été utilisé par les Égyptiens pour démentir la propagande du gouvernement, qui assurait au grand public qu’il n’y avait pas de manifestations. Twitter a donc eu un impact significatif dans les contestations qui ont agité les pays du monde arabe à partir de décembre 2010.
Plus fort que les mots
Sur les réseaux sociaux, les Haïtiens qui ont accès à l’Internet s’informent ou se défoulent, suivant qu’ils se sentent touchés ou non par l’actualité. C’est également la voie royale de la Toile pour insulter ou dénigrer leurs compatriotes, sous de faux profils ou dans l’anonymat. Ces réseaux sociaux ont été particulièrement utilisés par le régime Martelly-Lamothe pour harceler, insulter ou diffamer, notamment des journalistes qui refusaient de se plier au vouloir du pouvoir Tèt-Kalé. Ils ont aussi été utilisés pour donner une pseudo ‘’autre image’’ d’Haïti pendant que ce pouvoir dilapidait les fonds publics en ouvrant la porte de Pandore aux tribulations actuelles et, entre autres, un exode massif des jeunes vers l’étranger. Ainsi, en Haïti - comme ailleurs - les nouvelles technologies continuent de faire des victimes. En méconnaissance de cause, la plupart des gens s’en servent comme espace de tiraillement ou de conflit. Pour d’autres, c’est pour faire le buzz et être vus par les internautes. A l’occasion, on se crée des ennemis pour de simples futilités.
Mais les réseaux sociaux sont-ils utilisés dans toute leur dimension par les Haïtiens ? Par ‘’toute dimension’’, j’entends communiquer, en luttant ou en soutenant certains événements ou personnes quitte à influer sur certaines décisions politiques. Pas encore, malheureusement.
Le logiciel de messagerie instantanée, WhatsApp pour Smartphones, est très utilisé en Haïti, non seulement pour sa gratuité mais aussi pour toutes les alertes concernant l’insécurité en Haïti, entre autres. Toutefois, cette gratuité a engendré une sorte d’hyper communication intempestive et vaine. En fait, en Haïti comme dans le reste du monde, 90 % des messages reçus sur Whatsapp ne servent à rien et, de plus, les messages groupés sont souvent mis en mode silence autrement le téléphone sonnerait toute la journée. L’attention portée à un message WhatsApp est donc beaucoup plus faible qu’un appel téléphonique ou qu’un tweet, qui est "cliquable" et permet à l’internaute d’être redirigé vers des tweets traitant du même sujet. Ce mot clé Twitter séduit assez aisément la twittosphère et, par extension, l’internaute classique, parce qu’il est court et impactant.
Aujourd’hui, une campagne de sensibilisation qui informe et impacte sur la société par son aspect viral sur le net, sa reprise dans les médias et sa manière de captiver l’internaute est bien plus percutante qu’un discours ou que bons mots énoncés sur le net.
Lorsqu’on vit dans un pays comme Haïti où n’importe quoi peut arriver à n’importe qui à n’importe quelle heure et n’importe où, il faudrait repenser l’utilisation des réseaux sociaux. Par exemple, lorsque les autorités font hurler leurs sirènes péremptoirement en plein embouteillage pour qu’on fasse place à leurs véhicules 4X4 flambants neufs et aux miroirs entièrement teintés – véhicules achetés avec les taxes des contribuables- n’est-il pas temps de dénoncer ces abus par un hashtag ? Lorsqu’on arrête la propriétaire d’un restaurant à cause d’une loi obsolète, permettant d’arrêter quiconque détenant un commerce où un homicide a été commis par des bandits qui ont pénétrés ce local, n’est-il pas temps de repenser l’utilisation des réseaux sociaux ? Lorsque des prédateurs sexuels ou des pédophiles connus sont nommés ministres- comme dans le passé- et osent braver publiquement la société et culpabiliser leurs victimes sur les ondes des radios, n’est-il pas grand temps de repenser l’utilisation des réseaux sociaux ? Lorsque des malfrats agitent les rues, engendrant d’importants dégâts, alors que ces individus ont été inculpés de crimes graves et/ou dénoncés par la clameur publique, se sont portés candidats - banalisant ainsi la moralité des institutions démocratiques du pays- et ont été rejetés par le vote populaire, n’est-il pas grand temps d’agir avec les réseaux sociaux ? Idem pour les parlementaires, hier indexés comme voyous et qui jouissent aujourd’hui de l’immunité parlementaire et, de surcroit, votent, contrecarrent ou monnaient à grands prix les lois haïtiennes. Il est grand temps que l’hashtag #NouBouké soit remplacé par des hashtags plus ciblés, plus intelligents, mieux pensés, afin que tous les porcs de ce pays cessent d’être des intouchables, de peur de retrouver leurs victimes sur la Toile.
Les gens de bien devraient faire de la résistance sur les réseaux sociaux face aux malfrats de tout acabit qui les toisent et les provoquent en se vantant. #OuPaEgare en est une preuve accablante. Ce slogan était le cri de ralliement d’Emmanuel Lemite, alias « Dread Shoudly », arrêté le 10 octobre écoulé. Il est devenu un tweet viral sur tous les réseaux sociaux haïtiens alors qu’il émane d’un homme inculpé pour trafic de drogue aux États-Unis. Ainsi, ce hashtag signifiant plutôt « la fin justifie les moyens » a été repris sur Instagram. Facebook et Twitter par des milliers d’Haïtiens qui ne se sont posé aucune question concernant sa signification réelle. #KètNouPaBonVre