Español English French Kwéyol

Haiti / Zone franche : Assurer le respect de l’accord entre CODEVI et SOKOWA

Par Batay Ouvriye (Lutte Ouvrière)

Soumis à AlterPresse le 11 février 2005

Batay Ouvriye salue tous les représentants de la presse présents avec nous aujourd’hui pour partager les derniers développements en cours à la zone franche CODEVI à Ouanaminthe. Nous vous remercions aussi pour votre souci constant autour de ce dossier qui a pu tenir l’actualité tout au cours de l’année dernière. Nous vous demandons de maintenir cet intérêt car la lutte continue, les ouvriers continuent à avoir beaucoup d’autres axes de lutte pour faire baisser l’exploitation qu’ils confrontent à l’intérieur de la zone franche.

Contrairement à ce qui a été diffusé, à savoir que les conflits seraient résolus entre les ouvriers, les syndicat les représentant et les patrons de la zone franche CODEVI, nous pensons qu’un avancement à été réalisé dans ce dossier — des acquis ont été établis durant les deux journées de négociations qui ont eu lieu à l’entreprise — mais cela ne signifie pas que le conflit soit terminé. Nous considérons que c’est après la signature du protocole d’accord que la lutte se déclenchera pour de bon. à€ ce moment, n’importe quoi peut arriver. Il faut que le syndicat SOCOWA et tous les ouvriers restent bandés à l’arrière pour assurer le respect de l’accord et qu’ils l’utilisent pour arracher encore davantage de droits et réaliser d’autres d’acquis. C’est ainsi que nous comprenons la signature de l’accord qui vient d’avoir lieu le 5 février 2005, deux jours avant l’anniversaire marquant un an depuis la fondation du SOCOWA. En ce sens, nous pouvons dire qu’avec la signature de cet accord, le SOCOWA a obtenu un outil qu’il pourra utiliser pour avancer durant une nouvelle année porteuse d’avancements. C’est un progrès, un pas en avant par rapport à l’année antérieure.

Pour nous de Batay Ouvriye qui étions aux côtés du SOCOWA durant les deux jours de négociation du 4 et 5 février, en face des représentants des patrons de la CODEVI, nous pouvons dire qu’il y a des aspects positifs obtenus dans l’accord. Citons :

• La reconnaissance par l’entreprise de la liberté syndicale, donc que les patrons respectent les droits du syndicat SOCOWA pour fonctionner sans entrave à travers la zone franche. C’est dans ce cadre que nous comprenons l’accord pour la réintégration des cinq membres de la direction du syndicat aujourd’hui, quelques jours après la signature de l’accord. D’ailleurs au moment même où nous parlons, les ouvriers réintègrent le travail. C’est une des premières preuves que les patrons de la CODEVI reconnaissent la présence du SOCOWA dans l’entreprise par le fait d’accepter que toute la direction du syndicat soit réintégrée et travaille à l’intérieur. De plus, un accord a été passé pour que les 151 ouvriers licenciés entre les 11 et 20 juin 2004 reprennent le travail au fur et à mesure que les commandes des compagnies Levi-Strauss et Sara Lee retournent à la zone franche. Ces 151 ouvriers ont la priorité de réembauchage à la zone franche. Ajoutons que la CODEVI ne considérait réembaucher que quarante ouvriers et elle demandait que ceux-ci signent un papier comme quoi ils renonçaient à la violence. Ceci ne passa pas. Ainsi nous avons pu obtenir que plus de 150 ouvriers soient réembauchés et personne n’ait aucun fichier disant reconnaître la moindre violence. Cette question de violence évoquée par la compagnie n’a jamais pu être prouvée et d’ailleurs, c’est un licenciement massif qui eut lieu le 11 juin et les jours suivants, pour éliminer le syndicat. Au contraire, c’est là un autre point clé atteint par l’accord : l’interdiction formelle d’utilisation de l’armée ou de forces de sécurité dans les conflits de travail à l’intérieur de l’usine.

• Afin que les ouvriers puissent obtenir une certaine compensation, nous avons accepté le compromis d’un fond d’appui à tous les ouvriers en attente de retourner au travail. Nous avions sollicité leur réintégration sans discrimination et avec compensation complète, maintenant donc leur ancienneté et pour qu’ils perçoivent un montant équivalent aux sept mois de salaires. Les représentants de la CODEVI ont fait valoir que l’entreprise confrontait déjà des difficultés économiques majeures, qu’ils ne pourraient pas accepter ces coûts de la réintégration. Ils étaient d’accord pour réembaucher les ouvriers et acceptaient l’idée que les deux parties oeuvrent ensemble à trouver des fonds pour soutenir les ouvriers attendant de retourner au travail, de fondations diverses.

• Formation d’une Commission Paritaire constituée de représentants des deux parties pour se concerter sur les conflits pouvant surgir dans le travail pendant le temps que les deux parties d’entendent sur une procédure pour la résolution des conflits. Pour nous, cette Commission Paritaire sera un espace de lutte pour les ouvriers, pour qu’ils y apportent leurs diverses revendications et y recherchent les solutions à leurs conflits ou marquent d’autres acquis dans le développement de leurs luttes.

• Un autre aspect qui renforce la reconnaissance de la liberté syndicale est une forme concrète d’application du droit syndical : l’accord de principe pour que dans une période de six mois suivant la signature du protocole d’accord, le syndicat se réunisse avec le patronat pour négocier une convention collective de travail. Ce point, pour nous, est un acquis majeur, ainsi qu’un terrain de lutte pour que les ouvriers puissent avancer vers leurs revendications plus profondes, de sortir du contrat de travail individuel contraignant pour atteindre, plutôt, la convention collective leur permettant d’obtenir davantage que le peu accordé par la législation du travail.

• Un dernier aspect que nous considérons d’importance et que nous demandons à la presse de continuer de suivre est la question des vaccinations. Le syndicat aura à recevoir tous les documents de la compagnie CODEVI/Grupo M pour chercher à faire la lumière sur cette question. La compagnie s’est déclarée d’accord pour fournir toutes les explications nécessaires et, si suivant cette investigation, le syndicat considère qu’il existe les bases nécessaires pour porter plus loin ce dossier au niveau judiciaire, il y sera légitimement autorisé. Ainsi, le syndicat SOCOWA a une grande besogne devant elle, de récupérer et analyser tout ce matériel scientifique, avec l’aide de d’individus et/ou d’organisations solidaires.

Voila donc les différents aspects que nous considérons importants dans la considération du protocole d’accord finalement signé. Nous pensons qu’il s’agit d’un pas positif mais qu’un grand travail demeure : la bataille doit continuer à être menée pour faire respecter et appliquer cet accord, afin de pouvoir poursuivre l’avancement.

Nous saluons la ténacité et la conviction des ouvriers du syndicat SOCOWA qui ont entamé cette lutte voilà déjà six mois, en dépit de se trouver en face d’un patronat puissant et qui jouit du soutien de l’ensemble de la bourgeoisie haïtienne faisant partie de l’Association Des Industriels Haïtiens (ADIH), ainsi que de la complicité de diverses instances de l’Etat Haïtien, particulièrement le Ministère du Commerce et de l’Industrie et le Bureau du Premier Ministre. Nous profitons de l’occasion pour signaler qu’un grand nombre de ces patrons agitent actuellement un « nouveau contrat social » mais sans même accepter que les ouvriers de leurs établissements puissent y négocier une convention collective de travail. Pour nous, ce protocole d’accord est un exemple pour tous les ouvriers des usines de sous-traitance du Parc Industriel de Port-au-Prince, à utiliser dans l’avancement de leurs propres batailles. C’est dans la lutte que nous trouverons les solutions à nos problèmes au sein des usines, non pas dans la résignation.

à€ Batay Ouvriye, nous continuons dans cette voie pour que la masse des travailleurs haïtiens, qu’ils soient ouvriers agricoles « vendeurs de journées » ou paysans pauvres métayers, et pour que tous les autres travailleurs exploités et dominés trouvent solution à leurs revendications dans leurs luttes. Comme nous le disons toujours : notre vie à nous, travailleurs, est une bataille sans trêve, sans désemparer.

Port-au-Prince, ce 10 février 2005

Yannick Etienne

Batay Ouvriye