« Quand on crée une commission, c’est pour enterrer la question », répète-t-on depuis plusieurs années en Haïti. Le mardi 25 juillet 2017, le président Jovenel Moïse a lancé les travaux d’une « Commission nationale de la réforme du système de santé et des services hospitaliers » en Haïti. Aboutir à à des propositions concrètes, devant permettre à l’État de disposer de solutions visant à satisfaire le droit à la santé de la population : telle est la mission, assignée à ladite commission. Cependant, l’appellation de ladite commission, dans « l’arrêté présidentiel, qui fait des services hospitaliers un élément distinct du système de santé, serait contraire à la définition de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) », relève le spécialiste en santé publique en Haïti, Dr. Guy Marcel Craan, qui émet également d’autres éléments d’observation.… .
Par Dr. Guy Marcel Craan, Master of science (MSc) *
Soumis à AlterPresse le samedi 29 juillet 2017
« Commission nationale de la réforme du système de santé et des services hospitaliers » : Impressionnez-nous, Mesdames, Messieurs les Commissaires
L’annonce, par le porte-parole de la présidence, de la formation d’une commission, pour réformer le secteur santé, n’a pas provoqué de réactions au sein de l’opinion publique.
Vu l’état déplorable de ce secteur, on s’attendrait à voir, comme il devient une habitude, des banderoles sur le chemin, qu’empruntent les autorités, pour les remercier d’avoir pris une telle initiative. Par ces temps, où les eaux sont basses, le tissu, la peinture et la main-d’œuvre de l’artiste sont à des coûts prohibitifs. On peut comprendre pourquoi les Baz n’ont pas opté pour cette démarche.
Pas un appel sur les nombreux talk-shows de différents médias en Haïti. Cela devient inquiétant !
Après une succession de grève dans les hôpitaux publics, où tous les records en insultes, en irresponsabilité, en toutes sortes d’ignominie, ont été pulvérisés, le constat de l’apathie de la population, au regard d’une telle initiative, pose problème.
On sait que la santé, suivant la théorie de Maslow (Ndlr : Né le 1ᵉʳ avril 1908 à Brooklyn, New York, le psychologue américain Abraham Harold Maslow décéda le 8 juin 1970 à Menlo Park, en Californie. Maslow est considéré comme le père de l’approche humaniste à travers le monde), n’est pas un besoin primaire.
Cette théorie est dépassée, elle ne fournit pas d’explications sur la démotivation.
Les peuples sont amnésiques, c’est vrai. Mais, c’est aussi cynique de le penser, car la mémoire collective ne fonctionne pas de manière identique à celle de l’individu.
Le gouvernement n’y a pas fait assez de publicité, peut-être ? Les m2dias n’ont pas assez de journalistes spécialisés sur les questions de santé ? Pas tout-à-fait.
Dans les sociétés modernes, après l’éducation, la santé occupe une place importante dans les politiques publiques. On met, souvent, en avant le fait qu’elle facilite la cohésion sociale.
La santé est un maillon important de la sécurité et de la sûreté de la nation. Elle mobilise beaucoup de main-d’œuvre. Elle est un support, indéniable, à l’économie…
Bref, que de vertus !
Mais pourquoi cette indifférence en Haïti ?
On pourrait établir une longue liste de causes probables, dans lesquelles chacune / chacun pouvait se reconnaître.
Quelle est l’économie d’une telle démarche ?
Je voudrais simplement attirer l’attention des commissaires sur quelques constats, que certains pourraient trouver triviaux.
Je suis étonné que, jusqu’à date, aucun d’entre vous n’ait suggéré à l’exécutif de rapporter cet arrêté pour erreur matérielle, tant les fautes de grammaire, contenues dans les 2 premiers articles, sont grossières et ne méritent pas d’être archivées dans la collection de l’organe officiel de la république d’Haïti.
Vu l’ampleur de la tâche, que requiert la réforme du système de santé, il est difficilement compréhensible de relever des quiproquos dès la dénomination de la commission « Commission nationale de réforme du système de santé et des services hospitaliers ».
Voilà que l’arrêté fait des services hospitaliers un élément distinct du système de santé.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, « le système de santé est l’ensemble des organisations, des institutions, des ressources et des personnes, dont l’objectif principal est d’améliorer la santé ».
En clair, l’appellation de la commission est une redondance.
Chercher à savoir ce que cette formulation cache dans l’esprit des autorités serait une question intéressante.
L’article 2, qui définit le mandat de la mission, est tout aussi confus,
« La commission a pour mandat d’étudier et de recommander toutes mesures, susceptibles de faciliter la réforme de la santé et des services hospitaliers dans le pays » […].
Voilà un casse-tête, proposé à la commission.
Étudier toutes les mesures…
Étudier signifie habituellement analyser, évaluer. Quelle est la validité de l’étude d’une mesure qu’on a élaborée ? C’est compliqué.
La commission peut disposer d’assez de ressources pour, d’une part, élaborer les mesures et, d’autre part, les faire analyser. Là, je m’y perds.
On pourrait se demander si le choix d’une mesure ne découle pas d’une étude. Là où je suis complètement abasourdi, c’est lorsque ces mesures doivent réformer la santé.
La santé est un concept. Peut-on réformer un concept ?
Tout n’est pas perdu, mesdames, messieurs les commissaires.
Quand on reçoit un mandat, il y a une étape essentielle. On peut demander au maitre d’œuvre de clarifier le mandat. À ce moment, par respect pour les autorités et pour vous-mêmes, on pourra ajouter un erratum au présent arrêté, la nation vous en saura gré.
Pour le reste, vous partez sur des fondations fragiles.
Certains attendent beaucoup de vous. Combien de ressources ont été déjà gaspillées dans de pareilles initiatives ? Que sont devenus les rapports des nombreuses commissions des gouvernements antérieurs ? Seriez-vous capables d’étonner celles et ceux qui pensent avoir déjà écouté cette petite musique ?
Tenez ! Pendant que j’y pense, il faudra que l’exécutif trouve une autre manière de désigner ces rassemblements de « notables » ou citoyennes / citoyens, qui s’engagent à œuvrer pour le changement dans notre société.
Parce que le mot « commission », suivant l’adjectif qu’on place en avant, peut être vulgaire.
Evitons à ces honnêtes gens le ridicule de personnes mal intentionnées, qui pourraient, sans vergogne, y ajouter « bonne, importante, grosse ou petite ».
• Spécialiste en santé publique en Haïti