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Haiti : SOS de la NCHR sur la violence, l’insécurité et la violation des droits humains

Extraits d’un rapport de la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR)

Soumis à AlterPresse le 3 février 2005

La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) est profondément préoccupée par la persistance du climat de violence, d’insécurité et d’impunité dans le pays et par la situation alarmante qui sévit au niveau des centres de détention et de rétention de la capitale et des villes de province.

Cette violence est l’œuvre de divers groupes armés, tels que : des partisans Lavalas et policiers renvoyés de l’institution policière, des anciens militaires et des partisans de l’ancienne opposition à Aristide, des membres du Front de Résistance, ceux du Front pour l’Avancement et le Progrès d’Haïti (FRAPH) et des gangs armés.

L’Appareil Judiciaire, la Police Nationale d’Haïti (PNH) ont une grande responsabilité dans le climat d’impunité régnant dans le pays.

I. Les partisans de Lavalas et les Policiers renvoyés de la PNH

Au lendemain du départ du Président Aristide, les nouveaux dirigeants de la Police Nationale ont pris un ensemble de mesures tendant vraisemblablement à l’épuration de l’institution policière. Certains policiers impliqués dans les violations graves de droits humains ou soupçonnés d’être des partisans zélés de l’ex-Président ont été renvoyés de l’institution avec les biens et matériels de l’Etat en leur possession. Beaucoup de ces anciens policiers sont suspectés de participation active dans l’Opération Bagdad lancée le 30 septembre 2004 par les partisans armés de Jean Bertrand Aristide dans le but d’exiger son retour au pouvoir.

Le but de cette opération est de mettre la capitale à feu et à sang aux fins d’imposer, par la terreur, Aristide comme étant incontournable dans la résolution de la crise politique. Des personnes sont tuées, décapitées tant dans la population civile que dans les rangs des agents de la PNH ; des biens privés et publics sont saccagés ou détruits. Les instigateurs de cette opération s’installent dans les quartiers populeux, y sèment le deuil et instaurent un climat de terreur. Plus de quatre (4) mois après, cette situation continue à paralyser les activités des citoyens (Scolaires, Commerciales, loisirs, Â…) au point qu’aujourd’hui, il existe à la capitale, des zones de non droit et d’autres, à haut risque, telles : Fort National, Wharf Jérémie, Bel Air, Village de Dieu, Cité Soleil, Solino, Poste Marchand, la Saline, Delmas 2, Saint Martin, etc.

[Bilan de septembre 2004 a janvier 2005 : 403 personnes tuées par balle, dont 19 policiers]

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II. Les anciens militaires et des partisans de l’ancienne opposition à Aristide

Les Forces Armées d’Haïti (FADH) ont été dissoutes après le retour à l’ordre constitutionnel en 1994. Dans le cadre du vaste mouvement visant à renverser l’ancien régime, certains anciens militaires ont repris les armes et combattu à côté de certains partisans armés de l’opposition à Aristide. Ce dernier parti, les militaires remobilisés pavoisent en tenue de combat avec des armes de guerre, occupent des bâtiments privés et publics, installent d’anciens chefs de section dans certaines sections communales de la république, réclament le retour des Forces Armées d’Haïti dans leurs casernes et le paiement de dix (10) années de salaires. En dépit de l’entente intervenue et la décision du gouvernement d’octroyer une indemnité compensatoire aux démobilisés de 1994, ces derniers refusent de déposer les armes. Ils alimentent l’insécurité et la violence à travers le pays, particulièrement au Cap-Haïtien, à Ouanaminthe, à Hinche, à Mirebalais, à Port-au-Prince et à Petit Goâve, où ils s’en prennent aux policiers et saisissent des matériels de l’Etat.

Les anciens militaires sont bien armés et constituent une grave menace pour la population civile en général et le processus électoral en particulier. Dans certaines zones du pays ces anciens militaires s’associent à des bandits pour terroriser la population. A titre d’exemple : à Petit Goâve, les bandes de Dady Ostiné (Ti Kenley), évadé du Pénitencier National le 1er janvier 2004, et de Rodolphe Louis (Rood) agissent avec la bénédiction des anciens militaires qui les considèrent comme des militants ayant combattu le régime déchu, donc, intouchables.

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III. Le Front de Résistance

Aux Gonaïves, les membres du Front de Résistance qui avaient pris les armes contre le gouvernement Lavalas sont encore armés. Ils créent un climat de terreur et de violence. Ils occupent les postes clés de l’administration publique locale. Ils ont fait usage de leurs armes à feu pour détourner l’aide humanitaire destinée aux sinistrés de la tempête Jeanne qui a ravagé la ville des Gonaïves et ses périphéries, du 17 au 19 septembre 2004.

Les personnels des organismes nationaux, internationaux et de la Croix Rouge Internationale, travaillant aux Gonaïves, ont fait l’objet de nombreuses attaques par les membres du Front.

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IV. Les Gangs Armés

Les gangs armés n’ont pas chômé, ils sont beaucoup plus actifs à Port-au-Prince en général et dans les quartiers populaires en particulier. Ils s’entretuent, ils tuent, volent, violent, kidnappent les gens. Ils incendient, saccagent les biens privés et/ou publics. En un mot, ils prennent la population en otage.

V. L’appareil judiciaire

L’Appareil Judiciaire représente, à sa façon, un élément non négligeable dans la persistance de l’insécurité en Haïti. Les membres de l’Opération Bagdad arrêtés par la Police sont libérés sans aucune forme de procès contre des « pots-de-vin ».

Il est clair que la question des Magistrats corrompus constitue un des problèmes épineux qui gangrène l’Appareil Judiciaire ces derniers jours. Les cabinets d’instruction sont bourrés de dossiers, mais très peu de cas aboutissent à des procès. La question de main levée du mandat d’écrou devient une véritable plaisanterie. Beaucoup de criminels dangereux sont libérés purement et simplement par ce canal.

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VI. Les Centres de Détention (Prisons)

Plus de la moitié des centres de détention ont été lamentablement saccagés et au moins un (1) incendié au cours du mois de février 2004. Sur vingt et un (21) centres de détention, quatorze (14) fonctionnent actuellement dans des conditions extrêmement difficiles. Elles sont surchargées. La population carcérale jusqu’au 20 janvier 2005 ne compte que cinq pour cent (5%) des individus ayant fait l’objet d’une condamnation. Quatre vingt quinze pour cent (95%) de la population carcérale sont en attente de jugement.

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Des personnes arrêtées sont transférées et abandonnées dans des juridictions éloignées, à l’insu des autorités judiciaires desquelles dépendent ces détenus. L’exemple le plus frappant est celui de Jacques Mathélier, ancien délégué du Sud et d’autres activistes Lavalas : Jean François Claude Cadet, Bertin Dimanche et Dieudonné Jean Robert, tous arrêtés aux Cayes puis transférés au Pénitencier National le 15 juillet 2004 et abandonnés depuis.

VII. Les Centres de Rétention (Garde à Vue)

Les centres de rétention communément appelés « garde à vue » se retrouvent dans les sous commissariats et commissariats de police. (Â…)

Depuis le lancement de l’Opération Bagdad et la montée vertigineuse de la violence à travers le pays et à Port-au-Prince en particulier, la PNH dans ses interventions contre les fauteurs de troubles, a procédé à beaucoup d’interpellations et d’arrestations. Les centaines de personnes retenues dépassent largement la capacité des policiers des services d’investigation, en termes de moyens logistiques et de ressources humaines. Mais cela ne saurait expliquer que des personnes passent jusqu’à trois (3) mois en rétention sans être déférées par devant leurs juges naturels en violation flagrante et répétée de l’article 26 de la Constitution de 1987 (Â…)

Le Service Départemental de la Police Judicaire (SDPJ), prend un malin plaisir à procéder à des arrestations dont la finalité est de jeter les personnes appréhendées dans les garde-à -vue de l’aire métropolitaine sans se soucier de les présenter aux tribunaux. En témoignent les cas suivants.

(Â…)

Presque la moitié des personnes en garde à vue dans les centres de rétention dans l’aire métropolitaine sont sous les ordres du Service Départemental de la Police Judiciaire (SDPJ).

VIII. La Police Nationale d’Haïti (PNH)

Il ne fait aucun doute que l’Opération Bagdad conduite avec une cruauté sans pareille appelle, de la part des forces de l’ordre, une réaction de fermeté. Mais c’est aussi là que la police doit montrer son degré de professionnalisme. Elle doit se préoccuper d’une part à minimiser les dommages collatéraux, ce qui ne semble pas être le cas, et d’autre part à éviter la tentative d’utiliser les mêmes méthodes inhumaines de combat que les bandits.

La Police Nationale d’Haïti (PNH) travaille depuis quatre (4) mois environ dans des conditions extrêmement difficiles en vue de rétablir l’ordre dans les zones de « non-droit » à la Capitale.

La NCHR note que certaines interventions policières dans les quartiers populeux sont soldées par de graves dommages collatéraux. Elle est préoccupée également par le fait que des cas d’arrestation suivis de disparitions et/ou d’exécution soient mis aujourd’hui encore (près d’un an après le départ d’Aristide) à la charge de la PNH :

-  Le 19 janvier 2005, lors d’une intervention de la PNH à Cité de Dieu, Abdias Jean, aurait été maîtrisé puis froidement abattu ;

-  Le 19 janvier 2005, Wilbert Jeanty, Jean Casimir Pierre, Jean Louis, Saurel Marcellus et Thomas Fils Aimé qui revenaient de l’aéroport, auraient été arrêtés par une patrouille policière, tout près de Bâtimat. Depuis, ils sont portés disparus. Toutes les démarches faites par la NCHR à travers les commissariats et prisons de la zone métropolitaine se révèlent infructueuses ;

-  Le 17 janvier 2005, Ederson Joseph (Pouchon), âgé de 17 ans, a été tué chez lui à la ruelle Estimé (zone Pourpelard), au cours d’une opération de police consécutive à l’attentat dont fut victime dans la zone, la veille, le chef du cabinet du Premier Ministre ;

-  Le 14 janvier 2005, aux environs de huit heures trente (8h30) du soir, Réjouis Jean Roosevelt, selon ses parents, aurait été arrêté par une patrouille policière de la Garde-côte, à Source Corossol. Son cadavre a été retrouvé tôt, le matin du 15 janvier 2005, sous le pont de Lamentin, zone Route Rail ;

-  Le 5 janvier 2005, Jimmy Charles arrêté au Fort National par une patrouille de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) fut conduit à l’Antigang. Suite à son audition par devant le Tribunal de Paix Section Sud, les 10 et 12 janvier 2005, il fut libéré suivant un ordre de mise en liberté du juge Ambroise Gabriel. Son corps a été retrouvé à la morgue de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH), le lendemain de sa libération, soit le 13 janvier 2005. Tout laisse supposer qu’il n’ait pas eu le temps de rentrer chez lui.

-  Le 4 janvier 2005, la PNH a mené une opération au Village de Dieu. Au moins, sept (7) personnes ont été tuées dont Angela Amazan, une jeune fille de 16 ans, élève de 6ème année fondamentale ;

-  Le 1er décembre 2004, une mutinerie s’est éclatée au Pénitencier National, où dix (10) détenus ont trouvé la mort et quarante sept (47) blessés. Deux (2) mois après l’enquête se poursuit en dépit des promesses faites par les autorités que les conclusions seraient connues sous peu ;

-  Le 13 novembre 2004, à 2 heures du matin, Jean Léonel, Junior Derazin, Donald Derazin et Marie France Dufresne, la concubine de Junior ont été enlevés chez eux à Martissant 1, Impasse Tempête, par des hommes vêtus de noirs. Leurs corps ont été retrouvés à huit (8) heures du matin à la morgue de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) ;

-  le 26 octobre 2004, au Fort National, sept (7) jeunes, tous originaires du Bel Air, après avoir été maîtrisés, furent torturés et exécutés sommairement par un commando armé, habillé en noir, à bord d’un véhicule non identifié. Six (6) autres jeunes furent enlevés puis libérés par leurs ravisseurs dans la zone de Titanyen. Trois (3) mois plus tard, les résultats de l’enquête ouverte se font encore attendre ;

La NCHR, compte tenu des difficultés rencontrées sur le terrain dans les zones à risque, n’est pas en mesure, pour l’instant, de confirmer que l’enlèvement, la disparition et l’exécution sommaire entrent dans la stratégie de la police pour contrer l’Opération Bagdad. Toutefois, vu le nombre de plaintes enregistrées en ce sens, elle croit nécessaire d’exiger de la police et de la justice l’ouverture d’enquêtes sérieuses sur les cas dénoncés afin que les auteurs de telles violations des droits humains soient identifiés, jugés et punis.

La NCHR salue les efforts des responsables de la PNH dans la lutte contre les policiers impliqués dans les cas de violations de droits humains et de malversations. Toutefois, il ne suffit pas de les renvoyer de l’institution mais aussi et surtout les transférer par devant la justice répressive pour qu’ils soient sanctionnés conformément à la loi.

Conclusions et Recommandations

La NCHR déplore que le programme de désarmement annoncé à grand renfort de publicité soit resté au stade de vœu pieux jusqu’à aujourd’hui et que la population soit prise en otage partout par des groupes armés. Une telle situation si elle n’est pas corrigée risque de compromettre l’organisation générale des élections cette année.

Elle condamne également les interventions policières qui ne tiennent pas compte des principes de base relatifs à la conduite des hostilités.

La NCHR invite les autorités concernées à prendre cet ensemble de mesures en vue de remédier à de telles situations et de permettre au peuple haïtien de jouir effectivement de ses libertés et droits fondamentaux :

1) Ordonner la publication des résultats d’enquêtes menées par les commissions créées par les autorités autour des événements du Fort National et du Pénitencier National, survenus respectivement les 26 octobre et 1er décembre 2004 ;

2) Former un comité de travail sur la problématique des personnes en détention préventive prolongée ;

3) Former une commission d’enquête indépendante sur les cas d’exécution et/ou de disparition mis à la charge de la PNH en vue de fixer les responsabilités ;

4) Renforcer et dynamiser le Service Départemental de la Police Judiciaire (SDPJ) et les Services d’Investigation en vue de les mettre en mesure de remplir leur mission avec efficacité ;

5) Mettre l’Inspection Générale en mesure de participer à toutes les opérations d’envergure de la PNH en vue de relever et de sanctionner les bévues policières ;

6) Prendre toutes les mesures pour que la Police Nationale d’Haïti soit opérationnelle à travers tout le territoire national et à Petit Goâve en particulier ;

7) Faire comparaître les personnes gardées à vue devant leur juge naturel selon le vœu de la loi ;

8) Mettre à la Disposition des Magistrats des moyens adéquats de travail et de renvoyer du système les magistrats corrompus ;

9) Désarmer les groupes armés sans considération d’ordre politique, économique et social.