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Forum SIP : Désaccord sur la notion d’ " urgence " en matière de liberté de la presse en Haiti

Port-au-Prince, 4 févr. 05 [AlterPresse] --- La Société Interaméricaine de Presse (SIP) a organisé ce 3 février à Port-au-Prince un forum d’« urgence » sur la liberté de presse en Haïti, avec la participation de journalistes haïtiens et étrangers.

La rencontre, a laquelle prenait part plusieurs dizaines de personnes, dont des journalistes, a été motivée par la « préoccupation » de la SIP sur la situation de la liberté de la presse en Haïti. Mais, la notion d’« urgence » ainsi que la vision générale de la situation de la liberté de la presse en Haïti aujourd’hui, a divisé les divers intervenants au forum.

« Les autorités ne s’intéressent pas à la protection du droit des journalistes »

Selon Sergio Munoz, Editeur du quotidien américain Los Angeles Times et Président de la Commission Chapultepec de la SIP, les violations contre les médias et les journalistes se poursuivent sans relâche en Haïti.

Munoz, qui dirigeait les débats, a souligné « les violences des dernières semaines » contre 2 journalistes du quotidien haïtien Le Nouvelliste, agressés le 14 janvier dans le quartier chaud de Belair (centre de la capital), et le cas d’Abdias Jean, un journaliste de 25 ans, abattu le 14 janvier dans le quartier populaire Cité de Dieu (Ouest de Port-au-Prince). « Les autorités ne s’intéressent pas à la protection du droit des journalistes », a déploré Munoz.

Le journaliste Don Bohning, ancien correspondant en Amérique latine du quotidien américain The Miami Herald a affirmé que « j’ai l’impression que la presse haïtienne est toujours sous pression politique comme durant les années précédentes ». Evoquant, entre autres, le cas d’Abdias Jean, il a affirmé que « maintenant la situation paraît plus difficile ».

Le Secrétaire Général de l’Association des Journalistes Haïtiens, Guyler Delva, a également soutenu que la situation actuelle représente une « urgence », et, selon lui, « le terme convient mieux aujourd’hui que sous le régime de l’ex président Jean Bertrand Aristide ». Sous Aristide, « tout le monde dénonçait les violations de la liberté de la presse, mais actuellement aucun organisme n’en parle », a dit Delva. Il a demandé au gouvernement « des actions et non des paroles, contre ceux qui ont tué Abdias Jean ou ont agressé les journalistes du Nouvelliste ».

« La période d’urgence c’était plutôt en 2003 »

Max Chauvet, éditeur du Nouvelliste et dirigeant de l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH), a exprimé des réserves sur la notion d’« urgence » employé par la SIP dans le cadre de ce forum. « La période d’urgence c’était plutôt en 2003 (sous le régime d’Aristide) et non aujourd’hui », a-t-il indiqué. Il a fait savoir que durant cette époque « il y a eu une politique systématique de violations contre les journalistes et les médias dits indépendants ».

Même si « les médias et les journalistes doivent faire face à pas mal de défis », a estimé Chauvet, « des progrès » ont été enregistrés depuis la chute du régime d’Aristide, malgré « des obstacles ». « Je ne suis pas là pour défendre un gouvernement », a déclaré Chauvet, « mais nous devons mettre les choses à leur place », a-t-il ajouté.

« Les faiblesses institutionnelles, l’incapacité d’établir le calme et de conduire des enquêtes sérieuses en vue de la justice, affectent la société en général », a poursuivi Max Chauvet. Il a aussi parlé d’ « intolérance » et pour lui, « la liberté de la presse n’est pas encore une valeur acceptée par tous ». Il a relevé qu’ « il est indispensable que les journalistes s’unissent et que les organisations du secteur se dynamisent ».

Pour sa part, le Directeur du Centre Oecuménique des Droits Humains (CEDH), Jean Claude Bajeux, a déclaré que « je ne vois aucune menace contre la liberté de presse en Haïti ». « On se trompe de débat », a ajouté Bajeux.

A propos de l’affaire Abdias Jean, Bajeux a estimé qu’il n’y a pas d’information sur ce qui s’est passé. « Qu’est ce qui empêche les journalistes de nous dire ce qui s’est passé », s’est-il interrogé.

Concernant une controverse entre le Premier Ministre Gérard Latortue et Guyler Delva (Correspondant de Reuters), pour avoir diffusé une information jugée erronée par le bureau du Chef du gouvernement, Bajeux a soutenu le droit du gouvernement de protester contre certains fonctionnements de la presse, sans que cela ne soit assimilé à une menace contre la liberté de la presse. « Pourquoi la presse ne débat pas de la question », s’est-il demandé.

Selon le Directeur du CEDH, « l’urgence » aujourd’hui est de désarmer les groupes violents qui sèment la terreur dans des quartiers de Port-au-Prince. Il a cité en exemple le cas de Belair, où de nombreux actes de violence ont été enregistrés depuis le 30 septembre dans le cadre d’une opération conduite par des partisans d’Aristide en faveur du « retour physique » de l’ancien Président.

La SIP a adopté l’idée d’un « forum permanent » et de solidarité avec Haïti, au lieu de forum « d’urgence », en vue du « renforcement » et d’une plus grande « professionnalisation » de la presse haïtienne, selon Sergio Munoz.

« Peut-être est il nécessaire d’étendre notre travail sur la question de la liberté de la presse », a commenté Ricardo Trotti, Directeur de l’Institut de Presse de la SIP. [gp apr 04/02/2005 01:00]