Débat
Par Myrtha Gilbert*
Soumis à AlterPresse le 20 juin 2017
Introduction
Le plan américain pour Haïti, initié en 1981-1982 avec l’extermination des cochons créoles, s’est pleinement donné à connaître à partir de 1986, à la chute de la dictature trentenaire des Duvalier. Un prétentieux économiste, de l’école des apatrides, choisi par les maîtres de ce plan infernal, Lesly Delatour, s’en est donné à cœur joie, fermant des entreprises publiques, livrant quelques autres à l’appétit de brasseurs d’affaires, surtout étrangers, rabaissant les tarifs douaniers sur toute une gamme de produits agricoles cultivés par la paysannerie et d’autres de premières nécessités fabriqués par l’industrie locale.
Le prétexte officiel pour l’implémentation de ce projet nihiliste : le redressement de l’économie haïtienne [1] ; sous entendu, l’amélioration des conditions de vie des haïtiens grâce à la performance du secteur privé et la réduction de l’intromission de l’Etat dans les sphères financières, économiques, commerciales et celle de la production.
Bien entendu, il y a eu bien avant, des préparatifs de terrain, comme la présence en nombre imposant au début des années 80, des ONG internationales, venues prêter secours à un Etat défaillant. ONG-santé, ONG-éducation, ONG-eau potable, ONG-relèvement agricole, ONG-reboisement, ONG-société civile, ONG-droits humains, ONG-contre la violence, ONG-Christ sauveur des âmes… j’en passe et des meilleures !!!
En alliance ou en symbiose avec ces organisations venues sauver le peuple haïtien, nous retrouvons un trio bien connu : Banque Mondiale, FMI, USAID et en accompagnement, l’Union européenne et la BID.
Malgré tout le talent qu’ils ont mis à nous enterrer, ils s’étonnent de nous voir encore là, bien vivants. Alors, ils décident de jouer les prolongations. A voir jusqu’où va notre « résilience ». Nous les tenons par le ventre, et ils ne veulent pas lâcher prise ; essayons voir, s’ils peuvent résister quand nous touchons la tête. Eh oui ! La tête pensante. Si nous arrivions à sa dislocation. Il n’y aurait plus de poste de commande.
L’UEH dans l’œil du cyclone
Ainsi, l’UEH est-elle depuis un moment dans le viseur des maîtres du Cirque. Des nuages noirs s’amoncellent sur l’UEH écrivions-nous en 2007 [2]. Et comment ! Les conditions s’y prêtent d’ailleurs. La misère est à son comble. Le chômage désespère une force de travail disponible ; et le désespoir des jeunes universitaires est un ferment qui permet toutes les instrumentalisations.
Ce n’est pas un hasard qui a permis l’occupation du rectorat de l’UEH, depuis le début du mois de février 2016 ; un acte de délinquance conforté par le laxisme des autorités haïtiennes qui jouent au Ponce Pilate. Ce n’est pas non plus un hasard si des résidents de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti ont initiée une grève sauvage, suivie par ceux d’autres centres universitaires au début du mois de mars de la même année. Nous voulons faire remarquer que dans les deux cas, l’Université d’Etat d’Haïti se trouve au centre de la tourmente.
Ces deux mouvements : occupation du rectorat et grève sauvage des résidents sont peut-être téléguidés par des centres de pouvoir distincts, voire opposés. Mais en fin de compte, ils obéissent à la même démarche. Aboutir au démantèlement d’institutions de l’Etat, par affaiblissement, effritement ou implosion. Les occupants du rectorat veulent empêcher le fonctionnement normal de l’UEH, les résidents (consciemment ou inconsciemment) aboutissent à la liquidation de l’Hôpital Général. De surcroît, beaucoup de médias se sont prêtés avec complaisance à ce jeu de vilains. Est-ce pour plaire aux commanditaires ?
La plupart de ceux qui sont manipulés pour cette sale besogne ignorent sans doute les objectifs précis des actes qu’ils posent. En tout cas, ils travaillent contre l’intérêt collectif, contre l’intérêt des grandes majorités et contre le leur propre à long terme. Et c’est une impardonnable trahison. Les chefs de file ont peut-être reçu des promesses mirobolantes de la part de leurs patrons : argent, postes bien rémunérés et bourses d’études. Mais les traîtres sont toujours méprisés, même de ceux qui les utilisent. Et l’opprobre dont ils se seront couverts les suivra toute leur vie.
Alors, dans l’espoir du démantèlement de ce qui reste debout, les violons se sont accordés. Ceux d’une frange de l’oligarchie, (acoquinée à des politiciens dwategòch), et des sponsors étrangers, des supporteurs naïfs, et en sus, des « zentellectuels » qui se disent de gauche, hélas !
Le clan des oligarques souhaite élargir leur espace d’investissements privés, en mettant KO l’Université d’Etat d’Haïti. La plupart caressent déjà l’idée de capter un peu plus d’argent de la diaspora, connaissant la solidarité familiale en matière de frais scolaires. Ils rêvent d’une espèce de FNE (Fonds National d’Education) mais privé. Sans contrôle d’un quelconque parlement. Ils détestent l’Etat quand il faut payer, ils adorent l’Etat quand ils peuvent gruger. Les politiciens rêvent de domestication pour renforcer leur pouvoir ; les zentellectuels qui se disent de gauche -vulgaires opportunistes- cherchent désespérément à l’aide de coup bas, postes juteux et opportunités d’affaires. Tous, ils utilisent les services d’étudiants-casseurs (les nouveaux cacos Jésus) qui monnaient leur brigandage contre un os enrobé de sucre à sucer. C’est un marché en pleine expansion. (1997-2017).
Depuis 1997, consacrant l’autonomie de l’Université, les crises se succèdent. Plus timides au début, bien plus graves aujourd’hui. Comme si la classe du vrai pouvoir d’Etat voulait faire payer à l’UEH le prix de son autonomie dans un pays où l’autoritarisme est roi.
Les prétextes à la violence aveugle sont multiples : 2000 ; 2002 ; 2008.
L’essai 2009- 2010, avec la farce de la fermeture de la Faculté de Médecine par des « étudiants en service commandé », n’a pas apporté les résultats escomptés. Deux ou trois petits malins ont obtenu des « jobs » bien rémunérés. Et c’est tout. Les commanditaires sont restés sur leur soif.
D’ailleurs, bien avant ces actes de brigandage, un médecin de la place avait manifesté ses inquiétudes, eu égard aux progrès constatés dans les soins fournis par le service d’urgence de l’HUEH (Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti) quelque temps auparavant. Il craignait que de telles avancées ne forcent la fermeture de certains hôpitaux privés, dont le sien !!! Sans commentaires.
Les combats d’hier doivent guider ceux d’aujourd’hui
A la chute de la dictature des Duvalier, les étudiants et le monde universitaire en général ont manifesté avec force leurs revendications d’une Université Autonome, capable de s’épanouir et de former en toute indépendance, les cadres nécessaires au pays. La plupart des étudiants de 1986, pensaient à ce nouveau pays à édifier, au rôle important qu’aurait à jouer l’Alma Mater, loin des caprices et des griffes de dictateurs rétrogrades et dans toutes les phases de construction de cette nouvelle société.
Car, ce pays revenait de loin. De 29 ans de dictature féroce. Il ne faut pas oublier le calvaire des étudiants et des intellectuels progressistes et révolutionnaires sous la dictature des Duvalier : les étudiants Thomas Charles, Robert Désir, Yanick Rigaud, Jean Souffrant, Robert Barreau, Serge Desruisseaux, Ponas Exantus, Chéry Louissaint, Yves Muzac. Professeur Jean-Jacques Dessalines Ambroise, professeur Mario Rameau, professeur Guy Lomini, professeur Jean-Claude Alexandre, professeur Roberson Dorval, professeur Jean Napoléon, professeur Jean-Robert Bellevue etc.
L’infiltration des lycées par cette dictature rétrograde, offrit à de jeunes écoliers-macoutes la permission d’entrer en salle de classe, arme au poing, menaçant élèves et professeurs. Les anciens du lycée de Pétion-Ville à l’époque, en savent quelque chose.
En ce temps-là, personne ne se vantait d’être militant. On se contentait de mener la lutte de manière clandestine, avec tous les risques que comportait cet affrontement inégal face à une dictature féroce appuyée par l’étranger. Ceux et celles qui luttaient n’escomptaient aucun gain individuel : ni passe-droit, ni job, ni bourse d’études en France, aux Etats-Unis, ou ailleurs.
Nous étions peut-être des rêveurs, des idéalistes ? Mais que vaut une LUTTE SANS IDÉAL, sans cette flamme qui vous porte à accepter tous les sacrifices, au nom d’une cause juste ?
Qu’est donc devenue l’Université d’Etat d’Haïti ? Comment comprendre cette soif de destruction ? Qui sont ces professeurs, ces étudiants qui n’ont à la bouche que menaces, injures, insultes et mensonges comme armes de combat ? Et quels combats ?
Yanick Rigaud, Jean Souffrant et Robert Barreau étaient des étudiants de la faculté de médecine dans les années 60. Thomas Charles, étudiait la Pharmacie. Tous, Militants exemplaires, ils ont donné leur vie pour que fleurisse une autre société. Que de tels exemples de dépassement et d’abnégation inspirent à nouveau les étudiants de l’UEH et la jeunesse haïtienne en général.
……….
*Enseignante, chercheure
Texte daté de juillet 2016
Corrections et ajouts : 19 juin 2017