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Haïti : Pouvoir et opposition, en action dans le bruit…

Débat

Par Gary Olius*

Soumis à AlterPresse le 7 juin 2017

Homme de vigie Dis-moi je t’en prie
si je peux chanter plus haut que le vent
et crier ma joie d’une aube nouvelle

Anthony Phelps

Cela ne m’a pas pris beaucoup de temps pour concéder à Jacques Attali que le bruit, la politique et le pouvoir sont intimement liés. L’expérience haïtienne aidant, j’ai facilement compris que le bruit entretenu a toujours été un enjeu de pouvoir et un instrument politique. De là à acquiescer à ce que disait ce maître à penser, il n’y avait qu’un petit pas de fourmi. De fait, je suis habitué à voir des gens qui vocifèrent, battent la grosse caisse ou font du bruit justement pour imposer le silence à leurs interlocuteurs. Chose paradoxale en apparence, mais bien réelle en vérité. Et, ici-bas, la politique est faite surtout de cela, promouvoir une chose, même jusqu’à la déraison s’il le faut, en vue d’obtenir ce qu’on désire ardemment : son contraire.

Toutefois, il y a toujours un danger quand on mélange avec insouciance bruit et pouvoir politique, étant donné le fait que le bruit en soi est une forme de pouvoir. Je précise, un pouvoir destructeur assimilable à celui d’un ouragan de dernière catégorie. Quand on ne prend pas bien garde, en maniant bruit, politique et pouvoir, on encourt le risque d’instaurer sans le vouloir un terreau propice à l’apprivoisement du ridicule, où tout devient objet de risée. Dans de telles conditions, on rit de la souffrance et de la mort des autres ; on peut même rire de l’éventualité de sa propre disparition tout en pensant faussement que le ridicule ne tue pas. Voyez-vous, le rapport du bruit à la politique ou au pouvoir contient un aspect bluffant et est aussi tautologique que le rapport qu’entretiennent la poussière et le sol. Les politologues de l’opposition et les conseillers politiques du pouvoir en place devraient en savoir quelque chose.

La réalité quotidienne est telle qu’en Haïti, toute tentative pour cerner la quête du développement et de la démocratie - que le régime en place et les forces de l’opposition disent mener - se retrouve réduite à un casse-tête pour comprendre la topologie du bruit. Et d’emblée se pose un défi majeur, celui d’effectuer la radiographie d’une réalité bruyante et assourdissante sans éprouver soi-même le moindre étourdissement. Heureusement, l’objectivité et la raison sont faites pour cela. Quand vous vous armez de ces outils, soit vous devenez l’interlocuteur de tout le monde soit vous n’êtes l’interlocuteur de personne. Ce qui revient au même, car dans les deux cas vous vous mettez loin du fanatisme maladif qui imbibe l’esprit de la grande majorité des gens de ce pays et les empêche de réfléchir librement. En cela, vous vous parez de l’armure qui rend imperméable au bruit. Plus personne, pas même un magicien hollandais, ne peut vous imposer le silence en utilisant le pouvoir neutralisateur du bruit.

Les élites piègent le pays sans concession, en faisant tout dans le bruit et en transformant le bruit en moyen de règlement des rivalités économiques et politiques. Ce n’est pas inconsciemment, puisqu’elles ont insisté jusqu’à sonner le glas du silence propice à la réflexion, à l’inspiration et à la création. Les expressions « mpral ba l bri », « mpral mete l cho » en disent long sur cette tendance généralisée à instrumentaliser le bruit pour en faire une arme redoutable de dernier recours. Les choses se sont dégénérées à un point tel que la substance même des relations pouvoir-opposition, pouvoir-développement et opposition-développement se retrouvent inscrites dans une espèce de triangulation du bruit. La presse en raffole et entretient cette atmosphère à coup de scoops et de buzz.

Le désir de communiquer au maximum avec une population déjà assourdie s’est transformé en un rituel du bruit, plongeant de plus en plus celle-ci dans la confusion, ne sachant plus à qui et à quoi accorder du crédit. L’opposition politique, pour combattre le régime de Moise-Lafontant ne trouve pas mieux que de faire du bruit avec des questions vitales pour le pays comme le prix du carburant, le salaire minimum, la définition des priorités du moment, etc. Emboitant le pas, pour amorcer la mise en œuvre de son programme d’actions pour le changement promis, le gouvernement a eu recours à une stratégie de caravane dans laquelle l’excès de cocorico est palpable. C’est encore du bruit, puisque le passage bruyant de cette caravane ne peut pas se faire sans agacer obligatoirement ‘l’espèce canine’, comme le veut le dicton populaire : « les chiens aboient la caravane passe ». Sur les questions du développement socio-économique et des politiques publiques, une frange de l’opposition – masquant mal son incapacité patente à proposer des alternatives techniquement attrayantes – amplifie le bruit par des égosillements stériles ou des appels aux casses et à la violence.

Les organisations de la société civile, non plus, ne sont pas en reste. Elles cherchent désespérément leurs vocations perdues. On les croyait, à tort, réduites au silence par les multiples scandales qui les ont éclaboussées. Elles reviennent de l’agonie et se réactivent, pour le meilleur et pour le pire. Elles se posent en caisse de résonnance des revendications de certaines couches bafouées de la société, et en faisant cela, au moins, elles ont signifié encore leur existence. On dirait que c’était bon signe pour cette société qui en a tant besoin. Là encore, pas une seule proposition viable à l’intention des protagonistes qui se préparent à l’affrontement. En fin de compte, ce n’est rien que du bruit…

Des professeurs travaillent des années durant, sans recevoir un sou du trésor public. C’est navrant et humiliant. Ils s’indigent avec raison et ont battu le macadam. Ils estiment que leurs efforts et leurs sacrifices ne sont pas suffisamment appréciés par la société. Voyant que leur voix n’a pas été entendue, ils se sont rabattus sur la violence comme point d’appui pour pouvoir se soulever et obtenir l’appui de leurs alliés naturels que sont les élèves des lycées publics. Tous se sont rués sur les barrières et les toitures métalliques de certaines écoles congréganistes et privées à coups de pierre. On a eu du bruit ras les tympans…

Du train que ça va, on risque d’avoir du bruit à n’en plus finir. La presse haïtienne en profite allègrement et en fait déjà ses choux gras. Par ses scoops à sensations, fondés ou infondés, elle alimente le vacarme et la confusion pour mieux se positionner et vendre au plus souffrant et au plus offrant sa masse de fumées. Dans ce tintamarre et ce vaste dialogue de sourds, la seule issue est que les autorités gouvernementales retrouvent leur vraie posture d’hommes d’Etat et leur tranquillité ; d’une manière ou d’une autre. Pour cela, il faudrait aussi que l’opposition politique se rationnalise et ne se trompe plus de priorité.

Le Président Jovenel Moise, pour sa part, devra peaufiner sa stratégie d’actions et de communication comme tous les gens sérieux le souhaitent. Partant de l’idée qu’il est le président de tous les haïtien(ne)s et que le pays est un bien commun dont nous avons l’obligation de transmettre avec fierté aux générations futures, il doit assumer plus formellement sa fonction et se poser en chef d’orchestre qui donne le ton et marque les mesures. Et, cela, tout en étant très attentif aux éventuelles notes discordantes. Et, sans bruit sans compte, il devra s’évertuer à rectifier opportunément avec tact et dextérité tout ce qui mérite de l’être. C’est à cette seule condition que le pays pourra passer du vacarme ambiant qui assourdi et paralyse, à la plus sobre symphonie de gouvernance qui apaise, inspire, édifie et rend créatifs …

* Economiste et Politologue spécialisé en Gouvernement et Administration Publique
Contact : golius@hotmail.com