Communiqué du Réseau national de défense des droits humains (Rnddh)
Soumis à AlterPresse le 9 juin 2017
Le 11 juin 2017 ramène la journée nationale de l’enfant en Haïti.
A cette occasion, le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) et ses structures régionalisées, croient opportun de passer en revue l’état du système scolaire haïtien et les conditions de détention, auxquelles sont soumis les mineurs en conflit avec la Loi.
I. Sur le système scolaire haïtien
Depuis plusieurs années, le système scolaire haïtien est l’objet de crises récurrentes.
Les problèmes, aussi nombreux que divers dénoncés par plus d’un, peuvent être classés comme suit :
• Formation académique en déclin ;
• Dissimilitude de formation reçue, selon le type d’établissements scolaires fréquenté ;
• Inaccessibilité à l’éducation, pour plusieurs enfants en âge d’être scolarisés ;
• Indisponibilité des ouvrages didactiques ;
• Non-qualification de certains professeurs ;
• Inadéquation des espaces logeant des établissements scolaires ;
• Surencombrement des salles de classes.
Ces problèmes ont, à maintes reprises, fait l’objet de discussions, et surtout de promesses de la part des autorités étatiques. A un certain moment, il était même question d’une réforme en profondeur du système scolaire haïtien.
Cependant, la situation perdure et tend au contraire à s’aggraver. Les rares tentatives de correction se sont révélées inefficaces.
Par exemple, le Programme de scolarisation gratuite et obligatoire (Psugo), mis en place depuis 2011 - et non élaboré dans le cadre d’une politique publique - n’a pris en compte que deux (2) aspects des problèmes susmentionnés à savoir, l’inaccessibilité des élèves à l’éducation et l’indisponibilité des ouvrages didactiques, sans tenir compte des autres problèmes dont entre autres, la qualité de la formation et la capacité d’accueil des espaces scolaires. Conséquemment, le Psugo a engendré d’énormes difficultés dans le système.
De plus, des établissements scolaires privés, qui avaient accepté d’intégrer le processus de scolarisation gratuite, pour un certain nombre de leurs élèves, sous réserve de se faire payer directement par l’Etat haïtien, affirment ne pas recevoir à temps – ou pas du tout – les versements qui leur sont dus.
Selon eux, cette situation a mis les responsables de ces établissements scolaires dans l’impossibilité de payer leurs professeurs.
De nombreux mouvements de protestation ont été organisés par des professeurs et des directeurs d’écoles, pour réclamer leurs rémunérations et exiger, des autorités étatiques, le respect de leurs engagements et le versement des subventions.
Ces mouvements ont été enregistrés à travers le pays, notamment à Port-au-Prince, à Saint Marc, à Jérémie et à Jacmel. Si, à date, les protestations relatives au Psugo se sont un peu calmées, plusieurs responsables d’établissements scolaires affirment encore être dans l’impasse.
1. Mouvement de protestation des enseignants pour exiger de meilleures conditions de travail et d’apprentissage
Le fossé, qui existe entre les établissements scolaires privés et les lycées, s’élargit chaque jour, au point où ces derniers constituent le dernier choix des parents ne pouvant pas faire face aux exigences pécuniaires des établissements privés.
En plus des problèmes susmentionnés, frappant le système scolaire haïtien, en général, les lycées sont confrontés à des difficultés plus spécifiques.
En voici quelques exemples :
• Des professeurs ne sont pas nommés ;
• Plusieurs mois d’arriéré de salaire ne sont pas payés ;
• Les professeurs sont absents dans les salles de classe.
A ce sujet, des mouvements de protestation, des grèves ainsi que des manifestations des rues sont enregistrés tout au cours des années scolaires, perturbant le cursus et amenuisant drastiquement le nombre de jours de classe des élèves des lycées. Ces manifestations sont réalisées pour réclamer, entre autres :
• Le paiement des arrières de salaire ;
• La nomination de tous les professeurs qui travaillent déjà dans le système et la nomination des normaliens ;
• L’ajustement de salaire ;
• La distribution d’une carte d’assurance-santé aux enseignants ;
• Une allocation aux écoles nationales, de frais de fonctionnement ;
• L’élaboration d’une loi portant sur le statut des professeurs ;
• La construction d’établissements publics partout dans le pays ;
• La mise en place d’une cafétéria dans toutes les écoles et universités.
Au cours de l’année académique 2016 – 2017, la situation, telle que décrite plus haut, ne s’est pas améliorée. Au contraire.
Depuis le 2 mai 2017, une grève est lancée à Port-au-Prince par un syndicat d’enseignants, pour exiger de l’Etat haïtien le respect de ses différents engagements, en vue d’offrir aux élèves et aux enseignants de meilleures conditions de travail et le paiement de plusieurs mois d’arriéré de salaires.
• Dans le département de l’Ouest, nombreux sont les lycées qui ne fonctionnent pas depuis de nombreuses semaines. Les professeurs ne se rendent pas sur leurs lieux de travail. Des manifestations de rue ont été réalisées par des enseignants, qui avaient promis de reprendre le travail, si leurs revendications étaient comblées. Cependant, les autorités étatiques n’ont pas donné suite immédiate à leurs demandes. Alors, le mot d’ordre de grève n’a jamais été levé et, jusqu’à date, de nombreux élèves ne sont pas retournés en classe.
Les autres départements géographiques du pays ont rejoint le mouvement, en vue de faire grimper la pression sur les autorités concernées.
A titre d’exemples :
• Dans le département du Sud-Est, les professeurs des écoles publiques ont observé des arrêts de travail de plusieurs jours, en vue de réclamer les nombreux mois d’arriéré de salaires, qui leur sont dus ;
• Au Cap-Haïtien, dans le département du Nord, des arrêts de travail, lancés par des professeurs des écoles publiques, ont été également enregistrés. De nombreux professeurs nommés ont manifesté pour exiger leurs salaires. D’autres, travaillant depuis plusieurs mois au Lycée des Jeunes Filles et au Lycée Boisrond Tonnerre, ont manifesté pour exiger leur nomination.
2. Mouvement de protestation des élèves en solidarité aux professeurs
Les conséquences de ces mouvements de protestation, sur l’année académique 2016 - 2017, sont énormes.
En effet, les élèves des lycées sont obligés de rester chez eux, en essayant, tant bien que mal, de combler leur temps. Si certains parents se sont débrouillés pour permettre à leurs enfants de suivre des cours dans un collège, la plus grande majorité des élèves des Lycées ont passé les deux (2) derniers mois à ne rien faire.
Pour protester contre cette situation, certains d’entre eux ont décidé de se joindre à la lutte des professeurs, en vue d’exiger le respect de leurs revendications par les autorités étatiques et par voie de conséquence, le retour des professeurs et des élèves dans les salles de classe et la reprise des cours.
Toutefois, ces manifestations, dans lesquelles ont pris part les élèves, ont été entachées d’actes de violence : Des barrières de certains établissements scolaires privés ont été brisées, des établissements privés ont été forcés de fermer leurs portes et des élèves ont été attaqués.
A ce niveau aussi, les exemples sont nombreux :
• A Plaisance du Sud, dans le département des Nippes, des élèves du Lycée National ont manifesté dans les rues, les 31 mai et 1er juin 2017, pour exiger la reprise des cours. Ils ont érigé des pneus enflammés sur la chaussée et ont investi l’enceinte d’un établissement scolaire, y ont mis le drapeau à mi - mât, soulevant le mécontentement des élèves de cet établissement, qui ont riposté par jets de pierres ;
• A Petit Trou de Nippes, les élèves ont gagné les rues. De plus, ils ont empêché les autres établissements de fonctionner. Ils ont même interdit l’accès, pour un certain temps, aux enceintes du Tribunal de Paix et du Bureau postal de la ville ;
• Des tentatives de manifestation des rues ont été enregistrées à Saint Michel des Nippes et à Miragoane, où des élèves de l’Ecole Saint Michel, 4e section de Miragoane, et de Ecole fondamentale d’application – Centre d’appui pédagogique (Efacap) de Butète, localisé à Fonds-des-Nègres, ont emporté des bancs pour dresser des barricades dans les rues. Des agents de la Police nationale d’Haïti (Pnh) sont intervenus à temps pour endiguer ces manifestations ;
• A Jacmel, dans le département du Sud-Est, des élèves des lycées ont gagné les rues, à plusieurs reprises, durant les mois d’avril et de mai 2017, en vue de réclamer la présence des professeurs dans les salles de classe.
3. Situation actuelle
Il est certain que l’année académique 2016 – 2017 a été bâclée.
En aucune façon, on ne peut prétendre que les élèves sont prêts pour passer en classe supérieure ou pour subir des examens. Or, cela n’a pas empêché certains lycées de décider de :
• Faire subir les examens de fin d’année aux élèves, sur la base des programmes suivis jusqu’à mars 2017 ;
• Faire passer, en classe supérieure, les élèves qui ont obtenu une moyenne générale sur les examens subis ;
• Organiser des cours de rattrapage, en fin de semaine, pour étudier, en classe, les programmes qui n’ont pas été abordés ;
• Réaliser, à Jérémie, des émissions radiodiffusées sur les programmes qui n’ont pas été vus en classe.
Le Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle ainsi que toutes les autorités étatiques ont superbement banalisé le mouvement des professeurs et des élèves. Ils pratiquent, comme à l’accoutumée, la politique du pourrissement de situation. Les inspections scolaires ne fonctionnent pas. La loi sur les frais scolaires, bien que promulguée, n’est pas respectée.
Aujourd’hui, certains professeurs réclament l’annulation des examens officiels, en raison du fait que les programmes n’ont pas été bouclés dans les lycées, qui n’ont pas travaillé depuis mai 2017.
Pour leur part, les parlementaires semblent ne pas mesurer l’importance du problème. Le montant, alloué dans le budget pour la mise en application de la politique étatique en matière d’éducation, peut témoigner de cet état de fait.
II. Sur la situation des mineurs en conflit avec la Loi
La loi haïtienne protège les mineurs mais, ses dispositions ne sont que rarement prises en considération, et les mineurs en conflit avec la Loi se voient soumis au même régime de détention que les adultes : Ils sont gardés dans des centres de détention et leurs dossiers suivent le parcours habituel, en matière de contravention, correctionnelle et criminelle.
De manière générale, ils ne sont pas séparés des adultes, sauf dans le département de l’Ouest, où une prison spéciale, dénommée Centre de réinsertion des mineurs en conflit avec la Loi (Cermicol) a été construite pour les garçons.
Les filles, jadis gardées à la Prison civile de Pétionville, sont aujourd’hui, incarcérées à la Prison civile des femmes de Cabaret, avec les femmes.
Sur le plan juridique, la situation des mineurs en conflit avec la Loi n’est pas reluisante. En effet, sur un total de deux cent soixante-dix-huit (278) mineurs incarcérés, soixante-neuf (69) sont condamnés et deux cent neuf (209) en situation de détention préventive.
A la lumière de ces informations chiffrées, 76 % de la population carcérale juvénile attend d’être fixée sur son sort.
Cependant, des exemples spécifiques relatent mieux la situation :
• Des cent un (101) mineurs, incarcérés au Cermicol, quatre-vingt-cinq (85), représentant 85 % d’entre eux, sont en attente de jugement. Parmi eux, le Rnddh a dénombré le cas de quarante-cinq (45) qui, incarcérés de 2013 à 2015, attendent encore d’être jugés. Ils sont ainsi répartis : trois (3) incarcérés en 2013, treize (13), en 2014 et vingt-neuf (29), en 2015 ;
• Les filles en conflit avec la Loi, incarcérées à la Prison civile des femmes de Cabaret, sont aujourd’hui au nombre de douze (12) filles. Parmi elles, deux (2) - soit 16% - sont condamnées et dix (10)- soit 84 % - sont en attente de jugement.
Parmi les condamnés, le Rnddh a relevé le cas d’une mineure, qui a écopé d’une condamnation à perpétuité et de deux (2) autres mineurs, qui ont été condamnés à quinze (15) ans de prison.
De même, au sous-commissariat de Borne Soldat, à Petit-Goave, le Rnddh a recensé huit (8) mineurs incarcérés, dont un (1) condamné. L’un d’entre eux, âgé de quinze (15) ans, a été arrêté pour vol de réchaud et attend, depuis février 2017, d’être jugé.
III. Commentaires et recommandations
Dans le cadre de la commémoration de la journée nationale de l’enfant en Haïti, le Rnddh et ses structures régionalisées ont mis l’accent sur le fonctionnement du système scolaire haïtien et sur le cas des mineurs en conflit avec la Loi.
Cependant, il ne s’agit pas d’oublier les cas des autres enfants en Haïti, dont les mineurs en domesticité, les enfants des rues et les enfants placés en orphelinat ou en centres d’accueil, qui, chaque jour, sont victimes de violation de leurs droits.
Le Rnddh et ses structures régionalisées attirent l’attention sur le fait que la Convention internationale relative aux Droits de l’Enfant, la Constitution haïtienne ainsi que les différentes dispositions légales, portant sur la justice des mineurs, protègent les droits des enfants à l’éducation et aux garanties judiciaires.
Pourtant, dans le pays, la situation est ce qu’elle est : plusieurs systèmes de protection, d’éducation et de formation pour des mineurs catégorisés selon les moyens financiers de leurs parents.
En d’autres termes, c’est au plus haut niveau de l’Etat que la discrimination à l’égard des enfants est planifiée et mise en œuvre.
Par rapport à la situation actuelle du système scolaire haïtien et des mouvements de protestation des enseignants, le Rnddh et ses structures régionalisées rappellent que la Constitution en vigueur dispose, en ses articles 32 et suivants, que : L’Etat garantit le droit à l’Education. L’enseignement est libre à tous les degrés. Cette liberté s’exerce sous le contrôle de l’Etat et la première charge de l’Etat et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L’Etat encourage et facilite l’initiative privée en ce domaine.
De plus, il est de principe que toutes parties, qui interviennent dans la formation, la protection et l’épanouissement des enfants, doivent le faire dans l’intérêt supérieur de ces derniers. Or, le mouvement des professeurs, tel qu’organisé, n’a pas été décidé dans l’intérêt supérieur des enfants et du droit à l’éducation.
Le Rnddh et ses structures régionalisées estiment que lorsque les manifestations étaient sur le point de devenir violentes, les organisateurs avaient pour devoir moral d’y mettre fin, pour éviter que des élèves soient impliqués dans des mouvements violents, avec l’impression qu’ils avaient reçu l’approbation de leurs professeurs.
En ce qui a trait à la situation des mineurs en conflit avec la loi, le Rnddh et ses structures régionalisées estiment que le fait, par les autorités judiciaires, de permettre que 76 % des mineurs en conflit avec la loi croupissent en prison, en détention préventive, ne répond pas aux principes de protection de l’enfant.
En conclusion, le contexte actuel de négation des droits de l’enfant ne permet pas la commémoration de la journée nationale de l’enfant en Haïti.
Les autorités étatiques doivent, au contraire, se pencher sérieusement sur les situations dans lesquelles les mineurs sont appelés à vivre dans le pays, identifier les causes des problèmes susmentionnés et y trouver des solutions durables.
En ce sens, le Rnddh et ses structures régionalisées recommandent :
• Aux autorités étatiques de prendre en compte, dans le budget national, les différents problèmes liés à l’éducation ;
• Aux Professeurs de planifier et d’organiser des mouvements de protestation, qui tiennent compte aussi des intérêts des enfants scolarisés ;
• Aux autorités judiciaires d’intervenir immédiatement sur la situation des mineurs en conflit avec la Loi et d’établir un protocole de suivi efficace, apte à éviter que les mineurs emprisonnés soient gardés en situation de détention préventive, au-delà du délai légal imparti.