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Le courage de rêver en Haïti : Pour combien de temps ?

Par Marcel Duret*

Soumis à AlterPresse le 9 mai 2017

Comme beaucoup d’Haïtiens j’espère contre tout espoir que Jovenel Moise réussira. Malgré son appartenance à un parti politique qui a causé beaucoup de tort à ce pays ! Malgré toutes les accusations qui planent encore sur son parcours ! Malgré le fait qu’il doit trop à trop de monde ! Malgré sa jeunesse et son inexpérience dans la politique et malgré qu’il se soit entouré de collaborateurs tout aussi inexpérimentés ! Malgré les désastres qui ont frappé le pays coup sur coup, augmentant le poids de ses responsabilités ! Nous sommes tous fatigués. Mais nous espérons encore un miracle sachant bien que Dieu, s’il existe, a été quelque part méchant vis-à-vis de ce peuple.

Me basant sur l’une de mes convictions profondes à savoir que le pays nécessite une révolution en profondeur pour le sortir de ce marasme économique et social, la première action majeure du gouvernement Moise/Lafontant n’est pas nécessairement rassurante : la « caravane du changement ».

Si la démarche en soi est louable et viable, puisqu’il il s’agit d’une part de la production nationale et d’autre part de la production de riz qui représente la céréale la plus consommée en Haïti ! S’il s’agit d’un secteur de l’économie qui a un potentiel énorme de créations d’emploi ! S’il s’agit de diminuer le déficit important de notre balance de paiement ! S’il s’agit de permettre à la population de l’Artibonite de s’organiser et de prendre sa destinée en main ! S’il s’agit d’adresser les problèmes fonciers qui existent depuis trop longtemps dans la vallée de l’Artibonite ! S’il s’agit d’améliorer la chaine de valeur au profit des planteurs ! S’il s’agit d’atteindre à moyen et à long terme une certaine autosuffisance ! La démarche la plus importante du gouvernement Moise/Lafontant en faveur de ceux qui malgré tout et avec les moyens du bord arrivent tant bien que mal à nous nourrir, n’est peut-être pas partie d’un bon pied. Il aurait fallu qu’il y ait des préalables, des mesures d’accompagnement et de suivi tels que :


1) Une évaluation en bonne et due forme de la situation foncière de la vallée.

L’une des réformes agraires ou agro-foncières la plus réussie dans le monde est certainement celle qui a eu lieu au Japon après la deuxième guerre mondiale. Si elle a été dictée par MacArthur, c’était le plus grand cadeau des Etats-Unis au peuple japonais. En effet c’est ce qui a constitué la fondation même de l’économie japonaise pour qu’elle puisse devenir aujourd’hui la 3ème puissance économique du monde. La réforme agraire au japon avait trois caractéristiques bien précises :

-  maximum 1 ha par exploitant dans les plaines et 4 ha dans les montagnes ;
-  L’exploitant ne peut pas sous-traiter le contrat avec un tiers ;
-  L’exploitant doit vivre dans la commune ;

Ce sont ces mesures qui ont contribué à ce que le Japon devienne autosuffisant en riz en plus de l’accompagnement de l’État en matière de subvention de toutes sortes. En d’autre terme, il y a eu une décision politique pour faire du riz un produit stratégique. Le Japon est considéré comme le pays où il y a une meilleure distribution des richesses du pays à la fois individuellement et géographiquement.

La caravane du changement envisage judicieusement d’augmenter la superficie plantée et irriguée de la Vallée de l’Artibonite de 18,000 carreaux de terre. Il aurait fallu bien avant qu’une réforme agro-foncière fût exécutée dans les zones concernées.

La Commission Interministérielle de l’Aménagement du Territoire (CIAT) devrait certainement accompagner la caravane en vue de former des agents fonciers, des notaires et des arpenteurs de la région. Il est inutile de rappeler les dégâts causés par les problèmes fonciers dans l’Artibonite.

2) Un programme de Service Civique Mixte Obligatoire

« Se moun ki fè yon peyi ». Tout investissement de l’Etat dans une zone quelconque doit être fait d’abord dans l’homme. Toutes les machineries lourdes du monde ne peuvent que résoudre momentanément des problèmes d’infrastructure. Combien de fois durant les 25 dernières années que ce genre d’intervention a eu lieu dans la vallée de l’Artibonite ? Des interventions spectaculaires de l’ODVA à celles financées par la BID et d’autres organisations internationales, la production et surtout la productivité dans l’Artibonite n’a pas beaucoup changé.

Un programme de Service Civique Mixte Obligatoire (SCMO) devrait accompagner sinon précéder la « caravane du changement ». Il s’agit d’assurer la pérennité et le succès d’un projet dont la gestion doit être assumée éventuellement par la population.

Naturellement le gouvernement n’est qu’à ses débuts et n’aurait pas pu mettre sur pied les structures nécessaires pour exécuter un tel programme. Mais il faut absolument que les interventions du moment soient suivies par le SCMO.

La formation professionnelle adaptée au milieu et greffée sur la formation de discipline militaire stricte provoquera des changements drastiques pour le mieux dans la vie des artibonitiens. L’objectif principal étant de sauvegarder la jeunesse et conséquemment la fondation même du pays.

3) Un corps armé et formé pour veiller à l’application des lois foncières du pays

Un corps spécialisé et armé devrait aussi accompagner et suivre la « caravane du changement ». Ce corps devra être formé en conséquence par le Ministère de la Défense en collaboration avec la CIAT.

4) Vulgarisation du système de méthode d’intensification du riz (SRI)

Il s’agit d’une technologie de culture du riz qui permet une augmentation sensible du rendement à l’hectare dépassant 7 tonnes, sans ajout en engrais ou autres intrants. C’est une technologie qui a été déjà introduite dans l’Artibonite par différentes institutions. Mais avec une campagne soutenue de la part du Président et de son gouvernement elle connaitra un succès certain. Le planteur doit être en mesure de bien appréhender les détails pour l’appliquer. D’où le rôle primordial du programme SCMO.

En conclusion, la « caravane du changement » demeure une démarche louable du gouvernement Moise/Lafontant. Mais il aurait fallu beaucoup plus de temps pour la préparer et surtout pour provoquer la participation effective des planteurs dans sa conception et dans son exécution. Mais nous devons rêver ! Certaines mesures d’accompagnement et de suivi peuvent encore être mises en œuvre par le gouvernement et par la population artibonitienne pour faire de la « caravane du changement » un succès sans précédent dans l’histoire de nos planteurs paysans.

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* Ex Ambassadeur d’Haïti à Tokyo