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Quand Haïti fait sa part dans le sauvetage des juifs d’Europe

Par Maguet Delva

Soumis à AlterPresse le 29 avril 2017

"Avant que les ombres s’effacent" est une époustouflante fresque historique sur la seconde guerre mondiale, du romancier haïtien Louis Philippe Dalembert (éditions, Sabine Wespieser). L’auteur revient sur une période méconnue de l’histoire de son pays, le sauvetage des juifs d’Europe par la République d’Haïti pendant la seconde guerre mondiale.

J’aime bien quand les romanciers s’accaparent de l’histoire, pour en faire des chez d’œuvres humains, gravant ainsi dans les granits de l’histoire des morceaux épars de celle-ci, la transformer en vaste fresque humaine, où s’amoncellent des mémoires défaillantes, où montent les revendications des peuples qui ont connu l’esclavage. Il est plus que salutaire de souligner la grandeur de certains qui ont marqué l’histoire par des actes héroïques, sauvant ainsi l’humanité du désastre de la monstruosité barbaresque du fascisme Hitlérien. Sous cette pente, Haïti, la première République noire au monde, est allée jusqu’au bout de sa logique, appliquant ainsi sa propre doctrine : un homme est un homme, quel que soit sa couleur, son origine, sa race. Pour les autorités haïtiennes, pas question qu’Hitler extermine le peuple juif dans l’indifférence totale. Ce fut la position diplomatique des autorités haïtiennes. Louis Phillipe Dalembert, dans un roman captivant, mêlant fictions et réalités historiques, parvient à traiter des questions hautement historiques sans pour autant altérer les données de l’histoire : « Il s’agissait cette fois de faire gober sa suffisance à Herr Hitler au passage, de voler au secours des malheureux israélites. Premier pays de l’histoire contemporaine à avoir aboli les armes à la main l’esclavage sur son sol, le tout jeune État avait décidé lors, Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la notion ridicule de race, que les êtres humains étaient tous des nègres foutre ! Article grave à la baïonnette au Numéro 14 de la constitution. Aussi existe, il dans le vocabulaire des natifs de l’île des nègres noirs, des nègres blancs des nègres bleus des nègres cannelle des nègres rouges sous la peau ou tout court, des nègres jaunes, des nègres chinois aux yeux déchires .... Dans la foulée ces nègres polychromes avaient décrété que tout individu persécuté à cause de son ethnie ou de sa foi peut trouver refuge sur le territoire sacré de la nation et il devient Ipsos facto citoyen haïtien, c’est-à-dire placé sous la protection des esprits vaudou. Une promesse que les générations successives prendraient très au sérieux » Haïti n’avait pas seulement pris toutes ses parts au niveau étatique dans le sauvetage des juifs d’Europe. Ses ressortissants et diplomates de par le monde s’étaient portés tout naturellement au secours de ces hommes traqués par l’armée de la Wehrmacht. »

Le récit est romanesque certes, mais l’histoire, la vraie n’est jamais absente, omniprésente. C’est un pan entier des relations internationales où Haïti avait joué pleinement son rôle qui remonte à la surface. Le décor est planté et l’auteur va suivre pas à pas son héros, le docteur Ruben SCHWARZBERG, dans son statut de juif à travers l’Europe. Dans cette saga familiale bâtie à partir d’un triangle Paris, Berlin, Port-au-Prince, l’auteur raconte l’errance de cette famille, notamment celle du Dr. Schwarzberg quittant l’Allemagne pour la France, arrivant à Paris, la ville lumière qui fut sa première escale. Mais, très vite, l’armée allemande arrive aussi, c’est une nouvelle errance qui commence : « Ruben terminait la deuxième ou la troisième année de médecine lorsque le petit caporal accéda au pouvoir. On était au mitan de l’hiver 1933, l’un des plus rigoureux depuis le début du siècle, comme un prélude climatique aux mois et aux années à venir. Très vite le nouveau chancelier et son entourage allaient révéler leur véritable visage au monde. Jamais pourtant, pendant cette période, Ruben n’avait ressenti de malaise dans sa relation avec les autres. Peut-être parce qu’il vivait coupé du monde, la seule façon de mener à bien des études aussi exigeantes. Peut-être parce que rien, dans son accent ni dans son physique, ne le différenciaient d’un natif de Berlin. Le fait d’être ne ailleurs était un vague souvenir que venaient lui rappeler parfois ceux de sa famille, ou de rares curieux qui souhaitaient connaître l’origine de son prénom. La naissance quelque part, tel était son credo relève du hasard ou de la volonté d’autres personnes que soi. Après, on assume, ou pas l’endroit qui nous a vu naître. En fonction de l’histoire que l’on aura vécue, des gens qui nous auront appris à l’aimer, à s’y attacher. »

Quand la fiction évoque l’histoire

En 1939 devant les bêtises des autorités cubaines, américaines, canadiennes refusant de recevoir le bateau Saint Louis, à bord duquel étaient embarqués des milliers de juifs chassés par les nazis, Haïti, de par son histoire, avait décidé de faire sa part dans le sauvetage des juifs d’Europe. C’est cette page glorieuse de l’histoire d’Haïti que le romancier Louis Philippe Dalembert vient d’explorer d’une manière romanesque, des juifs ayant trouvé refuge en terre Haïtienne. La fiction, pour ancrer dans les mémoires cette belle tranche d’histoire, est pour les Haïtiens une page de grandeur et de dignité humaine.

Il faut se rappeler qu’à l’époque, Haïti avait les moyens de sa politique étrangère. L’Etat haïtien avait changé sa législation afin d’accueillir les juifs qui avaient pu fuir l’enfer en Europe. Les missions diplomatiques Haïtiennes avaient reçu l’ordre de délivrer un passeport Haïtien à toutes celles et ceux qui en avaient fait la demande. L’auteur, toujours soucieux de l’apport historique de son pays au Monde, dresse cette fois une fresque dont les principaux personnages sont confrontés au racisme, à la discrimination, mais ils bénéficient aussi de l’humanisme des Haïtiens qui leur ont tendu généreusement la main. Ainsi, les portraits en creux de Roussan Camille, de Leon Laleau, de Madame Ida Faubert, poètes de grande envergure, diplomates, ont inspiré l’auteur mais dans les limites de ce que la fiction impose. C’est une photographie d’une France sous occupation où être juif équivalait à une arrestation, au bout, les camps de concentrations. Ainsi apparaît le portait d’une Haïtienne en bienfaitrice, Madame Ida Faubert. Elle est poétesse, fille du Président Lysius Salomon, et vit à Paris. L’auteur l’appelle affectueusement la dame du XV arrondissement de Paris.

Par son éducation haïtienne, la féministe symbolise la résistance aux forces d’occupation allemandes en France. Couvrant le docteur Schwarzberg de ses manteaux audacieux, Ida Faubert, à l’instar de son pays, n’entendait pas faciliter la tâche aux nazis dans leur chasse aux juifs, homosexuels et toutes celles et ceux qui n’étaient pas blonds : « Pour accéder à l’appartement de Madame Faubert, au quatrième étage d’un immeuble cossu de la rive gauche de la Seine , dans le XVe arrondissement de paris , le Dr Shwarzberg dut passer sous fauchés caudines d’un cerbère , dont l’expression laissait deviner des origines ibériques. Espagnole ou portugaise, il n’aurait su le dire avec précision. Toujours est-il que la femme, qui avait dû reconnaître aussi son accent, n’avait pas l’air de porter les allemands dans son cœur. Le Dr Schwarz berg garda néanmoins son sang-froid et pour mettre fin au flot ininterrompu des questions de la concierge, inventa sur l’instant un rendez-vous fixe de longue date, il était arrivé exprès de Berlin afin de rencontrer Madame faubert pour son journal. Die junge Front. Il avait cité le premier titre qui lui était venu à l’esprit, en occurrence un magazine de jeunes catholiques antinazis, qu’il avait vu passer une ou deux fois en sous-main à l’école de médecine. La veille, ses interlocuteurs avaient confirmé que la Dame était bien poétesse, "comme tous les lettres Haïtiens. Mais elle c’est du très bon calibre avait assuré louis Alexandre. D’où l’idée de l’interview afin d’en boucher un coin à la gardienne qui, impressionnée qu’un journaliste soit venu de si loin pour un entretien avec Madame finit par lâcher prise et lui indiquer l’escalier et l’étage appropriés, non sans grommeler tandis que Ruben s’éloignait, ici c’est un immeuble où habitaient des gens d’un certain niveau, si on commence à laisser. »

Les atrocités contre le peuple juif ont commencé par cette fameuse nuit du 9 au 10 novembre 1938, où les magasins juifs ont été pillés, par les responsables du parti Nazi. Le patriarche de la famille Schwarzberg savait que ses jours en Allemagne étaient comptés. J’ai toujours affectionné ce genre : parfois la fiction est plus convaincante que l’histoire elle-même. La trame historique est bien ficelée à tout point de vue. Que seraient les connaissances en histoire sans les romans de Tolstoi, sans « les trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas, sans les poèmes de Masillon Coicou, d’Oswald Durand de bien d’autres qui continuent d’évoquer l’histoire d’Haïti. C’est la fiction qui a sauvé le fondateur de la patrie haïtienne, Jean Jacques Dessalines. C’est ce pari audacieux que semble faire Louis Philippe Dalembert, peignant une Haïti généreuse tendant les mains aux opprimés de l’époque, contrecarrant ainsi les choix politiques irrationnels des nazis. Voila ce qui avait de l’allure !

Quand Haïti déclara la guerre à l’Allemagne

La France, pays des droits de l’homme, avait failli à sa mission, livrant les juifs de France aux nazis. Heureusement un Général au nom prédestiné avait ramassé les épées brisées de la France. Face à l’hitlérisme, à l’Armée de l’antisémitisme et du racisme, la position des autorités haïtiennes en 1940 fut correcte, conforme à l’histoire de la Première République noire. Les autorités haïtiennes n’avaient pas cessé de prendre des positions courageuses mettant ainsi le gouvernement allemand au défi. Ce dernier fut aux antipodes de la philosophie du pays « liberté égalité, fraternité ». Pas de lâcheté, ni d’atermoiements avec les racistes au pouvoir en Allemagne. Il faut dire que l’acte de naissance du pays était déjà un antidote puissant aux idées nauséabondes prônées par le régime nazi. Quand on raconte l’histoire d’une manière romancée, il faut se tenir aux dates qui rendent le récit crédible et c’est ce qui fait la force de ce livre. L’auteur est précis dans le déroulement des faits historiques : « Le vendredi 12 Décembre 1941, par une paisible matinée caraïbe, ou le soleil à cette époque de l’année, caresse la peau plutôt que de l’ordre, La Republique indépendante, libre et démocratique d’Haiti déclara les hostilités au IIIe Reich et au Royaume d’Italie. L’annonce prit de court les citoyens, qui tournes vers les festivités de Noël, avaient déjà oublies que quatre jours plutôt, incapable d’avaler l’anaconda de Pearl Harbor, leur bout d’île avait fait une virile entrée en guerre contre l’empire Nippon. L’information avait déboule à la vitesse d’un cyclone force 5 sur la planète ; des centaines de millions de sceptiques avaient eu du mal à en croire, qui leurs yeux qui leurs oreilles, selon qu’ils l’avaient l’UE dans les gazettes ou captée sur leur poste tsf. Les têtes couronnées et leurs fidèles sujets n’en étaient toujours pas revenus  ».

Quand Hitler Voulait défier le monde

L’Allemagne s’est laissé guider par un petit caporal devenu chancelier et se lança aussitôt à l’assaut du monde, déclarant sa supériorité raciale, sous prétexte que la sienne devait régenter le monde. C’en était trop pour les héritiers de la révolution de 1804, qui se dressèrent aussitôt contre l’orgue allemand. Dans ce roman, Dalembert est au sommet de son art, campant des personnages tantôt altruistes, tantôt décidés à contrarier le projet immonde du maître de l’Allemagne. Haïti avait fait ce qu’elle avait à faire offrant la nationalité haïtienne aux persécutés, aux pestiférés auxquels le gouvernement français, dirigé par Pierre Laval, imposa le port de l’étoile jaune comme une marque d’infamie. Haïti avait choisi de changer sa législation pour offrir une patrie à ceux qui n’en avaient pas. Voilà un acte courageux qui avait de la gueule : « le vote par l’État haïtien, en 1939, d’un décret-loi de naturalisation in absentia, qui a autorisé ses consulats à délivrer passeports et sauf-conduits à des centaines de Juifs, leur permettant ainsi d’échapper au nazisme. Avant d’arriver à Port-au-Prince – à la faveur de ce décret – au début de l’automne 1939, le docteur Ruben Schwarzberg, né en 1913 dans une famille juive polonaise, a traversé bien des épreuves. »

Fini le temps où quelques compatriotes comme docteurs Daniel Talleyrand, Fritz Pierre, Frantz Voltaire, l’équipe de la revue « Pour Haïti » à Paris s’acharnaient à verser dans l’historiographie mondiale, la générosité de l’Etat haïtien, qui, des les années 1940, avaient accordé la nationalité haïtienne aux juifs d’Europe. C’est chose faite, Philippe Dalembert vient de donner un coup d’accélérateur à ce processus, gravant dans les marbres romanesques cette période de l’histoire.

Comment Haïti avait-elle accueilli les juifs ?

« Avant que les ombres s’effacent » est un roman puissant, humain où les personnages évoluent au gré des rencontres. L’auteur déploie son épopée fiction dans les années 30 jusqu’à l’épouvantable séisme de Janvier 2010 où l’histoire rattrape le patriarche Schwarsberg : « Le vieil homme déroule pour la jeune femme le récit des péripéties qui l’ont amené à Port-au-Prince. Au son lointain des tambours du vaudou, il raconte sa naissance en Pologne, son enfance et ses années d’études à Berlin, où son père Néhémiah avait déménagé son atelier de fourreur, la nuit de pogrom du 9 novembre 1938, au cours de laquelle lui et son père furent sauvés par l’ambassadeur d’Haïti. Son internement à Buchenwald ; sa libération grâce à un ancien professeur de médecine ; son embarquement sur le Saint Louis, un navire affrété pour transporter vers Cuba un millier de demandeurs d’asile et finalement refoulé vers l’Europe ; son arrivée, par hasard, dans le Paris de la fin des années 1930, où il est accueilli par la communauté haïtienne et, finalement, son départ vers sa nouvelle vie, muni d’un passeport haïtien : le docteur Schwarzberg les relate sans pathos, avec le calme, la distance et le sens de la dérision qui lui permirent sans doute, dans la catastrophe, de saisir les mains tendues ». Ce périple à travers des portraits est séduisant, et tout aussi captivant. C’est un cours des relations internationales qui se dégage en filigrane avec les jeux des acteurs internationaux, et Haïti n’avait pas hésité une seconde à se mettre dans la mêlée. Ce qui change complètement notre regard sur un pays où une certaine presse ne voudrait voir que de la misère : « Voilà il était arrivé en France dans des circonstances particulières. Peut-être avait - elle lut dans les journaux les informations relatives au paquebot saint Louis et aux mésaventures de ses passagers. Elle en avait entendu parler, et comment ! Depuis six ans, elle suivait avec inquiétude la montée du nazisme en Allemagne. Elle savait aussi pour le Saint Louis. Puis elle s’était tue pour le laisser continuer, mais Ruben ne sembla pas disposé à entrer dans les détails. La Dame le nota et, au bout d’un moment lui dit d’une voix très douce, malgré un timbre au départ rocailleux". L’écho de la déclaration du Président Antoine Louis Léocardie Elie LESCOT déclarant la guerre à l’Allemagne parvient aux oreilles du docteur Ruben Schwarzberg. Si celle-ci avait laissé les haïtiens dans une indifférence de plomb, elle trouve un farouche défenseur en la personne du docteur Schwarzberg :« Le docteur Ruben Schwarzberg avait été parmi les rares à apprécier la valeur symboliques l’allocution du nouvel homme fort de l’île, là où les natifs étaient prêts à parier que le petit père LESCOT aurait décampe comme un rat de latrine à la vue, même en photo, d’un seul poil de la moustache d’Hitler. Échoué voilà deux ans à Port au prince, dans des circonstances à la fois singulière et tragiques, il avait encore tout à apprendre de ce bout de terre montagneuse que, avant d’y mettre les pieds à l’âge adulte, le hasard avait déposé près de son berceau sous la forme d’un livre au titre prémonitoire « De l’égalité des races humaines » écrit par le médecin et intellectuel haïtien Anténor Firmin ».

Ça c’est de la fiction, mais Haïti avait bel et bien déclaré la guerre à l’Allemagne envoyant une déclaration de guerre en bonne et due forme. D’ailleurs Les ressortissants allemands furent aussitôt arrêtés ; ce qui était conforme à un acte de guerre. Haïti apparaît, aux yeux de l’auteur, comme la quintessence même d’une histoire généreuse où les humiliés du monde entier pouvaient venir en Haïti et trouver du réconfort et un abri pour laisser passer l’orage de la bêtise humaine. L’auteur, à travers des portraits savamment travaillés, pose un regard humain, attendrissant même sur l’histoire de la seconde guerre mondiale, où Haïti, par son histoire, avait pu jouer un rôle de premier plan.

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Louis-Philippe Dalembert
Avant que les ombres s’éffacent
SABINE WESPIESER Éditeur