Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 27 avril 2017
Avec le décès d’Herby Widmaier, c’est toute une époque qui s’en va. Celle de la radio avec du vrai, du grand journalisme : celle du journalisme de conviction. Celle de l’époque de la quête constance de l’excellence, sans aucune place pour la médiocrité. Herby Widmaier a forgé ma vie puisque c’est lui qui m’a découverte à 16 ans et a décelé tout de suite ma voix radiophonique. En me poussant devant un micro dans les années 1970, à l’époque de Martine Bertot, ex Coirin, jamais je n’aurais pensé faire une si longue carrière à la radio et passer de ma passion de la musique, le rock’n roll, au journalisme engagé.
C’était l’époque où les Haïtiens ignoraient tout du rock-n roll et le qualifiait même de musique ‘’sauvage’’. Martine Bertot -Titine pour les intimes et les collègues à la radio- était la seule à en jouer. C’est ainsi qu’à 16 ans, j’ai commencé à participer à son émission en présentant les grands groupes et chanteurs rock de l’époque : Freddie Mercury et le groupe Queen, Pink Floyd, Franck Zappa, David Bowie, Eric Clapton, Led Zeppelin, AC/DC, Supertramp, Genesis, Elton John et j’en passe. Nous passions aussi des artistes progressifs jamais entendus sur les autres radios en Haïti tels que Jean Michel Jarre, Giorgio Moroder, Kraftwerk, ceux que l’on appelle aujourd’hui des designers sonores et visuels, précurseurs de la musique contemporaine. C’était aussi l’époque insouciante de la danse et du disco avec la diva Donna Summer, le groupe mythique Earth Wind and Fire, ou encore Village People, Abba, les Bee Gees, Chic, Anita Ward avec son inoubliable ‘’Ring my bell’’, bref, que de merveilleux souvenirs !
Ce jour-là, Martine était absente et j’allais la remplacer derrière la console, mais sans animer l’émission. Herby, une fois de plus, a essayé de me convaincre que j’étais faite pour la radio. Je n’arrivais pas à y croire et je lui disais toujours que j’étais juste heureuse d’apporter mes disques de l’Europe et de les jouer avec Martine à la radio. Il m’a accompagnée derrière la console, en blaguant et, mine de rien, a brusquement poussé la chaise à roulettes, où j’étais assise, et a ouvert le micro en me murmurant ‘’Vas-y Ti Nan’’. J’étais tétanisée, car j’avais parfaitement conscience que des milliers de gens écoutaient la radio. Je savais aussi qu’Herby ne voulait pas de ‘’blancs’’ - le silence radiophonique - à l’antenne. Je n’avais donc que quelques secondes pour réagir, pour ralentir mon cœur, qui battait la chamade, et pour contrôler mes jambes, qui tremblaient. J’ai alors souhaité la bienvenue au public sur les ondes de radio Métropole. Le reste fait partie de l’histoire.
Herby était toujours d’avant-garde et radio Métropole, à l’époque, était LA radio de tous les branchés : à la pointe de l’actualité comme des meilleurs hits musicaux, grâce à l’exigence, le sens inné du média radio, l’ouverture d’esprit, la modernité et la gentillesse d’Herby. Lorsqu’il s’est retiré de la direction générale de la radio, plus rien n’a été pareil. Cet esprit de famille, qui régnait à Radio Métropole, a disparu. Le grand journalisme aussi. Car, Herby était non seulement un propriétaire de radio et directeur général éminemment respecté par toute l’équipe de radio Métropole de la Rue Pavé, mais il était aussi une figure paternelle. Il se souciait sincèrement de ses journalistes et de son personnel. Sous les différents régimes militaires, nous avions instauré un code pour communiquer par la citizen band ou CB, afin que seuls les membres de la radio puissent se comprendre. Lorsque les rues étaient ‘’chaudes’’ et sous les tirs des militaires, Herby communiquait sans cesse avec nous et ne se couchait jamais sans être sûr que (chacun)e de nous n’était pas rentr(é)e en toute sécurité chez soi. Avec Bibi et Mimi - comme j’appelais Herby et son épouse Micheline – nous faisions tous partie d’une grande famille unie, prête à tout pour être digne de son prestige et le conserver.
C’était l’époque du grand journalisme avec Marcus Garcia, ancien directeur des nouvelles à radio Métropole, Elsie Ethéart, Georges Michel, Dominique Levanti et Michael Norton. L’époque des Gasner Raymond, Ezekiel Abellard, Auguste Denord et Liliane Pierre-Paul, dans d’autres médias. Le 28 novembre 1980, lors du ‘’crackdown’’ par Jean-Claude Duvalier contre la presse, c’était l’anniversaire de mes 18 ans et je n’oublierai jamais l’atmosphère lugubre, qui régnait à la radio. Ce jour-là, tout a basculé et mes rêves d’adolescente aussi. Du moins, je le croyais. Ce n’est qu’en 1986 que je retournerai en Haïti, cette fois-ci comme journaliste à radio Métropole, après mes études aux Etats-Unis. Le reste aussi fait partie de l’histoire.
Quand j’y repense, Herby Widmaier a été le patron idéal. Il avait de la rigueur, mais une capacité d’écoute exemplaire. Il était respectueux de ses employés et faisait preuve d’ouverture d’esprit et de flexibilité. Il était visionnaire, exigeant mais savait être reconnaissant. Il adorait ce qu’il faisait, il était juste et humain. Enfin, il était franc, s’intéressait toujours aux gens et avait un sacré sens de l’humour. Les patrons de média n’ont pas su prendre exemple sur lui et c’est bien dommage.
Oui, avec le départ d’Herby, c’est toute une époque qui s’en va. Pas en mots, mais concrètement, malheureusement. C’est aussi une grande partie de ma vie, qui s’en va. C’est lui qui m’a donnée la passion de la radio. Merci Herby pour tout et je suis heureuse de te l’avoir toujours dit, en public comme en privé, pour ne pas regretter quoi que ce soit, aujourd’hui que tu es parti. J’espère avoir été ta digne élève. Repose en paix. Je ne t’oublierai jamais Bibi.
Mes condoléances à la famille Widmaier, à radio Métropole, aux amis et au public, tous affectés par ce deuil.
Cancùn, le 27 avril, 2017
Source photo : http://kreyolicious.com/