Español English French Kwéyol

Liberté de la Presse et Presse pour la liberté

Pourquoi certains détracteurs de la Presse sont-ils devenus narcissiques ?

En réponse à l’article d’Anil Louis Juste [1] intitulé « Pourquoi la plupart de nos travailleurs de la presse n’éduquent pas pour le libre développement ? », publié par AlterPresse le 29 décembre 2004 [2]

Par Raoul Vital [3]

Quand certains secteurs économique et politique ou intellectuels mal inspirés font montre de faiblesse, ils s’acharnent contre la Presse et les journalistes. Ces derniers sont souvent rendus responsables de l’échec des candidats, de la chute des gouvernements, de la faiblesse des mouvements sociaux et partis politiques. Dans ces conditions, les journalistes sont perçus à la fois comme héros ou progressistes et corrompus ou réactionnaires ; et, dans les deux cas la liberté de la Presse est gênante quand elle ne sert pas certains intérêts. Comme le temps des baïonnettes et des fusils est dépassé, certains détracteurs usent et abusent de la liberté d’expression pour faire leçons aux journalistes. Dans leur acharnement, ils s’autocensurent - par inattention ou ignorance - et deviennent narcissiques.

Un article écrit par un professeur d’Université, Anil Louis-juste, posté par l’agence AlterPresse le 29 décembre 2004 prouve bien que le journaliste subit constamment la pression de l’argent, de l’urgent et des gens. Sous couvert d’une analyse de la liberté de la presse, le professeur présente les journalistes comme de vulgaires corrompus, esclavagés par des intérêts économiques. Ce fameux texte, pour le moins simpliste et trivial, traduit la hargne du professeur pédagogue.

Le professeur se croit autoriser à faire leçons aux journalistes. Les cours de journalisme qu’il a eus à distance lui accordent suffisamment d’autorité pour s’ériger en professeur et censeur de la Presse. Ce qu’il feint d’ignorer c’est que la liberté de la Presse n’est pas seulement l’apanage des journalistes. Il croit donc que des cours de journalisme accordent aux analystes l’autorité dans les débats sur la liberté de la Presse. Par là , le professeur reproduit les représentations trompeuses du journaliste : un médiateur (canal de transmission), un ordonnateur (trieur de l’information), un pédagogue (traducteur de la réalité) et un commentateur (fournisseur d’un point de vue).

Le texte du professeur est pédagogique. Il affirme et enseigne. Il mesure l’écart entre les performances de ses élèves (les journalistes) et propose un modèle de journaliste. C’est un discours performatif dans la mesure où il tente de réduire cet écart. Le professeur conseille, ordonne et impose des modèles de comportement à la presse et aux journalistes. Le caractère performatif du texte est marqué par des factitifs (« Il ne faut pas confondre [Â…] ») et des impératifs (« La presse a pour devoir »). Après avoir relaté donc de légères banalités, le professeur enseigne.

Le texte du professeur est polémique. Le texte rend compte d’un certain type de rapports entre les journalistes et les acteurs des événements. Ce rapport est marqué par des connotations marquant le reproche et par l’écart entre les pratiques journalistiques et les modèles que le professeur tente d’imposer. Ce caractère polémique de l’article du Professeur Louis-juste accuse les journalistes par les interrogations posées, telles : « Où est passé le civisme d’antan ? ou [Â…] la culture patrimonialiste de la chose publique n’épargne même pas ceux qui s’autoproclament défenseurs de la liberté ».

Les sociétés démocratiques ont institué le journaliste comme maître de l’information. Aujourd’hui, les gens s’adressent à la presse pour toutes informations sur des sujets variés : les prévisions météorologiques, les mouvements sociaux, les décisions politiques et économiques. Ils usent de leur droit à l’information pour exiger des journalistes des informations leur permettant de mesurer le degré de liberté. La libre circulation de l’information étant l’aune de la liberté d’expression n’est possible que par la liberté de la Presse. La liberté de la presse est donc la condition d’exercice des libertés politiques ou personnelles et le niveau d’accomplissement de l’idéal démocratique.

La liberté de la Presse est à la fois liberté d’expression et liberté d’entreprise. Les journalistes ne sont pas les médias. L’information, principale activité du journaliste, n’est qu’une petite partie de la production médiatique. à€ côté de l’information, il y a le divertissement par lequel s’opère la domination culturelle et par voie de conséquence, la « domestication des esprits ». L’information n’est par conséquent que le côté explicite des contenus des médias visant à « domestiquer les esprits et gagner les cœurs ».

Néanmoins, l’idée que les médias façonnent, à leur gré, l’opinion publique reprend les schémas réductionnistes. Cette conception qui s’appuie sur la thèse du récepteur passif et aliéné est dépassée et ignore plus d’un demi-siècle de recherche. Entre le message du journaliste et le récepteur se trouve une sorte de filtre qui est constitué des expériences et des connaissances de ce dernier.

L’explication qui tend à délimiter la liberté de la Presse par l’économie est insuffisante. On ne peut réduire ni les journalistes ni les patrons d’entreprise de presse à des acteurs entièrement dominés par des intérêts économiques. L’explication économique est insuffisante pour ces raisons : d’abord, parce que l’information n’est pas un bien comme les autres ; elle coûte cher à la production et s’échange gratuitement et ensuite parce que les acteurs (journalistes et patrons de presse) ne sont pas dépourvus de capacité critique. Les choix des individus ne sont pas motivés que par des intérêts économiques ; mais également par la position qu’ils occupent dans la structure sociale.

Toute approche du journalisme doit intégrer dans sa formulation deux types de contraintes : le salariat et les libertés propres à l’exercice de la profession. Le journaliste est constamment tiré entre l’observation des règles organisationnelles et le respect des normes professionnelles. Il est en même temps médiateur entre le public et les acteurs des événements, d’un côté et entre ses confrères et les patrons de presse, de l’autre. C’est dans cette deuxième type de médiation étrangère au public que se défini la liberté du journaliste. Une approche du journalisme doit donc tenir compte de deux niveaux d’analyse : le champ et la configuration ; c’est-à -dire, d’un côté, la pratique quotidienne du travail et, de l’autre, la relation entre le monde journalistique et d’autres sphères de la société, telles le politique, l’économique et le médiatique.

La liberté de la Presse inclut aussi bien la liberté du journaliste, la liberté de ceux qui s’expriment par les médias que celle du public. Cette liberté se limite par le respect des libertés individuelles et les intérêts collectifs. Cela dit, défendre la liberté de la Presse c’est créer espace nécessaire pour l’expression des droits fondamentaux de la démocratie.


[1Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti

[3Raoul Vital est un étudiant mémorant en communication de la Faculté des Sciences Humaines, qui a régulièrement collaboré avec AlterPresse