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Haiti-Matthew/Reconstruction : La Grande Anse peine encore à se relever, 4 mois après

De notre envoyé spécial Jean Elie Paul

Jérémie (Haïti), 08 févr. 2017 [AlterPresse] --- Des maisons recouvertes de bâches, d’autres encore sans toitures, visiblement incapables de résister aux assauts répétés des averses. Des gens, qui n’ont nulle part où aller, dorment à la belle étoile.

Tel est le décor, observé par l’agence en ligne AlterPresse, dans plusieurs communes côtières du département de la Grande Anse (une partie du Sud-Ouest d’Haïti), notamment à Jérémie, Anse d’Hainault, Dame-Marie et les Irois, quatre mois après le passage du puissant ouragan Matthew dans le pays, les lundi 3 et mardi 4 octobre 2016.

Cette situation met en relief les retards, accumulés dans la reconstruction des villes touchées par le cyclone Matthew, en dépit de multiples interventions des autorités.

Plus de 16 mille maisons ont été détruites, durant le passage du cyclone Matthew dans la Grande Anse.

Pourtant, aucun plan de relogement n’a été concrètement mis en œuvre en faveur de la population en détresse, critique la mairesse principale de Jérémie, Sylmatha Pierre, assise sur un banc, dans la cour de la maison de ses parents à Cacoli, en compagnie de ses enfants.

Les plans n’existent que sur du papier, déplore-t-elle.

Conditions de vie encore précaires des sinistrés

« Rien n’a changé, jusqu’à maintenant, dans la ville de Jérémie . Des gens continuent de dormir à la belle étoile et en-dessous des bâches, parce qu’ils ne peuvent pas acheter une feuille de tôle », souligne la mairesse Sylmatha Pierre.

La présidente du conseil municipal de Jérémie a été contrainte de loger, chez elle, plus d’une vingtaine de personnes sans abris, apprend-on.

« La situation est critique. Le centre-ville de Jérémie est devenu très laid. Les habitantes et habitants installent des bâches n’importe où et surtout à l’entrée de la ville. Nous sommes toujours dans la phase d’urgence, les gens ont toujours besoin de bâches pour se protéger face aux éventuelles pluies », signale Sylmatha Pierre.

« Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucun plan de logement pour la Grande Anse. Si les responsables étatiques voulaient vraiment aider les gens, ils ne leur donneraient pas des bâches », dénonce, pour sa part, Nicosa Paulémon, coordonnateur exécutif de Konbit peyizan Grandans (Kpga), basée à Jérémie.

En plus de leurs prix élevés, qui posent problème, les bâches n’ont aucune résistance face aux intempéries et aux vents, fustige-t-il, debout sur le toit d’une maison, qui donne vue sur la mer et les vestiges d’autres bâtiments, recouverts également de bâches.

Impuissance des autorités et manque de contrôle des Ong

« Dans la Grande Anse, il y a une absence d’autorité. Dans certaines institutions, les gens ne connaissent pas forcément leur rôle. Durant la période d’après Matthew, la mairie de Jérémie a été quasiment dysfonctionnelle », rapporte le sociologue Estève Eustache.

Se tenait debout dans la cour d’une église, Eustache nous montre, du doigt, les troncs d’arbres centenaires, arrachés par les vents, lors du passage du cyclone Matthew.

Après l’ouragan, une vague d’organisations internationales, sans pour autant avoir de fonds disponibles, ont submergé la Grande Anse, dans le but de recueillir suffisamment d’informations pour aller monter des projets.

« La question de reconstruction et de relocalisation ne saurait être attribuée aux Organisations non gouvernementales (Ong). C’est la responsabilité de l’État, qui devrait profiter de la catastrophe pour pouvoir réaménager le département (de la Grande Anse) », avance le sociologue Eustache.

Au moment des prochaines saisons cycloniques, les habitantes et habitants risquent d’être beaucoup plus exposés à ces phénomènes. Par conséquent, les autorités doivent s’assurer de la protection de la population, parce qu’il y a un niveau de réparations que les Ongs ne pourront pas fournir, poursuit-il.

La veuve de Dénisil Saint-Vil, qui a péri en mer, lors du passage du cyclone Matthew, ne cache pas son indignation face aux déboires essuyés.

Dans la commune les Irois, elle avait un commerce florissant et un toit pour pourvoir aux besoins de ses enfants.

Debout devant une résidence en béton, non loin de la mer, elle rapporte n’avoir rien pu sauver lors des intempéries. Voilà pourquoi elle a été contrainte d’aller se réfugier chez un voisin, en attendant de se reprendre en main.

La reconstruction et l’accompagnement des femmes vulnérables, une priorité

« Au lieu de distribuer de l’aide, il serait préférable de penser à la manière d’aider la population victime à reconstruire leurs maisons et de permettre aux femmes, qui ont perdu leur commerce, de se recapitaliser », plaide la militante de droits humains, Marie Thérèse Pacaud, interviewée dans sa résidence à Jérémie.

Des accompagnements, comme l’octroi de semences et d’argent, doivent surtout être fournis aux victimes, notamment les femmes qui œuvrent dans l’agriculture, souhaite-t-elle.

La responsable du Rezo òganizasyon fanm lakay demande aux autorités de mettre en œuvre un projet de reconstruction de maisons, dans les zones défavorisées, en faveur des familles sinistrées.

Des femmes, privées de moyens économiques, se livreraient à la prostitution pour avoir des bâches et des feuilles de tôles, regrette-t-elle.

« L’absence de terrains, pour relocaliser les populations à risques, est un obstacle majeur pour la reconstruction des villes côtières de la Grande Anse », affirme Kettie Jean Klefeker, la coordonnatrice du secteur shelter et cluster « Abris et biens non-alimentaires » pour la Grande Anse, au sein de la branche en Haïti, à Jérémie, de l’Organisation internationale pour les migrations (Oim).

« Le groupe de travail « abris » est en train de définir une stratégie avec les partenaires du secteur, pour pouvoir assurer le projet de la réparation des toitures et des maisons endommagées par le cyclone Matthew », fait savoir l’haitiano-vietnamienne.

« La plupart des communautés, affectées par le cyclone Matthew, sont restées sur leur lieu d’origine, ou ont été hébergées par la famille et les voisins. Certaines ont trouvé refuge dans des bâtiments publics et privés », souligne un rapport du secteur Shelter Cluster de l’Oim, pour la période allant du 4 octobre au 4 décembre 2016.

« De nombreuses communautés restent encore coupées de tout accès, surtout dans les régions montagneuses et côtières éloignées. Elles nécessitent une aide immédiate en abris et biens non-alimentaires », alerte la branche à Jérémie de Oim-Haïti.

« Un total de 370 mille logements ont été affectés par l’ouragan, dont 286 mille en zones rurales et 30,182 logements détruits », lit-on dans un document, relatif à la réponse humanitaire apportée à la Grande Anse, deux mois après le passage du cyclone Matthew. [jep emb rc apr 08/02/2017 10:30]

Ce reportage a bénéficié du soutien d’Internews Haiti, www.internews.org