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Haïti-Séisme : Commémorer est un réconfort

Interventions faites durant la cérémonie de commémoration, au mémorial du Parc de Martissant, du 7e anniversaire du terrible séisme du 12 janvier 2010 en Haïti, en présence de nombreux invités, dont des officiels et des diplomates. Les activités ont été organisées par la Fondation Connaissance et Liberté (Fokal), de concert avec des mouvements féministes.

Allocutions de Michèle Duvivier Pierre-Louis, Présidente de la Fokal, Danièle Magloire, de Kay Fanm, et Marie-Frantz Joachim, de la Solidarité des femmes haitiennes – Sofa (Secrétaire générale du Conseil électoral provisoire)

Document soumis à AlterPresse

Introduction

Par Michèle Duvivier Pierre-Louis, Présidente de la FOKAL

Mesdames, Messieurs,

Merci d’être venus une nouvelle fois commémorer le 12 janvier avec nous au mémorial du parc de Martissant.

Cette année nous avons de concert avec des organisations de femmes décidé d’honorer la mémoire des féministes qui nous ont laissé trop tôt dans des circonstances tragiques lors de la catastrophe du 12 janvier 2010.

Les travaux de ces féministes, leur engagement, leurs convictions et les résultats qu’elles ont pu obtenir de haute lutte dans la législation haïtienne, dans le social et le politique, ont ouvert le chemin pour continuer le combat vers une société plus égalitaire, plus juste, plus solidaire.

Il y a tant à faire, encore et toujours, pour lutter contre les discriminations et les inégalités, et pour les droits, particulièrement les droits des femmes.

Nous avons voulu nous aussi à FOKAL que la mémoire de celles qui ont tant contribué à cette lutte ne s’efface pas. Je vous invite à voir l’expo qui leur rend hommage sous l’ombrière du mémorial.

Comme chaque année, notre commémoration sera de courte durée. Je vais tout de suite passer la parole à Danièle Magloire et Marie Frantz Joachim, deux compagnes de lutte de celles dont nous honorons aujourd’hui la mémoire.

Puis, la chorale entamera quelques chants. Sur une idée de Lorraine Mangonès, la Directrice exécutive de FOKAL, nous avons créé une chorale avec le staff et quelques jeunes fidélisés à nos programmes. A eux se sont joints des choristes de l’ENARTS. C’est cette chorale que nous allons écouter dans ses chants de circonstance sous la direction du maestro Daphné Ménard, avec l’accompagnement des tambourineuses de Vodou la et du guitariste Chably.

Après cette première série de chants qui ont été spécialement choisis pour honorer le combat des femmes, vous serez invités à rejoindre l’esplanade par le chemin qui y mène, car la chorale qui sera sur les gradins doit se repositionner en attendant que vous y arriviez.

Je prendrai la parole une nouvelle fois, juste avant 4h53, heure à laquelle nous aurons la minute de silence qui sera suivie par d’autres chants patriotiques de la chorale.

Encore merci d’être là.

Commémorer est un réconfort

Par Danièle Magloire, de Kay Fanm

Commémorer un évènement tel que le séisme du 12 janvier 2010 est un moment très spécial pour notre pays, en particulier pour toutes celles et tous ceux qui ont vu disparaitre brutalement des proches.

Les années passent, mais la douleur reste tapie au fond de nous et rejaillie avec force ce jour-là. Les images de nos disparu.e.s nous envahissent ; les scènes de désolation et de détresse que nous avons vécues nous submergent ; les paroles et les actes des autorités qui nous ont tant fait défaut demeurent un irrémédiable manquement. Et l’angoisse persiste, puisque nous savons que le pays n’est toujours pas prêt à faire face adéquatement à un nouveau cataclysme.

La commémoration du 12 janvier est à la fois un moment de tristesse et de grand réconfort. Tristesse de savoir que certaines voix féministes ne résonneront plus ; tristesse causée par la brusque interruption de la complicité qui tissait nos liens de militantes. Tristesse ressentie pour les autres disparitions qui ont clairsemé le rang des féministes, en particulier celles de Jesi Chancy-Manigat et de Nicole Magloire. Mais la commémoration est aussi, malgré nos pleurs, un moment de réconfort. Réconfort de voir que nous ne laissons pas sombrer dans l’oubli ce drame qui a fauché des milliers de personnes et dévasté la vie de centaines de familles survivantes. Réconfort de partager ensemble, dans un lieu plein de beauté et de sérénité, un moment de recueillement en toute dignité, en célébrant la vie pour justement garder l’espoir, malgré les horizons incertains.

Depuis 7 ans, les féministes s’attachent à rendre hommage à trois leaders du mouvement féministe haïtien, —Anne-Marie Coriolan, Magalie Marcelin et Myriam Merlet— ainsi qu’à toutes les autres femmes disparues, notamment celles qui étaient impliquées dans la défense des droits des femmes et l’action citoyenne. Le 12 janvier revêt donc, pour les féministes, la même valeur que les autres dates symboliques du mouvement des femmes.

Tout comme en 2016, les féministes commémorent ce 12 janvier 2017 avec la FOKAL (Fondation connaissance et liberté), au mémorial du parc de Martissant. Nous sommes très touchées de la mise à l’honneur des femmes qui ont indiscutablement marqué le mouvement féministe qui a connu sa résurgence en 1986, à la chute de la dictature des Duvalier. Nous sommes honorées du fait qu’un espace spécifique soit dédié dans le mémorial aux femmes disparues.

Un autre 12 janvier.

Un autre 12 janvier pour nous souvenir et saluer la mémoire de toutes les personnes disparues. Pour témoigner de notre compassion à l’égard des personnes endeuillées. Pour réfléchir à notre matrimoine féministe. Pour nous donner la force de poursuivre le chemin vers demain, en restant fidèles à nos valeurs de droits humains.

Le Souvenir vivant des féministes disparues

Par Marie-Frantz Joachim, de la Solidarité des femmes haitiennes – Sofa (Secrétaire generale du Conseil electoral provisoire)

Anne Marie Coriolan, Magalie Marcelin, Myriam Merlet et toutes les autres disparues qui étaient engagées dans la cause des femmes. Brutalement absentes depuis 7 ans. A jamais présentes. Deuil impossible !

La chute d’une Mapou engendre un hurlement du silence.

"Assourdissant silence", selon l’expression de Dany Laferrière. Votre souvenir interpelle. Votre mémoire est vivante dans nos choix, nos actions et nos comportements. Comme le disait Victor Hugo : « Vous n’êtes plus là où vous étiez, mais vous êtes partout là où nous sommes là. »

Vous êtes partout. A la SOFA, à Kay Fanm, à Enfo Fanm et aussi dans les autres organisations féministes. Vous êtes également là au Ministère à la Condition Féminine, au Conseil Electoral Provisoire et vous frappez aux portes du Parlement pour qu’il s’ouvre définitivement aux femmes.

Anne Marie, Magalie, Myriam, combien grande aurait été votre satisfaction de constater que finalement, 59 années après qu’ait été obtenu le droit d´élire et d’être élue, la perspective de genre est intégrée dans la Constitution et le processus électoral. La présence des femmes à l’égal des hommes est notifiée dans les statistiques de votes. Vous aviez tellement eu soif d’actes fondateurs posés avec désintéressement. Actes fondateurs dans leur autonomie, leur authenticité et leur vérité !

Vous vous êtes toujours accrochées à l’honnêteté, l’intégrité, la rigueur, la transparence, l’aune à laquelle nous mesurons le niveau de démocratie dans nos espaces non-mixtes. Nous, vos sœurs féministes, en avons fait notre boussole tant dans les espaces publics que dans la société civile et politique.

Etres de chair, d’émotions et de rationalité, vous étiez faites aussi de convictions et de sens de responsabilités. Que vous auriez été exaspérées face à l’immobilisme d’un Etat qui n’a pas su prendre durant ses sept (7) dernières années ses responsabilités dans la reconstruction à laquelle aspire la population délaissée !

Respectueux des valeurs de liberté, de justice, d’égalité, de solidarité et de paix, le mouvement féministe dont vous étiez le phare, s’imprègne de modèle de gestion et de pratiques démocratiques plus égalitaires et s’écarte de toute forme de polarisation stérile susceptible de faire basculer les femmes et les populations dans le désarroi notamment les plus vulnérables. Chacune dans votre rayon d’action vous avez toujours unifié la lutte des femmes à celle du peuple.

Vous avez souffert avec les femmes dont le corps a été utilisé comme territoire de guerre en 1991 et dans les années 2000. Vous les avez défendues corps et âmes au Parlement lors de la ratification de la Convention contre les violences faites aux femmes et aux filles. Combien auriez-vous dénoncé le dénigrement des femmes particulièrement observé ces dernières années !

La démocratie appelle au respect des femmes et de leurs droits !

Leurs droits, entre autres, de se regrouper dans leur pluralité et leur diversité. Comme vous vous plaisez à le répéter, le mouvement féministe n’a jamais été un bloc monolithique. Il est divers et c’est bien cette diversité qui fait sa force.

Anne Marie, Magalie, Miryam et toutes les autres militantes disparues, "Rien n’est plus vivant qu’un souvenir "comme le relevait Frederico Garcia Lorca !

Le vôtre nous accompagne et nous aide à nous questionner constamment, à nous adapter aux transformations climatique et technologique en vue d’un mouvement féministe renforcé, porteur pour le pays et inspirant pour les générations futures.

"Le souvenir est le parfum de l’âme", écrivait Georges Sand. C’est vrai qu’il est de ces senteurs qui ne vous abandonnent jamais !

Dans notre environnement socio-politique dégradé, Anne Marie, Magalie, Myriam, vous êtes dans les effluves des lilas, ilan ilan, flè dizè, bougainvilliers, mimi, orchidée, lauriers, jasmin qui balisent notre route, pour un pays où nous, les féministes, poursuivant vos œuvres, unies à toutes et à tous les autres, ne cesserons pas d’affronter les défis pour parvenir enfin au partage égal des ressources.