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12 janvier 2010 – 12 janvier 2017 : 7 ans déjà

Pour questionner notre capacité à construire et à nous reconstruire en Haïti

Par Renauld Govain*

Soumis à AlterPresse le 12 janvier 2017

Introduction

Je m’en souviens encore. Le 12 janvier 2010 a ébranlé nos tripes, coagulé notre sang, étreint nos cœurs, nous enlevant nos sœurs et frères par centaines de milliers. Des décombres de la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), où j’ai passé une quarantaine de minutes, j’ai entendu des cris de détresse, vu des nuages de sang qui fusaient de toutes parts. Et à ma sortie, j’ai surpris une épaisse colonne de poussière embraser le ciel de Port-au-Prince.

Rien de plus dur que d’admettre l’inacceptable. Que de voir en moins d’une minute partir ceux que nous avons mis des années à chérir, mais qui ne deviennent, rien qu’en 35 secondes, qu’un percept inoubliable. La chaire des nôtres a servi de bourroir pour niveler les rides d’une terre haïtienne assoiffée de sang. Et si l’on doit apprécier à sa juste valeur ce qui est réalisé dans le cadre de la reconstruction dans les diverses acceptions du terme, on conclura au fait que leur sang a coulé pour rien.

Aucune leçon ne semble être tirée de l’événement, aucune mesure de reconstruction dans le sens infrastructurel du terme n’est guère remarquée. D’après les chiffres plus ou moins officiels, le séisme aurait occasionné 300 000 morts et disparus, presqu’autant de blessés et un peu plus d’un million et demi de sans-abris. Parmi ces morts et disparus, la FLA, l’entité la plus touchée de l’UEH, en a compté plus de 200, dont le doyen Pierre Vernet, le vice doyen Wesner Mérant, les professeurs Yves Alvarez et Nelson Jean-Félix. La liste des étudiants, dont ma sœur, la benjamine de ma famille, est trop longue pour mentionner des noms.

7 ans déjà : et la reconstruction ?

Depuis déjà 7 ans, nous intégrons dans nos comportements une nouvelle routine dont le sens et la portée sont à questionner par rapport à ce que l’événement conduisant à cette routine représente tout aussi bien par rapport aux espoirs que cette tristement célèbre catastrophe semblait augurer. « Plus jamais comme avant », n’est-ce pas le leitmotiv qu’on entendait répéter Monsieur-tout-le-monde et Madame-la-foule ? Qu’en est-il des comportements au plus haut niveau de l’État, 7 ans après ?

Dans son discours officiel faisant l’état de la Nation à l’occasion de l’ouverture de la deuxième année parlementaire de la 50e législature, le président provisoire de la République, M. Jocelerme Privert a rappelé que la journée du 12 janvier était une journée de réflexion et non une journée chômée. Dans un communiqué du 10 janvier 2017, le gouvernement provisoire a précisé qu’il s’agissait d’une « journée nationale de réflexion et de sensibilisation sur le vulnérabilité d’Haïti aux risques et désastres ».

Une journée de réflexion est une bonne chose, mais depuis 7 ans nous y réfléchissons, n’est-ce pas ? Mais de quelles actions concrètes ou correctrices auraient déjà accouché ces réflexions ? Car il ne s’agit pas de réfléchir pour réfléchir. Mais réfléchir pour comprendre. Comprendre pour avancer dans la bonne direction et agir. Agir pour construire. Construire pour déconstruire. Déconstruire pour reconstruire. Reconstruire pour corriger. Corriger pour éviter. Éviter pour prévenir, car prévenir vaut mieux que guérir.

En effet, le 12 janvier s’est inscrit dans les annales nationales haïtiennes comme une grande date mémorielle. Mais la réflexion doit avoir un horizon, une balise. Sur (à) quoi réfléchir exactement ? Deux grands thèmes peuvent servir à résumer les conséquences du séisme de 2010 : la mort et la décapitalisation. Nous avons perdu des parents, des voisins, des proches, des amis, des connaissances. Nous avons perdu des biens de tous genres. De ce fait, doit-on réfléchir à la mort ? À la perte de nos biens et de nos capitaux qui en sont le corollaire ? Non. Non, parce que ces éléments constituent une évidence factuelle : nos chers (j’ai failli écrire ‘chaire’) disparus et nos biens perdus furent et ne sont plus. Sans vouloir nier le caractère mémoriel que représentent les uns et les autres (notamment nos chaires disparues) – c’est d’ailleurs ce qui nous préoccupe ici – nous osons les considérer comme appartenant au néant du point de vue du monde physique, visible, réel, ponctuel, factuel. Ils appartiennent désormais à ce spectre mémoriel que nous aurons toujours devant notre conscience d’hommes et de femmes mus par le sens du bien et de la vérité.

Nous sommes plutôt devant un phénomène désormais familier, celui des activités sismiques qui sont en constants mouvements, qui peut, par son caractère constant et mouvant, se reproduire à n’importe quel moment. Nous devons vivre avec et nous en protéger au maximum. Et les conséquences de ce phénomène (pour être concret on pourrait considérer celles du tremblement de terre de 2010) tendent à nous placer devant l’une des limites de la science en général : elle n’est capable de prévenir ni le séisme ni la mort. Elle peut prolonger la vie, donc retarder la mort en quelque sorte, mais incapable de le prolonger indéfiniment. Encore qu’un individu peut être mort cliniquement et gardé dans une certaine vie sous respiration-machine, d’autres parleraient plus élégamment de respiration artificielle.

Mais, un fait est que cet individu ne peut plus exercer les activités motrices habituelles, ce qui fait que l’imaginaire vulgaire le considère comme mort, n’en déplaise aux techniciens de la biologie en général et de la médecine en particulier. De même, si la science peut identifier l’existence de plaques tectoniques dans une région donnée et des activités sismiques qui en découlent, émettre des hypothèses sur l’avènement d’un éventuel séisme et des répliques y relatives, elle est incapable de prévoir (voire prévenir) son arrivée effective qui, donc, surprend peu ou prou.

C’est que la mort comme le séisme obéissent à des forces naturelles qui semblent échapper au contrôle humain. Ce n’est pas que les phénomènes qu’ils représentent dépassent l’« entendement scientifique ». Mais les actions de certaines forces naturelles sont incontrôlables et irréversibles lors mêmes qu’elles sont saisissables par l’esprit humain.

Alors quel devrait être l’objet de notre réflexion ? Les réponses à cette question peuvent être plurielles. Elles peuvent, donc, être fonction de celui qui regarde le problème. Encore que le problème ne suscite pas des représentations singulières qui se donneraient quasi-pareillement à tout le monde. Pour un individu même, les réponses peuvent varier aussi avec le temps car la compréhension du problème peut évoluer suivant divers facteurs qui peuvent lui être tant internes qu’externes.

Pour ce qui me concerne, j’estime urgent que, pour ce 7e anniversaire, nous exercions notre réflexion sur notre capacité à reconstruire nos infrastructures, à nous reconstruire, à reconstruire la mémoire des disparus de nos erreurs collectives.

Reconstruire la mémoire collective au service du bien communautaire

Nous sommes incapables de construire même la mémoire collective sur des expériences historiques à valeur communautaire. Et cette défaillance mémorielle ne rend pas service. Peut-être que si nous avions appris à construire la mémoire, le nombre de victimes serait moindre à l’occasion du séisme de 2010. Comme je l’ai indiqué ailleurs (Govain, 2011) [1], on peut voir une grave défaillance mémorielle dans le fait qu’aucun manuel scolaire n’ait rendu compte du fait que deux séismes quasi-successifs avaient détruit Port-au-Prince : le premier deux ans après sa fondation, soit en 1751, le deuxième 19 ans plus tard, soit en 1770, Port-au-Prince ayant été fondé en 1749. Il s’agit d’informations qui devraient être banalisées dans des livres d’histoire élémentaires de sorte que tout scolarisé haïtien puisse en être au courant et modeler ses comportements en fonction du fait que la ville est construite sur une zone à activités sismiques.

On pourrait, ainsi, avancer que construire et maintenir la mémoire collective au regard des expériences historiques nationales consiste conséquemment à se construire et reconstruire l’univers communautaire en perpétuant les connaissances qui sont de nature à nous éviter d’éventuelles fâcheuses conséquences d’un déni historique.

Le problème de la reconstruction post-séisme : conséquence d’un manque de vision politique au plus haut niveau

La direction politique d’un pays à peine sorti d’une catastrophe qu’elle soit naturelle ou humaine ne peut être rentable que si elle sait établir ses priorités de manière pragmatique. En effet, après être sorti d’une expérience comme celle du séisme haïtien du 12 janvier 2010, il est évident que tout sera vu comme prioritaire. Mais, un décideur digne de ce nom saura que pour avancer dans la meilleure direction, il faudra qu’il sache établir des priorités dans la foulée. Les observables en 2017 montrent que les choix des décideurs n’ont pas abouti aux attendus primaires. Et cela traduit un manque de vision de la part de ces décideurs de tout bord.

Les Haïtiens victimes de leur choix

Les Haïtiens sont généralement victimes de leur choix mais ne tirent jamais les leçons de l’échec de ces choix. Je ne vais pas épiloguer là-dessus mais pour s’en convaincre, il suffira de jeter un coup d’œil sur le choix des dirigeants à la magistrature suprême que nous avons fait à la suite du séisme. Je prends en exemple cette période parce que c’est du séisme que je parle et des leçons qu’on doit en tirer. Sinon, je pourrais prendre en considération n’importe quelle autre période de l’histoire récente de notre pays, en particulier l’histoire post-quatre-vingt-six. Je mets n’importe quel lecteur en défi d’indiquer combien d’argent a été dépensé pour la construction de « la belle entrée » du Carrefour de l’aéroport et d’établir l’adéquation raisonnable entre les dépenses effectivement consenties et le livrable ! On pourrait faire le même exercice pour le bâtiment de la rue des Casernes, qui doit, dit-on, abriter le ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales ! Je pourrais allonger la liste des réalisations post-séisme et faire le même exercice consistant à établir l’adéquation raisonnable entre les dépenses annoncées et le livrable (lorsque ces dépenses ne sont pas trop irrégulières pour être chiffrées) et que la « raisonnabilité » de cette adéquation résonne avec la conscience moyenne de l’honnête citoyen imbu du devoir de s’informer des relations entre le coût des produits divers et ce que ces produits permettent de réaliser en temps et lieux.

On pourrait ici se poser la question de savoir si la construction de ce pont à cet endroit qui n’en avait guère besoin est plus rentable que celle d’une institution d’enseignement supérieur qui prépare des jeunes à s’investir dans le processus du développement durable qui doit caractériser la marche de tout État qui croit dans l’autodétermination. Mais, pour penser ainsi, le décideur doit avoir une certaine idée de ce qu’on appelle l’enseignement supérieur et son importance pour l’avancement d’une communauté. On conviendra qu’un dirigeant comme un président de la République, par exemple, ne sait pas tout comme tout homme d’ailleurs et qu’il lui est impossible de songer à tout à la fois, n’ayant pas le don d’ubiquité et n’étant pas omniscient. Mais, c’est justement pour cela qu’il a à sa disposition un cabinet de conseillers sur des sujets divers. Or, les expériences haïtiennes de ces deux dernières décennies nous montrent qu’il se pose un grave problème à ce niveau. C’est que ces conseillers sont trop intéressés. Ils ont trop d’intérêts immédiats dans la chose politique et dans la chose économique à la fois. Ou bien ils donnent des conseils dont l’application peuvent leur être profitable immédiatement, ou bien ils en donnent en vue de plaire au chef, des conseils qu’ils croient qu’il aurait aimé entendre.

L’argent dépensé dans le cadre de la mobilisation de l’aide humanitaire à la suite du séisme

Parmi nos choix inconsidérés après le séisme, je pourrais ne pas mentionner la fabrication de la Commission intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH : 21 avril 2010 – 21 octobre 2011) dans le but, comme son nom l’indique bien, de reconstruire le pays dont la capitale notamment a été détruite à un fort pourcentage. Donc, durant exactement 18 mois, les agents de la CIRH ont englouti une bonne partie du montant de l’aide internationale (bilatérale et multilatérale) en termes monétaires estimée à environ 6 milliards 43 millions de dollars déboursés entre 2010 et 2012. Le film documentaire – Assistance mortelle – du réalisateur haïtien Raoul Peck nous en dira long.

Je ne souhaite pas blâmer nos victimaires. Le vulgaire dicton populaire haïtien enseigne que quand le sot en donne l’imbécile doit en prendre. Et comme il en restera toujours au sot à donner, l’imbécile prendra à chaque fois. Le choix qu’avait fait le décret de l’état d’urgence pris peu après le séisme sous l’administration du président Préval et la primature de Jean-Max Bellerive a ignoré l’existence de la législature en place à l’époque. Et les agents de la CIRH, sous la direction de celui qui aime tellement Haïti (l’ancien président américain Bill Clinton – pour ne pas le nommer), qu’il a contribué à l’affaiblissement de son économie et de sa production nationales à divers égards, ont eu les coudées franches pour « couper-hacher » comme bon leur semble. Ha ha ! Confier la reconstruction du pays, puisque c’est bien de cela qu’il s’agissait à ce moment-là, à des étrangers… voilà un exemple de choix haïtien qui ne peut qu’enliser le pays dans le sous-développement. Et les résultats ne manqueront jamais de s’aplatir sur notre visage. Quelle connaissance dispose l’Internationale du pays pour qu’elle s’engage dans sa reconstruction au grand dam des nationaux ? Les responsables de l’exécutif en place ont choisi volontiers d’être sous-traités par la Communauté internationale dans un dossier à la fois national, communautaire et intime qui concerne les Haïtiens au premier chef. Quelle idiotie ! Et ils ne sont même pas gênés de s’en défendre avec arrogance même !

Par ce décret, l’État haïtien a consacré sa propre mise à l’écart dans la gestion de l’aide internationale en oubliant que les acteurs étrangers cherchent avant tout leurs propres intérêts en tout. Comme le temps a changé, ils ne diront peut-être pas que nous avons une différence de chromosome par rapport à la normale. Mais ils diront que nous en avons un de crochu.

On pourrait comparer le nombre de bâtiments construits par l’administration du président de la première élection post-séisme au nombre de bâtiments détruits par cette même administration. Mes yeux et mon cerveau s’entrechoquent toujours lorsque j’emprunte la rue de la Réunion. Parce que j’ai du mal à concevoir qu’un décideur puisse accepter de faire démolir des bâtiments qui ont passé la tragique épreuve du goudougoudou sans avoir un projet de reconstruction éprouvé. Qu’on me rende fou ou sage, cette décision ne peut pas avoir germé dans le giron du palais national de Port-au-Prince. Elle doit lui avoir été dictée de l’extérieur !

J’espère me tromper ! Mais j’ai la sûre croyance que le rasage de la rue de la Réunion peut être la réalisation la plus concrète et le projet le plus abouti de cette CIRH qui nous a été imposée et dirigée par l’Internationale qui, ne serait-ce que pour cette expérience précise, se présente comme une sangsue de marécage sauvage. Mais sans une certaine bonne coopération de la part d’autorités au plus haut niveau de l’État haïtien, sa tâche n’aurait pas été aussi facile !

Quid de la construction du Campus de l’UEH ?

Devant l’inflation des promesses fusant de toutes parts, l’UEH a sauté sur l’idée de la construction d’un campus universitaire et de la standardisation, voire la modernisation de son système de fonctionnement général. Mais, aujourd’hui, la situation infrastructurelle de l’UEH est pire qu’elle n’a été avant et au lendemain du séisme.

J’avais cru l’UEH se lancer, à ce moment-là, à la recherche de standard de fonctionnement d’une institution de son rang. Je me rappelle, pour avoir été membre du Conseil de direction de la FLA établi peu après le séisme, que le rectorat de l’UEH (RUEH) d’alors avait fait des démarches pour la construction d’un campus à Damien, au moins une firme internationale a été engagée pour l’étude. Des visites guidées du site ont été organisées par le RUEH. La maquette des bâtiments a été montée, mais… « nade-et-marinade ». Donc, de l’argent dépensé gratuitement.

Qui cherche trouve, dit le vieil adage. Or, l’UEH a cherché mais n’a rien trouvé à ce niveau. L’échec des démarches de l’UEH peut-il s’expliquer par des erreurs de procédure ? Par un manque de vision dans ce qui différencie le faisable de l’onirique ? Ou est-il à confondre dans l’échec général de l’aide internationale à Haïti ? Ou encore, l’UEH s’était-elle laissée emballée trop naïvement par les promesses de marin de l’Internationale ? Nous n’envisagerons pas ici de réponse à ce questionnement.

La construction de la FLA dans la foulée

La FLA fonctionne depuis ces 7 ans dans des conditions décevantes. Pour vous en convaincre, je vous invite à une visite des lieux. Cela vaudra bien mieux que les complaintes que je pourrais produire ici.

L’État haïtien est en passe de devenir un État mendiant. Les élections à la présidence ralentissent – curieusement – l’élan économique du pays. En effet, ce ne sont pas les élections en soi, mais leur financement dans le noir qui constitue, paradoxalement, un frein dans la perception des taxes nécessaires à l’élargissement de l’assiette fiscale nationale : ceux qu’on est en droit de considérer comme les grands contribuables échappent souvent au contrôle fiscal formel parce qu’ils financent les campagnes électorales des présidentiables. Et, ainsi, en guise de récompense, une fois prendre fonction, le président de la République leur accorde comme par enchantement des franchises douanières. Alors que le fisc resserre les boulons des petits contribuables de la classe moyenne et des petits marchands. Cette expérience malsaine sur le plan fiscal met toujours le trésor public devant un grand manque à gagner. À cela s’ajoutent des dépenses souvent inconsidérées, voire irréfléchies du dernier ex-exécutif constitutionnel qui s’amusait à fêter tous les ans l’anniversaire de son accession au pouvoir.

Quel pays peut bien fonctionner économiquement sans la perception régulière des taxes et impôts des personnes physiques et morales selon des principes qu’il aura établis sur des bases juridico-légales justes et équitables ? Sinon, on aura toujours cet État failli, mendiant, impotent. Voyez-vous raison que c’est en 2017 que les choses en seraient autrement ? Au contraire, y croire serait naïf ou expliquerait le fait qu’on n’observe ni ne comprend rien de l’expérience électorale haïtienne de 2015 à nos jours.

Comme l’UEH est une institution indépendante dont le budget est financé par le Trésor public, elle se voit obligée de se trainer dans ce comportement à peine décent. Et nous aussi à la FLA, nous nous sommes vus obligés de nous y entrainer, non sans gêne et honte. Nous avons tendu notre bol bleu à plusieurs institutions internationales mais la réponse généralement essuyée – qui semble un leitmotiv – est que les urgences provoquées par des impondérables notamment naturelles les empêchent de contribuer à l’exécution d’actions non programmées comme celles qu’exige la demande qui est nôtre.

Rien qu’à regarder l’état de certaines infrastructures administratives physiques émanant de l’État on comprend que ce que nous avions cru être une erreur des élaborateurs du document plan de reconstruction du gouvernement en place à l’époque, qui a parlé de « abris provisoires permanents ». Le colonel Himler Rébu – qui avait découvert cette expression inédite – pourra se rappeler que je lui avais indiqué qu’il ne saurait s’agir d’une erreur mais d’un certain niveau de vérité qui remontait de l’inconscient discursif et qu’il faudrait mettre du temps à évaluer en tant que telle. Aujourd’hui, les infrastructures de fonctionnement d’institutions d’enseignement supérieur tels la FLA ou l’ENS, entre autres, viennent confirmer que ce n’était nullement une erreur sortie du néant.

Et comme on n’est pas prêt de conclure sur ce sujet…

Le cri des mourants des décombres de la FLA et de partout résonne encore dans ma conscience. J’ai tendu la main à la défaite ce jour-là. Mais la mort a baissé le bras. Je ne saurai oublier ce jour qui nous a fait tant de tort. Une pensée spéciale pour nos devanciers de l’occasion. Du réconfort pour leurs familles. La FLA n’oublie et n’oubliera jamais tant qu’elle existe ! Elle ne peut pas oublier car, pour paraphraser mon prédécesseur Rogéda Dorcil, « manje bliye se lasini memwa ». Or, l’un de nos devoirs est de perpétuer la mémoire, l’université étant un lieu de mémoire.

Ce texte est un plaidoyer pro domo pour attiser la conscience des responsables à la fois de l’État haïtien mais aussi des responsables de l’UEH afin qu’ils sachent orienter leurs actions budgétaires en direction du prioritaire, du nécessaire, de l’urgent. La FLA ne peut plus continuer à évoluer dans la situation infrastructurelle qui est la sienne. Il s’agit aussi d’un plaidoyer pour la reconstruction tout à la fois physique et symbolique de l’environnement haïtien mais aussi bien de la construction intellectuelle de l’être haïtien.

Je terminerai en soulignant que j’ai retenu de la fable CIRH l’évidence que nos dirigeants n’ont guère foi en ce qu’il y a lieu d’appeler l’autodétermination du pays. Ils conditionnent leur réussite à l’intervention d’un tiers en oubliant que ce tiers n’a et n’aura pas le même intérêt que nous. Le pays peut-il évoluer et se développer durablement avec ces générations de dirigeants de cette mentalité ? Des dirigeants qui croient à l’aide internationale au développement durable sont des analphabètes politiques. L’aide internationale au développement durable sera efficace à la mort de la concurrence entre les États. Et la mort de la concurrence entre les États ne peut être que postérieure à la fin du monde !

* Doyen
Faculté de Linguistique Appliquée
Université d’État d’Haïti
12 janvier 2017


[1Govain, Renauld (2011), Le séisme haïtien du 12 janvier 2010 : entre représentations et incidences linguistiques, Revue haïtienne d’histoire, de géographie et de géologie, N° 241-244, janvier-décembre 2011. Séisme, Vulnérabilité et Reconstruction nationale, 193-214.