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Haïti-Université : Notre dette envers Pierre Paquiot

Par Fritz Deshommes*

Soumis à AlterPresse le 18 décembre 2016

Elle est immense. Elle est multiple. Elle est profonde. Nous en découvrons chaque jour une facette nouvelle.

Il y a chez Pierre le professeur qui adore sa salle de classe et qui, tout Recteur qu’il était, n’abandonnait jamais ses étudiants. Même si ça doit lui prendre d’aller faire cours à 7 heures du matin.

Il y a le dialecticien hors-pair, doté d’une grande capacité de persuasion, qui ne se laisse pas facilement démonter et qui n’hésite jamais à proclamer sa vérité, fut-il seul contre tous, du moment que sa conviction est faite.

Il y a l’homme de courage, l’homme de responsabilité, l’homme de devoir, qui n’hésite pas à affronter tous les pouvoirs, toutes les puissances, pourvu qu’il s’estime être dans son bon droit, pourvu qu’il croie en sa cause.

Tant de choses à dire sur Pierre Paquiot. Je m’en tiendrai au Recteur. Au premier Recteur élu de l’UEH. A celui qui a fait l’histoire.

Le premier recteur élu de l’UEH ? Pouvez-vous vous imaginer ce que cela a du représenter ?

Peut-être qu’au moment où il devait prendre les rênes, au moment où il fallait mettre en œuvre les Dispositions Transitoires, il y avait une certaine euphorie d’une étape de franchie, d’une victoire de l’académique sur le politique, du triomphe de nos luttes, de nos combats en faveur d’un enseignement supérieur responsable, soudé à nos réalités et soucieux de notre devenir de peuple.

Mais aujourd’hui, 20 ans après, on peut mesurer le chemin parcouru. On peut deviner ce qu’il a couté à Pierre de courage, de volonté, d’imagination, de créativité.

A ce moment, il fallait :

-  Mettre ensemble tout une kyrielle d’entités disparates non encore habituées à fonctionner sous le régime d’un Rectorat qui ne se veut plus boite aux lettres ;

-  Inventer un Office Central, soucieux de jouer pleinement son rôle de coordination, d’orientation, de contrôle, de suivi et de supervision d’entités périphériques habituées à travailler dans des conditions d’indépendance presque, du moins par rapport au Rectorat, avec leur propre loi organique, leur propre administration, leur propre identité, leur propre idiosyncrasie, et farouchement jaloux de leur mode de fonctionnement et de leur liberté d’action ;

-  Apprendre à faire fonctionner un Conseil Exécutif composé de personnalités élues séparément, chacun avec son propre programme, avec sa propre légitimité, son propre parcours, sa propre vision et qu’il faut transformer en une instance cohérente, convergente et fonctionnelle ;

-  Composer avec le Conseil de l’Université, désormais constitué non plus seulement de Doyens mais aussi de professeurs et d’étudiants, brusquement dotés de prérogatives importantes. Ce Conseil de l’Université, instance suprême, conçu pour être une force de proposition, de participation, de protection et de transparence pour l’institution mais qui, mal orienté ou mal dirigé, pourrait être également une épine. Il fallait trouver la bonne carburation, le bon équilibre, le bon leadership pour porter chacun et tout l’ensemble à faire appel au meilleur de lui-même.

Il fallait également :

-  Trouver l’équilibre approprié entre le membre du Conseil de l’UEH avec ses fonctions stratégiques de contrôle, de supervision, de conception et le même personnage dans son rôle de fonctionnaire exécutif sur qui ces mêmes contrôles devraient être exercés.

-  Faire face à la problématique réelle des entités de province, pendant trop longtemps, parents pauvres du système ;

-  Répondre aux sollicitations de la société civile dans le contexte de « cette transition qui n’en finit pas », où l’appel aux réserves morales de la nation, dont l’université, ne manquerait pas de venir. Et ceci face à des pouvoirs ombrageux, très peu portés vers la chose académique et qui ont plutôt tendance à voir l’Université, l’Université d’Etat précisément, comme un empêcheur, au lieu de ce levier de formation, de recherche et de services destiné à accompagner toute politique publique conséquente.

-  Qui pis est, le statut constitutionnel d’indépendance n’était pas fait ni pour rassurer ni pour faciliter les relations avec d’autres instances de l’Etat qui comprennent difficilement que, tout hauts fonctionnaires qu’ils soient, députés, ministres, sénateurs, ils ne puissent plus imposer leur liste d’étudiants, recruter les professeurs et les surveillants, dicter les résultats des recherches, indiquer la manière dont le budget doit être dépensé.

Il y avait tous ces défis, tous ces enjeux, toutes ces problématiques qui se posaient et auxquels il fallait donner pour la première fois une réponse institutionnelle.

Pierre Paquiot a du y faire face, trouver des réponses et faire fonctionner, autant qu’il a pu, notre Alma Mater dans ce nouveau cadre. Et surtout, il a pu lui permettre de traverser beaucoup d’eaux troubles, de garder le cap et de sauvegarder son intégrité institutionnelle.

Il a même dû, on le sait, le payer de sa propre chair, de son propre sang.

A ce stade, je ne puis m’empêcher de mentionner deux faits que l’Histoire, la grande, devra retenir :

-  Pierre Paquiot a été - sans le savoir, sans le vouloir - celui, au nom de qui, a été organisée la première manifestation réussie contre un pouvoir qui se voulait populaire et invincible. Lequel pouvoir se verra dans l’obligation de faire marche arrière pour la première fois sur une décision on ne plus importante ;

-  Le sacrilège fait à ses genoux de recteur, un certain vendredi 5 décembre, lui a valu également - sans le savoir, sans le vouloir - d’être un symbole de ralliement pour la mise à nu et, plus tard, la chute d’un régime pris en flagrant délit de reniements, de déviations et de dérives.

Mais n’y insistons pas. Pierre n’aurait pas aimé. Ce n’est pas sa nature intrinsèque.

Il s’est trouvé en situation. Il a dû y faire face. Avec courage. Avec dignité. Avec son sens de responsabilités. Son meilleur titre de gloire : Professeur. Toute une vie. Toute une carrière. Plusieurs générations d’étudiants.

Toute une vie. Source de tout un ensemble de leçons. Sur la condition de professeur d’université en Haïti. Sur l’enseignement et la recherche en sciences pures et appliquées, en général, en mathématiques particulièrement. Sur les grands défis de l’Université d’Etat d’Haïti. Sur les grands défis de l’université haïtienne. Et même régionale. Oh ! J’allais oublier, Pierre Paquiot a été également le premier Président de la CORPUCA, la Conférence des Recteurs et Présidents d’Universités de la Caraïbe. Là encore, il lui a fallu innover, inventer, donner le ton, tracer des chemins. Un véritable Legba de l’Université haïtienne d’après 1986.

Toute une vie. Toute une carrière. A méditer. Notre conscience à tous. Notre miroir à tous.

Adieu Pierre.

Adieu Recteur Paquiot.

Adieu Professeur Pierre Paquiot.

La terre, notre terre, celle de Cuba, celle de toute la Caraïbe.

La terre, ta terre, te sera légère.

*Recteur de l’Université d’État d’Haiti