« Un échantillon de 1,560 procès-verbaux qui contient obligatoirement les 27 originaux de Pitit Dessalines et les 364 déposés par le candidat Jude Célestin ne peut pas être qualifié d’aléatoire. »
Par Claude Joseph*
Spécial pour AlterPresse
Le transport du BCEN au Centre de tabulation aux fins de vérification de façon aléatoire de 12% des procès-verbaux (PV) marque un nouveau tournant dans la crise post-électorale. Si cette décision est conforme aux dispositions de l’article 74 des règlements du contentieux électoral amendé, néanmoins, au regard des techniques statistiques, elle comporte des ambiguïtés, et non des moindres. D’abord, la sémantique de la décision prête à équivoque. Le choix d’un échantillon de 1,560 procès-verbaux, qui contient obligatoirement les 27 originaux de Pitit Dessalines et les 364 déposés par le candidat Jude Célestin, ne peut pas être qualifié d’aléatoire. Et si l’idée d’un tirage aléatoire est de déduire les caractéristiques d’une population à partir de ce qui est observé au niveau d’un échantillon, ainsi constitué, l’échantillon du Bcen ne permettra pas d’estimer correctement les paramètres d’intérêt de la population, dans la mesure où ces 391 PV de Pitit Dessalines et de Jude Célestin auraient été sélectionnés sur la base qu’ils contiennent déjà des irrégularités. Ce biais de sélection donc est à même de travestir la réalité de la population. En d’autres termes, la proportion d’irrégularités dans l’ensemble des procès-verbaux est susceptible d’être surestimée à partir d’un échantillon, dont 25% contiennent de prime abord des irrégularités. En outre, certains, à juste titre, diront que 12% de l’ensemble des 10,618 PV est 1,275 et si on y ajoute les 391 déposés par Jean Charles Moise et Jude Célestin, on obtient 1,666 PV, et non 1,560 PV ainsi inscrits dans la décision du BCEN.
Mais, il y a un autre problème aussi pertinent. À partir de quel raisonnement le Bcen a-t-il ordonné la vérification de 12% des PV ? pourquoi pas 5% ? ou 30% ? Généralement le choix de la taille d’un échantillon est motivé par un ensemble de facteurs tels la marge d’erreur et le seuil de confiance. Dans le cas de cette vérification, on n’a aucune idée de la façon dont la taille de 12% est déterminée. Par conséquent, si c’est un chiffre tombé du ciel, il serait difficile d’estimer, avec un certain degrée de certitude (niveau de confiance), les paramètres de la population à partir des statistiques de l’échantillon.
Mise à part ces préoccupations, il est également important de comprendre le bien-fondé de la vérification. Pourquoi vérifier ? La réponse du Bcen est claire : une vérification s’impose parce qu’il « est nécessaire pour le Bcen de faire jaillir la lumière, d’établir la sincérité du scrutin ». Mais comment à partir de 12% des PV le Bcen va-t-il faire jaillir la lumière et établir la sincérité du scrutin ? Logiquement ce serait à partir des irrégularités observées dans l’échantillon. Mais, quelle est la barre à ne pas franchir ? En d’autres termes, qu’est ce qui serait considéré comme irrégularités graves et quel est le niveau d’irrégularités qui changerait la configuration des résultats des élections présidentielles de novembre 2016 ? Quand de telles questions sont restées sans réponses, toutes sortes d’interprétations seront possibles. Les décisions seront improvisées. Les jugements dictés par le rapport des forces se substitueront aux verdicts des urnes. Donc, pour paraphraser Otto Von Bismarck, « les grandes questions de notre temps ne se décideront pas par des discours et des votes à la majorité, mais par le fer et le sang ».
* Adjunct professor
Fordham University
Cjoseph20@fordhma.edu