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Société : Quand la vieillesse devient un poids lourd en Haïti ?

A travers les méandres de la sécurité sociale en Haïti...

Correspondance Jéthro-Claudel Pierre Jeanty

Ouanaminthe, 15 déc. 2016 [AlterPresse] --- « Quand j’avais assez d’énergie, je vivais du commerce, de l’élevage et de la production du charbon (…). Vous savez, dès qu’on est incapable de gérer ses affaires, tout passera mal », avoue à AlterPresse la septuagénaire Anilia Exavier.

Avant de dépenser son peu d’économie pour se faire soigner, Anilia Exavier, aujourd’hui affaiblie par le vieillissement, travaillait très dur, autrefois, pour gagner sa vie.

Accueillie, depuis 7 ans, par le Bon Samaritain de Ouanaminthe, une institution de bienfaisance dans le département du Nord-Est d’Haïti, la septuagénaire dit ne pas apprécier la situation de dépendance, dans laquelle elle vit, à présent.

Avant d’être prise en charge par cette institution de l’église catholique romaine, Anilia Exavier mendiait, à travers les rues, pour survivre.

Le Bon Samaritain de Ouanaminthe s’occupe gratuitement de 37 personnes, âgées d’au moins de 55 ans. L’institution nourrit régulièrement environ 150 autres.

Cette mère de huit enfants est attristée par l’absence de sa progéniture, qui réside tantôt en Haïti, tantôt en République Dominicaine.

En Haïti, des milliers de gens, qui ont trimé, pendant de nombreuses années de leur vie, connaissent une vieillesse difficile, à l’instar d’Anilia Exavier.

« Les vieillards pauvres ne sont pas considérés comme des personnes, ayant servi leur famille ou le pays. Ils sont souvent vus comme un fardeau », déplore Rosan Ranjit Ekka, directeur d’une maison d’accueil, qui donne des soins de santé et de la nourriture aux nécessiteuses et nécessiteux.

À cette maison d’accueil, les nécessiteux vivent grâce aux dons reçus, faits, de façon occasionnelle, par des personnes de « bonne volonté » et institutions locales.

« A court de moyens, nous achetons souvent de la nourriture à crédit, dans une épicerie de la zone », témoigne Ekka à AlterPresse.

« La Caisse d’assistance sociale (Cas) nous donnait une subvention mensuelle de 40 mille gourdes durant une période d’un an, avant de la suspendre en juillet 2015. Nous avons besoin de 240 mille gourdes pour prendre soin des nécessiteux et assurer le paiement du personnel de 13 employés » (Ndlr : US$ 1.00 = 68.00 gourdes, 1 euro = 78.00 gourdes ; 1 peso dominicain = 1.60 gourde aujourd’hui).

« Il n’y a pas de travail social en Haïti », regrette-t-il.

Selon une étude réalisée en 2010, en Haïti, par HelPage International, plus d’un million de personnes seraient âgées de plus de 55 ans.

La majorité d’entre elles vivent dans la misère et ont besoin d’aide.

Vu les conditions exécrables d’existence, de nombreuses personnes âgées dans la zone, un autre centre dans la commune de Fort-Liberté a été ouvert par les responsables de la maison d’accueil « le Bon Samaritain de Ouanaminthe », dans le département du Nord-Est.

Ce centre accueille 12 vieillards et assiste 147 autres.

Une assistance sociale qui laisse à désirer

« Vu la cherté de la vie, l’assistance de 1,500.00 gourdes par mois, de la Caisse d’assistance sociale (Cas), ne suffit pas à couvrir les besoins fondamentaux d’un bénéficiaire. Bon nombre de ces bénéficiaires sont des chefs de famille », souligne Ewd-Shone Raphaël Mathieu, responsable de la Cas pour l’arrondissement de Ouanaminthe, interrogé par AlterPresse.

« Les bénéficiaires reçoivent le versement d’un mois chaque trois à cinq mois. Puis, à la fin de chaque année, les arriérés sont annulés », poursuit Mathieu.

À la mi-novembre 2016, les bénéficiaires n’avaient pas encore reçu la subvention du mois de juin 2016.

« Malgré cela, je reçois des sollicitations à longueur de journée. Cependant, le dernier accueil de 65 nécessiteux, effectué par la direction générale, pour faire passer ma juridiction à 115 bénéficiaires, remonte à 2014 ».

« Les bénéficiaires qui sont en majorité des vieillards » habitent, pour la plupart, dans des zones difficiles d’accès, où les déplacements - pour aller recevoir la subvention au bureau de la Cas - s’avèrent difficiles.

Certains de ces bénéficiaires doivent dépenser jusqu’à 400.00 gourdes pour couvrir leurs frais de déplacement, soit 26.67% de la subvention.

Haïti enregistre « un taux de pauvreté de 58.7% et un taux de pauvreté extrême de 23.9% », selon le Ministère de l’économie et des finances (Mef).

Un véritable plan d’assistance sociale, accordant une subvention significative, et la création massive d’emplois serait nécessaire pour faire face à cette situation de pauvreté extrême.

Une assurance-vieillesse qui assure peu de gens

Beaucoup d’anciens employés, en particulier d’institutions privées, vivent leur vieillesse dans la misère.

Un ancien enseignant chevronné à Ouanaminthe vit maintenant dans la mendicité, alors qu’il devrait pouvoir vivre décemment, relate à AlterPresse le directeur régional de l’Office nationale d’assurance-vieillesse (Ona), Rolex Mompremier.

« Pour mener une vie décente, à la vieillesse, les professionnels et employés du secteur privé doivent se faire assurer par une compagnie ou épargner suffisamment », explique-t-il.

Pour assurer un employé, l’Ona prélève 6% de son salaire, plus une cotisation obligatoire, du même montant, de l’employeur.

Les 59 mille 446 fonctionnaires de l’Etat (selon l’Office de management et des ressources humaines / Omrh), sont assurés, de leur côté, par le Trésor public.

25 ans de cotisation et 58 ans d’âge pour les fonctionnaires, 20 ans de cotisation et 55 ans d’âge pour les assurés de l’Ona, sont requis.

Ces assurés devraient pouvoir éviter la dépendance, si le système de sécurité sociale fonctionnait bien.

Pourtant, certains, qui ne peuvent pas trouver leurs cartes d’assurance, sont souvent « hostiles, face à l’Ona », rapporte Mompremier.

Le bureau, couvrant l’arrondissement de Ouanaminthe et la commune de Mombin-Crochu, enregistre environ 16 mille assurés et 9 pensionnaires, pour une population de 181 mille 184 habitantes et habitants.

En plus du chômage, qui empêche beaucoup de gens de se faire assurer, la situation de fonctionnaires incompétents, dont regorgerait l’Ona, constituerait aussi un obstacle pour les assurés de bénéficier de leur pension.

« Un travail mal fait peut hypothéquer la vieillesse de milliers de personnes », signale Mompremier, qui en profite pour fustiger les nominations politiques, imposées au sein de l’institution. [jcpj emb rc apr 15/12/2016 0:10]