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Haïti-Elections novembre 2016 : Comme si c’était trop beau pour finir en beauté ?

Par Gary Olius*

Soumis à AlterPresse le 26 novembre 2016

Les élections du 20 novembre 2016 ont été remarquablement bien préparées et plus d’uns ont salué la performance du CEP de Léopold Berlanger. Ce n’était pas de la flagornerie, mais la reconnaissance d’un fait avéré qui a sauté aux yeux de tout le monde, y compris les observateurs les plus sceptiques. Toutefois, il semble que cette reconnaissance non questionnée et non questionnable jusqu’à date a fait des jaloux. On dirait même que des mains cachées ont concocté un complot en règle contre les organisateurs et organisatrices de ces élections et les empêcher de tirer crédit de ce vaste succès annoncé ou en cours de consolidation. Cette même hypothèse vaut aussi pour l’exécutif Privert-Charles qui n’a cessé de claironner depuis plusieurs mois qu’il souhaite de tout son vœu des élections honnêtes et crédibles. L’éclatant succès annoncé allait être aussi celui du Président Privert et du Premier Ministre Jean Charles qui ont su prendre une longue distance par rapport à leurs egos et leurs préférences politiques pour contribuer substantiellement à livrer à la population haïtienne des élections qui n’ont rien à envier à celles qui ont eu lieu aux Etats Unis, plus d’une semaine auparavant.

Comme si un black-out général était un signe avant-coureur d’un malheur politique, ce qui s’annoncait comme des joutes à inscrire en lettre d’or dans les annales de l’histoire électorale haïtienne allait justement faire des gorges chaudes. Il a suffi de quelques minutes après le début du dépouillement des scrutins pour que l’enchantement quasi-généralisé cède la place à des grincements de dents. Il a suffi de quelques heures pour que ces grincements de dents se convertissent en chaudes larmes. Et, pour cause, des bulletins tout cochés, des urnes remplies, des feuilles d’émargement ont été abandonnés ou jetés dans des coins de rue, au Cap Haïtien. Certains partis et candidats ont perdu leur calme, des organismes d’observation ont, par maladresse, jeté de l’huile sur le feu en donnant à la chose une dimension qu’elle n’avait peut-être même pas, les mauvais perdants reconnus de notoriété publique ont trouvé le prétexte dont ils avaient besoin pour annoncer la couleur et le CEP se trouvait en panne de bons mots pour calmer suffisamment le jeu. La presse aussi s’est mêlée de la partie de la façon dont on sait et ce n’était pas non plus pour aider à contenir le délire des rechignas. Sous l’effet de ces petits coups bas, le sourire des organisateurs devint rictus.

Si cette chaine d’évènements fâcheux, allant du black-out aux soupçons de vote fictifs en passant par l’abandon de bulletins dans les rues du Cap Haïtien, se confirmait comme une attaque délibérée pour ternir le processus électoral et empêcher aux responsables de tirer a posteriori des crédits politiques de leur prouesse, on aurait de solides raisons d’être inquiets pour l’avenir du pays. On aurait affaire à une forme de guérilla opérant tapis dans l’ombre contre laquelle l’Etat Haïtien ne dispose d’aucuns moyens humains et matériels. Qu’on ne se trompe pas, il n’y aurait pas lieu de la qualifier simplement de machination ou de manœuvres politiciennes, car elle a – à peu de choses près – les mêmes effets qu’un acte terroriste. Elle expose le pays à une crise insoluble dont les conséquences économiques et sociales seront incalculables. Fraudeurs impénitents et politiciens véreux n’ont pas seulement l’air de marchands de terreur…

Le CEP et l’exécutif ont, selon toute vraisemblance, tout fait jusqu’à la fermeture des bureaux de votes pour que les meilleurs candidats et leurs meilleures candidates puissent gagner les élections. Malheureusement, c’était sans compter avec des partenaires qui n’ont pas su jouer leur rôle jusqu’au bout. Après tout, ce sont ces partenaires-là qui ont aidé à choisir les membres des Bureaux de Votes, des Superviseurs, des Observateurs et autres. Le constat initial a été que les gens recrutés étaient tous à la hauteur de leurs taches. Et, au demeurant, le CEP a dû effectuer un travail de fourmis pour épurer des listes infestées de recrues pas trop catholiques. Mais si les cribles utilisés par les partenaires du CEP pour filtrer leurs choix étaient suffisamment fiables, comment se fait-il que le CEP se retrouve aujourd’hui empêtré avec des listes d’émargement sans empreintes ou signatures ou mêmes des procès-verbaux apocryphes ou non-signés ? Sans même s’y attendre, le CEP se retrouve dans une position assez inconfortable et contraint de mettre sous vérification approfondie une quantité significative de procès-verbaux. Oui, dans ces élections dont le taux d’abstention avoisinait déjà les 77%, si la mise à l’écart se confirme pour la quantité de PV considérés déjà comme suspects, que restera-t-il de la LEGITIMITE de ces élections ? Pour vous aider à prendre la mesure du problème ou du risque encouru, voici quelques chiffres provenant directement du centre de tabulation du CEP ce 24 novembre 2016.

Pour les élections sénatoriales complémentaires (Centre, Grande-Anse, Nord), sur 1,138 PV examinés, 403 ont des indices qui les rendent suspects. En ce qui concerne les joutes relatifs au renouvellement du tiers du sénat, la situation est encore plus préoccupante : le nombre de PV non comptabilisés (parce qu’ils ont de mauvais indices) est de 3,109 sur un total de 11,757 soumis à un premier examen. Pour les présidentielles, il y a 2,521 PV qui nécessitent une vérification à la loupe sur un total de 11,865 PV considérés. Au vu de ces chiffres, même provisoires, le malaise est palpable. Tout porte à croire que beaucoup de préposés aux centres de vote ont failli à leur mission. Etaient-ils incompétents, de mauvaise foi ou immoraux ? Sous quel que soit l’angle considéré, il y a des responsabilités à établir tant au sein du personnel vacataire qu’au sein des organisations qui ont aidé à les identifier et recruter. Sans idées préconçues… ! Car, il ne faut pas que la velléité de collaborer de bonne foi (des partenaires susmentionnés) se transforme en soupçons infondés ou en accusations injustes. La grande vérité est que ces partenaires – toujours animés du même esprit de collaboration – peuvent aider à remonter à la source et traquer sans pitié les saboteurs.

Concrètement, que peut faire le CEP face à une telle réalité ? Primo, il doit identifier les bureaux de votes concernés et les noms des personnes responsables de ces bureaux, à partir des métadonnées contenues dans les PV suspects. Secundo, le CEP devra interroger les présidents de ces bureaux de votes (et les superviseurs des centres y relatifs) en présence des représentants des organisations qui les ont recommandés. Tercio, à partir de ces entrevues, le CEP devrait être à même d’identifier les réseaux de saboteurs/fraudeurs et de déterminer le niveau de responsabilité des candidats concernés. Après, tout le reste du travail se résume en une application pure et simple du décret électoral en vigueur.

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* Économiste, spécialiste en administration publique
Contact : golius_3000@hotmail.com