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Coup d’œil sur le processus électoral américain

Par Claude Joseph*

Soumis à AlterPresse le 26 octobre 2016

À la question comment devient-on Président des Etats-Unis, il ne faut pas toujours attendre d’un américain ordinaire une réponse intelligente et factuelle tant le processus électoral américain est compliqué. Cependant, en dépit de cette complexité, aucun autre système électoral a su résister aux vicissitudes politiques et juridiques autant que celui des Etats Unis. À preuve, les quelques 700 propositions d’amendement soumises au congrès au cours des 200 dernières années visant à modifier le processus sont toutes restées lettres mortes. Le système électoral étatsunien, le collège électoral en particulier, est en effet un sujet sur lequel les propositions d’amendement ont été les plus nombreuses. La complexité du système provoque indubitablement insatisfaction, mais surtout pas d’indifférence. Depuis tantôt des décennies, les élections américaines sont si animées que les passions créées dépassent les frontières. Les présidentielles de 2016 opposant Donald Trump et Hilary Clinton illustrent parfaitement bien ce phénomène. Partout, en Russie comme en Syrie, en Irak comme au Mexique, les nerfs sont à fleur de peau en attente du verdict des urnes des présidentielles américaines. Donc, à moins de 2 semaines des élections américaines, il est important de jeter un coup d’œil sur le processus politico-juridique qui conduit à la maison blanche.

Comment est élu le Président américain ?

Aux Etats-Unis, il existe plusieurs voies pour accéder à la présidence. Dans un scrutin indirect à deux degrés, les citoyens de cinquante-et-une circonscriptions électorales (les 50 États de l’union plus le district de Columbia) élisent dans leur circonscription respective les grands électeurs du Collège Electoral, lesquels votent ensuite pour un candidat à la présidence. Décrire le mode de scrutin comme étant uniquement indirect ne permet pas d’appréhender les subtilités constitutionnelles du processus. D’abord, il faut mentionner que les élections nationales, celles qui se réalisent le premier mardi qui suit le premier lundi de novembre, est un scrutin de liste majoritaire à un tour. Dans chaque État, les citoyens votent pour une liste de grands électeurs en nombre égal de représentants et de sénateurs qui représentent cet Etat au Congrès. Par exemple, la Californie dispose de 55 grands électeurs correspondant à ses 53 représentants à la chambre et ses 2 sénateurs au Sénat. La cinquante-et-unième circonscription, le district de Columbia englobant la capitale des Etats-Unis, Washington, ne dispose pas de représentation congressionnelle, mais compte néanmoins 3 grands électeurs. Le Collège Electoral est donc aujourd’hui et depuis 50 ans composé de 538 grands électeurs correspondant aux 435 représentants à la chambre et 100 sénateurs, et les 3 autres pour le district de Columbia. Le mode de scrutin dans cette première étape, comme on vient de le signaler, est un scrutin de liste majoritaire à la pluralité des voix. C’est-à-dire qu’à l’exception du Maine et de Nebraska, dans les 49 autres circonscriptions électorales, la liste obtenant le plus grand nombre de voix, minime soit-il, est élue. En d’autres termes, la totalité des grands électeurs est donnée au candidat arrivé en tête. Cette règle est connue sous le nom de Winner takes all.

Quoique les résultats soient connus de tous quelques heures qui suivent le vote de novembre, les grands électeurs vont se réunir dans la capitale de leur État le premier lundi qui suit le deuxième mercredi de décembre pour officiellement élire le président et son vice-président. À ce niveau, on parle d’un mode de scrutin uninominal à majorité absolue. Pour être élu, le président doit obtenir 270 grands électeurs, soit la moitié de 538 plus un. A défaut de quoi, la tâche d’élire le président est assumée par la chambre des représentants. Ce cas s’est produit en deux reprises, en 1800 et 1824. Aussi, en cas d’égalité, il revient au Sénat de choisir le vice-président. Dans l’histoire des élections présidentielles américaines, cette situation s’est produite une seule fois : 1836. Le cas de 1800, opposant Thomas Jefferson et Aaron Burr réunissant chacun 73 grands électeurs, a provoqué l’adoption du XIIe amendent à la constitution, ratifié en 1804.

En somme, le corps électoral est subdivisé en trois parties : le peuple, le collège électoral et le congrès. Pour élire le Président, ces parties parfois se complètent (le peuple et le collège électoral), parfois elles se substituent (le collège électoral et le congrès). Du peuple au collège électoral, rien ne se définit de façon stricte. Le collège électoral est sensé pourvu d’un mandat impératif, c’est-à-dire que les grands électeurs sont sensés sans filtrage suive le vote populaire. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. L’histoire électorale américaine comporte des cas où des grands électeurs trahissent l’engagement pris avant l’élection – ce qui est communément appelé « faithless elector ». Le premier électeur déloyal fut Samuel Miles de la Pennsylvanie, qui en 1796 décida de voter pour Thomas Jefferson au lieu de John Adams [1]. Pour protester contre le statut du district de Columbia ne disposant pas de représentation congressionnelle malgré sa population de plus de 500,000 habitants, Barbara Left-Simmons, électeur démocrate, vota blanc aux présidentielles de 2000. Evidemment, certains États ont dû passer des législations sévères et menaçantes pour imposer aux grands électeurs le respect des votes populaires, cependant les États qui ont adopté ces contraintes ne l’ont jamais mis à l’œuvre en dépit des déviations constatées. L’impunité des traites s’explique, peut-être, par le fait que jusqu’à présent le vote déloyal n’ait pas modifié le verdict du collège électoral. Barbara Left-Simmons ne voterait pas blanc si elle savait que son vote entraverait l’obtention de la majorité requise pour élire Al Gore [2].

Que vaut la souveraineté populaire dans le régime politique étasunien ?

Le fait qu’ils n’ont pas pu modifier le résultat final, les cas de trahison des grands électeurs restent et demeurent un sujet marginal dans le débat électoral. Cependant, quand la volonté populaire est filtrée par le collège électoral de telle sorte que le principe « one man, one vote » n’est pas respecté, le système électoral américain est l’objet de toutes critiques. Au fait, du vote populaire au vote des grands électeurs, la volonté populaire n’a pas toujours eu gain de cause. À cause du scrutin de liste majoritaire dans 49 des 51 circonscriptions électorales donnant la majorité des grands électeurs au candidat arrivé en tête, quelle que soit son avance sur son opposant, il est possible d’enregistrer des distorsions entre les suffrages populaires et les votes effectués au niveau du collège électoral. Un candidat ayant reçu moins de votes populaires que son adversaire peut bien réunir la majorité absolue de grands électeurs et est donc élu Président. Une situation qui s’est produite au moins 3 fois dans l’histoire électorale américaine. En 1876, le candidat républicain, Rutherford Hayes est élu président malgré ses 250,000 voix de moins que son adversaire démocrate Samuel Tilden. En 1888, Benjamin Harrison gagne les élections en dépit du fait que son opposant Gover Cleveland lui devance d’une différence de 100,000 votes populaires. Tout récemment, Al Gore n’a pas remporté les présidentielles de 2000 malgré ses 500,000 suffrages de plus que son compétiteur Georges Bush. Cette distorsion des votes populaires par le collège électoral est considérée par plus d’un comme une entrave non moins compromettante à la démocratie.

En outre, le mode de scrutin étatsunien engendre un autre phénomène suscitant de vives critiques à l’égard du système. Il s’agit de ce que Arnaud Coutant appelle « les présidents minoritaires [3] ». 18 des 48 élections présidentielles réalisées entre 1824 et 2012 ont consacré des résultats minoritaires en ce sens que les présidents issus de ces élections n’ont pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. De ces 18 Présidents minoritaires, 13 ont recueilli entre 45 à 50% des votes populaires, 3 ont obtenu le soutien de 40 à 45% et 2 ont reçu moins de 40% des suffrages exprimés. Des présidents comme Abraham Lincoln qui est élu avec seulement 39,3% des votes populaires est, selon plus d’un, des présidents non-démocratiques. Toutefois, il est nulle part mentionné que les élus doivent recueillir la majorité absolue des votes pour qu’un régime soit démocratique. Donc, c’est un sujet à débat avec des interprétations doctrinales les unes plus différentes que les autres.

Les votes populaires sont importants pour les candidats à la présidence, mais ce qui est plus important c’est le vote des grands électeurs. L’objectif est donc de recueillir les 270 voix au collège électoral, et c’est ce qui explique que les élections présidentielles se jouent dans des Etats qu’on appelle de « swing states ». Ce sont donc des États clés pouvant faire basculer le scrutin à tout moment. Parmi ces États clés, on compte aujourd’hui la Floride avec ses 29 électeurs présidentiels, la Pennsylvanie (20), la Virginie (13), Ohio (18), Colorado (9), Nevada (6), la Caroline du nord (15), Wisconsin (10), Michigan (16), New Hampshire (4). Il n’est donc pas nécessaire pour un candidat démocrate de trop concentrer son énergie dans un Etat comme New York qui est déjà acquis à la cause des démocrates. Pour un candidat républicain à la présidence, il n’est non plus pas avantageux de mener campagne dans un État comme Alabama. Tout ceci explique également pourquoi un tiers candidat a quasiment aucune chance d’être élu président aux Etats Unis. En outre, la nature même du scrutin majoritaire à la pluralité des voix encourage le bipartisme.

Pour les présidentielles de 2016, l’arithmétique électorale dans le États partagés, réalisée à partir des sondages scientifiques avec des résultats récurrents favorables à l’ancienne secrétaire d’Etat, démontre que la messe est dite. La probabilité pour Donald Trump de gagner les élections est similaire à la probabilité qu’un enfant soit le père de son papa. En d’autres termes, comme le Washington Post l’a bien souligné, « Trump a presque zéro chance de gagner ». Certains croient que ce sera la plus grande défaite historique en matière de vote des grands électeurs. Attendons voir ! Entre temps, le candidat républicain persiste et signe que les élections seront teintées de fraudes. Affiche-t-il un comportement de perdant récalcitrant ? Ou fait-il partie du lot des citoyens ordinaires ne saisissant pas la complexité et l’idiosyncrasie du système électoral américain ?

………….

* Claude Joseph
Adjunct Professor
Fordham University
Cjoseph20@fordham.edu


[1Longley, L., Peirce, N. (1992). The Electoral College Primer. New Haven et Londres.

[2Julien Boudon présente une liste plus exhaustive des “faithless eletors”, dans Le Frein et la balance : Etudes de droit constitutionnel américain. Éditions mare et martin, 2010, p.39.

[3Coutan, A. (2012). Les Présidents minoritaires aux États-Unis. Revue française de droit constitutionnel, no 90.