Par Fritz DESHOMMES, Vice-Recteur Elu de l’Université d’Etat d’Haiti - septembre 2002
On a beaucoup parlé de lois ces derniers temps.
De celles qui devraient être élaborées et dont le vote constitue une urgence. Comme la loi organique de l’UEH, telle que prévue par les “Dispositions Transitoires†.
De celles qui devraient la précéder et qui brusquement font qu’elle n’est plus une urgence. Comme l’Avant-Projet de Loi sur l’Enseignement Supérieur, dont il faudrait surveiller l’adéquation avec le statut d’indépendance l’UEH.
Et même de celles périmées, caduques, obsolètes, et qu’on tente de ressusciter pour les besoins de la cause. Comme la loi de 1960 créant l’Université d’Etat.
Mais des lois existantes et du niveau d’application dont elles font l’objet, on parle très peu.
On nous dit qu’il existe un vide juridique énorme à propos de l’UEH. Que si la loi organique était élaborée, la crise actuelle aurait pu être évitée. Que le MENJS ne serait pas intervenu de manière aussi « malheureuse » . On dit même que l’enjeu de la crise actuelle n’est autre que la loi. La loi qui garantira l’indépendance et l’autonomie et qui fera que « cela ne reste pas seulement à l’état de purs principes mais s’incarne dans la réalité et s’impose dans les faits ». ( Le Nouvelliste du 6 Aout 2002, page 20).
Le Décret du 8 Mai 1989 et l’Enseignement Supérieur
Mais en est-on bien sûr ? Est-ce vraiment certain que rien n’existe en ce sens ? Qu’il n’existe pas de loi pouvant inspirer les actions à entreprendre ? Rien absolument rien ?
Ne nous arrive-t-il pas d’†oublier†les lois qui existent ? Pour être plus concret, le MENJS, avant de sortir son communiqué du 27 Juillet 2002 écartant les autorités légitimes du Rectorat, s’est-il donné la peine de consulter sa propre loi organique ?
En fait, le Décret du 8 Mai 1989, “adaptant les structures organisationnelles du Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports aux nouvelles réalités sociologiques†, indique, entre autres, les missions et attributions du MENJS en matière d’enseignement supérieur, les directions centrales qui composent la Direction Générale, les services extérieurs ou services techniquement déconcentrés qui fonctionnent sous sa dépendance hiérarchique, les organismes autonomes dont le Ministère a la tutelle ainsi que la nature des relations devant exister entre l’Université d’Etat d’Haiti et ledit Ministère.
L’article 2 porte sur les attributions du MENJS. Sur les 20 paragraphes qu’il comporte, un seul se rapporte à l’enseignement supérieur. Le Ministère, lit-on, doit “veiller à l’application de la politique d’enseignement supérieur†. Tout simplement. Alors que par exemple, “aux niveaux pré-scolaire, fondamental, secondaire et professionnel†, le Ministère doit non seulement “élaborer la politique éducative nationale†et s’impliquer activement dans son application.
En témoigne d’ailleurs la structure organisationnelle mise en place. Notons :
La Direction de l’Enseignement Fondamental ;
La Direction de l’Enseignement Secondaire ;
La Direction de la Planification et de la Coopération Externe ;
La Direction de la Formation et du Perfectionnement ;
La Direction du Génie Scolaire ;
La Direction du Personnel ;
La Direction des Affaires Administratives ;
La Direction des Affaires Culturelles.
Le plus grand “vide légal†n’est pas obligatoirement celui qu’on croit
Vous remarquerez qu’il n’y aucune direction s’occupant de l’enseignement supérieur encore moins de l’Université d’Etat d’Haiti, le législateur estimant probablement que pour “veiller à l’application de la politique d’enseignement supérieur†, il n’est pas nécessaire de disposer d’une direction spécifique.
On n’en trouvera rien de tel, ni parmi les structures déconcentrées, ni parmi les structures décentralisées.
Pourtant, on sait que depuis quelque temps, (4-5 ans), fonctionne au sein du Ministère une unité dénommée “Direction de l’Enseignement Supérieur†. Ce n’est pas ici le lieu de discuter de son utilité ou de sa pertinence. Il faut surtout reconnaitre ici que l’existence de cette direction n’est pas légale. Elle n’est pas prévue par la loi organique. Elle ne répond pas aux provisions de l’Article 48 qui donne au Ministre le pouvoir de “créer au besoin des services à ;l’intérieur des Directions et des sections à l’intérieur des services†. En outre, ses attributions n’ayant pas été validées et promulguées on ne sait pas si elles répondent aux attributions générales du ministère, tant sur le papier que dans la pratique.
Se pourrait-il que le vide légal soit beaucoup plus béant qu’on ne le pense ? Que le plus grand vide ne soit pas celui qu’on croit ? Mais ceci est une autre histoire, que nous serons obligé de vous conter en temps opportun…
IL serait quand même intéressant de savoir les raisons pour lesquelles le Ministère a cru devoir créer une entité fonctionnelle sans s’etre donne la peine de respecter les démarhces réglémentaires y relatives. A la limite on peut comprendre qu’a un certain moment de la durée le Ministère a estimé nécessaire de renforcer ses structures. Mais pourquoi ne pas le faire dans les normes ? Pourquoi ne pas modifier la loi organique ? Y a-t-il eu des démarches entreprises en ce sens ? Que s’est-il passé exactement ? Le Ministère aurait intérêt à clarifier ce point.
Entretemps, notons que le Décret en question fournit une réponse définitive à ceux qui se posent encore la question de savoir si l’UEH est un organisme autonome sous tutelle du Ministère. Elle donne la liste complète de ces organismes :
La Commission Nationale Haitienne de Coopération avec l’UNESCO ;
L’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National ;
L’Ecole Nationale des Arts ;
Le Bureau d’Ethnologie.
L’on peut remarquer qu’entretemps, plusieurs de ces organismes sont passés à d’autres ministères. Ou qu’en conséquence il y a un parfum d’obsolescence qu’on peut humer en lisant cette loi organique du MENJS. Mais pour le moment, contentons-nous de remarquer que l’UEH ne fait pas partie des organismes autonomes sous tutelle du MENJS.
Des “Relations Fonctionnelles†et non de tutelle, prescrit la loi
Qu’en est-il des relations entre le Ministère et l’UEH ?
Cette préoccupation est résolue depuis 1984 par la précédente loi organique du Ministère, promulguée un an après l’élévation par Constitution de 1983 de l’UEH au rang d’organisme indépendant. L’article 43 de la loi du 23 Octobre 1984 stipule très clairement :
“L†Université d’Etat d’Haiti entretient des relations fonctionnelles avec le Ministère de l’Education Nationale chargé de veiller à la formation morale et civique de la jeunesse†.
Il faut bien noter : RELATIONS FONCTIONNELLES. Pas de relations hiérarchiques. Pas de relations de tutelle.
Le principe étant posé, quelles en sont les implications pratiques ? Quel sens donner à ce concept de relations fonctionnelles ?
On sait que les étudiants qui rentrent à l’Université sont formés sous la supervision (réelle ou théorique) du MENJS. Leur nombre et leur qualité dépendent dans une large mesure du Ministère. Que valent l’école primaire et secondaire ? Quelles sont les filières qui y existent ? Tout le monde est-il obligé d’aller à l’Université ? Quelle est la qualité et la pertinence de l’enseignement dispensé ? Toutes ces questions sont de la compétence du Ministère.
De même, c‘est à l’Université qu’il revient de former les maitres d’école, les professeurs du secondaire, les formateurs directs et les formateurs des formateurs. Toutes les questions soulevées plus haut sont de mise pour l’université.
Voilà donc des bases premières pour des “relations fonctionnelles†.
Il est vrai que pour que cela soit opérationnel il faut un plan global qui définisse les besoins de formation à tous les niveaux et sur la base duquel chaque entité définit ses priorités, ses objectifs, et les relations concrètes qu’elles doivent entretenir entre elles…
C’est peut-être la raison pour laquelle la loi organique de 1989 actuellemen en vigueur, au lieur de donner un contenu concret à ces “relations fonctionnelles†préfère renvoyer la balle à l’Université. Tout en admettant le principe, c’est-à -dire, ne le mettant pas en question, elle s’ ;est contentée de stipuler : “Les relations de l’Université d’Etat d’Haiti avec le Ministère sont fixées par la loi organique de l’Université†. Que d’honneurs !..
Entretemps, un exemple de ces relations fonctionnelles est la participation du Recteur de l’Université d’Etat d’Haiti au “Conseil National d’Education†, Organe Consultatif qui assiste le Ministère dans la mise en place de la Politique Educative. Ce n’est pas le lieu de poser des questions sur l’existence réelle de ce Conseil.
S’inspirer d’abord des lois qui existent
En résumé, la propre loi organique du Ministère de l’Education Nationale confirme, s’il en était besoin, que :
l’UEH n’est pas un organisme autonome sous tutelle du MENJS, encore moins un organisme déconcentré ;
Les relations entre le MENJS et l’UEH sont des “relations fonctionnelles†dont le contenu doit être précisé par la loi organique de l’UEH.
N’est-ce pas le propre d’une Institution indépendante ?
Dans le contexte de “cette transition qui n’en finit pas†, il y tant de lois qui manquent pour nous mettre au diapason de la Constitution de 1987. Mais ne pouvons-nous pas commencer par respecter et appliquer celles qui existent ?
Il est clair qu’on aurait pu faire l’économie d’une crise supplémentaire, du “spectacle†du 22 Août 2002 et des incertitudes du moment si le Ministère qui se croit “de tutelle†s’était laissé inspirer par sa propre loi organique.
N’est-il pas venu le temps de la sagesse, de la lucidité et du respect des normes ?
Fritz DESHOMMES, Vice-Recteur Elu de l’Université d’Etat d’Haiti