Par Erno Renoncourt *
Soumis à AlterPresse le 27 aout 2016
A la fin de la première partie de cette réflexion, je disais qu’il était urgent de cultiver l’intelligence des bonnes questions pour donner du sens à l’information. Pour chercher à comprendre. Pour faire remonter à la surface ce qu’on essaie de maintenir dans l’obscurité pour desservir des desseins et des projets innommables. Dans cet ordre d’idées, il est pertinent de se demander comment des hommes d’affaires qui négligent d’outiller leur propre entreprise, en délaissant les outils managériaux comme les systèmes d’information, de statistiques et d’aide à la décision et les systèmes de management anticorruption, pourtant porteurs d’enjeux de performance et de croissance, peuvent-ils s ’intéresser à la production statistique de sondages électoraux ? Forcément, il doit bien y avoir une motivation de manipulation.
Dans cet ordre de questions, on peut se demander aussi pourquoi un sondage sur l’intention de vote des électeurs haïtiens serait crédible quand on sait qu’il est financé par des gens ayant intérêt à ce que ce soient toujours les mauvais arrangements qui triomphent au détriment des bons procès ? Ou encore, pourquoi un sondage serait-il plus enclin à être rigoureux dans un environnement social, économique, politique, culturel et humain précaire et échappant à toute norme éthique ?
Pourquoi devrait-on croire en la déontologie d’un professionnel de sondage, agissant comme client dans une démarche commerciale, quand, dans un pays où règnent l’injustice et l’impunité, aucun moment saillant de son histoire personnelle et de son parcours professionnel ne témoigne de l’écho d’une indignation. Or l’histoire de ces 60 dernières années, pour faire court, nous livre les récits des impostures, des reniements, des lâchetés, des compromissions et des soumissions auxquels les uns et les autres, professionnels, universitaires et charlatans nous ont habitués.
Pourquoi soudainement croire aux vertus déontologiques des instituts de sondage, quand, dans leur agissement quotidien, ces professionnels font preuve des soumissions les plus abjectes pour obtenir et défendre les contrats qu’ils négocient souvent servilement pour assurer leur réussite individuelle au détriment de l’intérêt collectif ?
Et oui, comme on s’en doute, les bonnes questions peuvent nous aider à suivre le fil tortueux qui relie les instituts de sondage aux marchands d’horreur qui peuplent nos rêves de cauchemars, d’inflation, d’insécurité de tous ordres, de corruption, de chômage et d’injustice. Du coup, il est utile de se demander pourquoi un institut de sondage jouirait-il d’une crédibilité à toute épreuve dans un contexte humain et social où la parole d’un responsable universitaire vaut moins que celle d’un charlatan ? Dans un contexte où les frontières entre la faute professionnelle, la malhonnêteté et la fraude se bousculent et se rencontrent comme dans un repère einsteinien ou tout s’effondre sous le poids de l’imposture ? Dans un contexte où l’évangile qui sort de la bouche des hommes d’église n’est pas plus reluisante que celle des proxénètes et des tueurs à gages ? Dans un contexte où les passe-droits, les recours aux réseaux d’accointance et de corruption sont pratiqués avec la même ferveur par ceux et celles qui agissent au nom de la protection des citoyens et des droits de l’homme que par ceux et celles qui agissent au nom des réseaux mafieux peuplés de crapules ?
Manifestement, l’outil statistique qu’est le sondage n’est pas au-dessus du contexte social qu’il tente d’interpréter et d’expliquer. D’autant qu’il reste acquis que la méthode, la rigueur, la validité des sondages et la qualité des élections ne tiennent pas du hasard et du volontarisme des individus. Ce sont des valeurs qui sont le reflet d’un écosystème organisationnel et humain qui privilégie le consensus fort, la conformité aux normes organisationnelles, la justice et l’intelligence éthique au service de la collectivité.
Du coup, une autre bonne question serait de savoir quelle institution peut revendiquer le monopole de ces valeurs en Haïti ? Quel institut, fut-il affublé du titre scientifique, peut revendiquer la rationalité, la rigueur et l’honnêteté intellectuelle dans un pays où l’incohérence reste la marque de référence de notre modèle de vie et où la lâcheté, l’absence de pensée critique, l’opportunisme et le refus de s’indigner sont l’apanage des universitaires ? Et ce, qu’ils soient formés ici ou ailleurs !
Les lacunes de la rationalité académique haïtienne
Dans ce contexte, il est utile de rappeler les lacunes de la rationalité académique haïtienne. Ainsi on ne peut ignorer le contexte global de la production scientifique et ne pas rappeler que la faculté des sciences de l’Université d’État d’Haïti qui prépare aux plus hauts grades d’ingénieurs et d’architectes dans ce pays a été l’un des premiers à s’effondrer lors du séisme de 2010. De même, faut-il rappeler que les professeurs ingénieurs et architectes de ce temple du calcul intégral ont été eux-mêmes formés à la faculté des sciences et ont complété leur formation dans les plus grandes universités européennes et américaines. Alors si le contexte dans lequel nous vivons n’influait pas sur notre savoir et savoir-faire, j’aimerais savoir comment ces brillants professeurs, si prompts à rappeler aux étudiants que l’ingénieur doit travailler constamment sous contrainte, ont-ils fait pour oublier d’intégrer les contraintes des risques sismiques dans les calculs lors de la construction de cet édifice ?
Toute chose étant égale par ailleurs cet édifice ne devait-il pas être dans le pays une référence d’architecture et d’ingénierie ? D’ailleurs, s’il ne devait rester qu’un seul édifice après le 12 janvier 2010, l’immeuble de la faculté des sciences ne devrait-il pas être le seul à défier les secousses et à résister aux ondes sismiques pour rappeler la toute puissance et l’omni présence des contraintes et de la résistance des matériaux ?
Il me semble incongru que dans un contexte de risque sismique élevé qu’une école d’ingénieurs puisse négliger de prendre en compte des paramètres de rationalité sismique pour assurer la sûreté de l’immeuble qui abrite ses étudiants et ses professeurs, alors que dans certains cours en filière de génie civil et d’architecture de cette même faculté, jusqu’en 1991 du moins, on calculait le poids de la neige pour déterminer les contraintes que travaillent les toits et les structures en bois ? Vous parlez d’une incongruité ! dans un pays tropical au risque sismique élevé, les écoles d’ingénieurs se préoccupent de la neige et oublient les failles sismiques. Enorme !
Pour comprendre l’impact d’une telle lacune, réduisons là à une échelle plus acceptable. Aussi, vous invité-je à méditer lors de votre prochaine visite chez votre dentiste sur une anecdote : Essayez d’imaginer que celui qui vous recommande maints conseils, pour garder la bouche fraiche et les dents propres, vous sourit en exhibant une bouche dans laquelle les rares dents présentes sont cariées et jaunies. Comment réagiriez-vous ? Prendriez-vous ses conseils au sérieux ? Continueriez-vous à aller vous faire soigner en son cabinet ? Evidemment, les réponses vous appartiennent selon votre projet bucco-dentaire. Toutefois, il ne fait aucun doute que le contexte dans lequel on évolue détermine fortement les pratiques d’apprentissage qui nous transforment et nous invitent à transformer notre milieu pour optimiser les processus organisationnels et humains. C’est sans doute ce qu’évoque le concept « d’environnement organisationnel apprenant ». Alors, qu’on ne vienne surtout pas brider notre intelligence, en nous parlant de méthodologie, d’échantillonnage et d’intervalle de confiance dans un environnement en guerre contre la rationalité, l’éthique, l’intelligence et la justice.
L’écosystème organisationnel et humain haïtien n’inspire plus aucune confiance. Il ne permet aucun apprentissage. Il ne facilite aucun progrès. C’est pour cela que seuls ceux qui vivent de l’échec humain peuvent réussir ici. Dans un tel écosystème, aucune méthode n’a de sens. Quand il n’y a pas de culture éthique qui dicte les règles de gestion des affaires, le succès reste potentiellement une affaire d’escroquerie.
L’universitaire haïtien en contexte de précarité
Nous avons raté trop d’opportunités. Nous avons trop surfé sur des intérêts platement matériels. Nous avons trop forcé sur les consensus honteux qui nous permettent d’assurer nos petites « réussites » au mépris de la vie, au mépris de la justice, au mépris des intérêts des générations futures. Nous avons désappris à penser rationnellement et à vivre dignement.
Le courage, l’engagement, la méthode et la rigueur ont déserté notre modèle de pensée et d’action pur laisser la place à un « sauve qui peut » généralisé. Et, c’est dans ces moments qu’on se dit alors qu’il va falloir compter sur ceux qui sont formés ailleurs, dans de meilleures conditions, pour qu’ils mettent leur savoir au service de l’engagement pour réussir et faire vivre « le projet haïtien ». Mais, en attendant qu’ils nous prouvent le contraire, ceux et celles que nous avons vu à l’œuvre dans les projets internationaux, dans les cabinets d’expertise des ministres, dans les gouvernements passés et présents n’ont pas fait mieux.
Au vrai qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, l’universitaire haïtien reste soit un opportuniste, soit un mercenaire préoccupé par la précarité. Et ce, qu’il vienne d’une université faisant la pluie et le mauvais temps en Haïti ou d’une université qui impose par son prestige au Canada, en France, aux USA ou ailleurs. Et cela parce que, comme nous l’avons déjà dit, aucune semence ne peut porter fruit dans une terre infertile. La valeur d’un titre universitaire ne saurait se résumer à un diplôme ou à un succès académique. Le savoir n’a de valeur que s’il permet de transformer le réel et non de le subir et non d’en profiter. Le talent d’un manager ne doit pas consister dans l’augmentation de son salaire et de son standing de vie, mais davantage dans les défis qu’il permet de résoudre, dans l’engagement qu’il prend pour réussir le projet collectif. Ne dit-on pas qu’une organisation n’a de raison d’être que si elle permet à des gens ordinaires de faire des choses extraordinaires. Ne dit-on pas que le vrai succès est celui qui consiste à aider les autres à réussir. Alors parlons vrai et parlons juste, qu’on me montre une seule organisation, une seule institution en Haïti qui assure cette dimension de succès.
Manifestement, c’est ce prix que nous payons : le prix de l’imposture et de l’adaptation de nos managers à la bêtise. Le prix de l’improductivité, de l’absence de rêve et de la pensée infertile de nos universitaires ! Et cette infertilité est telle que l’universitaire haïtien a troqué son esprit critique et a désappris à penser, à questionner, à résister. Pour échapper à la précarité, il a renoncé à tout l’outillage de la dialectique. Au lieu de tenir compte des éléments du contexte sociologique, anthropologique et historique dans lequel il vit, au lieu d’adapter son savoir au défi social, économique, politique et humain pour transformer son milieu comme le fait tout être intelligent, il a préféré le déserter, partant à la recherche de petites opportunités individuelles quitte à revenir ici de temps en temps pour occuper un poste en s’appuyant sur la seule compétence dont il sait faire montre : mobiliser son réseau d’accointance sociale et politique pour pervertir la vie et enfumer l’horizon.
Vivant en transit entre plusieurs capitales, il ne sait plus s’il est haïtien, français, suisse, américain, belge ou canadien. Selon le contexte, il s’affirme l’un ou l’autre et quand il vient en Haïti, il est toujours prêt à se faire rapatrier d’urgence par sa seconde vraie patrie à la moindre escarmouche. Pourtant il est omni présent dans toutes les institutions. Car c’est lui qui, grâce à son réseau culturel et politique, obtient tous les contrats d’expertise et de conseil dans les ministères, dans les ONG et dans les agences internationales.
Refusant de s’engager dans l’action militante, il participe pourtant à tous les gouvernements, s’assurant ainsi que l’échec portera toujours l’empreinte locale. Il n’a plus le temps pour l’indignation et la critique. N’ayant jamais de position, il a appris à survivre en se taisant et en s’éduquant à l’autocensure pour mériter l’estime de ses supérieurs. Toujours en quête d’opportunités, il garde jalousement ses contacts et s’arrange pour avoir toujours un contact dans toutes les ambassades. Il a troqué la devise ni Dieu ni Maître de la pensée libre et critique pour un opportunisme flexible ou le « ni-ni » s’adapte à un enjeu répondant à des préoccupations mesquines : Ni idéologie Ni patrie. Motivé par des ambitions platement matérielles, il a appris à se soumettre et ne s’engage plus qu’envers l’ONG qui le recrute et la patrie qui lui donne sa vraie existence.
Ne vivant plus que par ses envies d’ailleurs, il a délaissé la praxis réflexive et méprise les combats pour la justice et la liberté. Renonçant à toute forme de contestation contre le mensonge officiel, refusant de mettre son savoir au service de la vérité, on voit difficilement comment l’universitaire haïtien peut revendiquer une méthodologie et une rationalité au-dessus de tout soupçon ? De fait, une bonne partie du mal-être haïtien vient de l’imposture de ceux et de celles qui se sont accaparés des rênes du pouvoir et du savoir et qui se sont transformés, au cours de ces trois décennies, en fossoyeurs de la démocratie et en promoteurs d’un réseau d’accointance qui bafoue l’intelligence et refuse le jeu de la saine concurrence.
Regardez autour de vous et vous verrez bien que l’universitaire haïtien a perverti tout ce à quoi il a touché, ces 30 dernières années : la justice, l’université, la société civile, l’éducation, les droits humains. Il a transformé toutes les associations qu’il a dirigées ou auxquelles il a pris part en un Gigantesque Office de Protection des Crapules. Il a dénaturé toutes les initiatives et facilité l’émergence de toutes les dérives. C’est bien lui, en partie, qui a permis la résurgence du spectre macoute et a renforcé l’arsenal idéologique des TetKale.
Méthode statistique en contexte précaire comme technique d’enfumage
Tout ce contexte de déficit humain et de rationalité nous permet de comprendre combien la production statistique peut être mise à contribution pour desservir des projets à finalité douteuse. Au vrai, le sondage ne peut pas être un outil objectif et neutre dans un écosystème aussi précaire. Car même dans des contextes humains de lutte active, la statistique reste un outil de manipulation aux mains des groupes dominants. C’est encore plus vrai dans un écosystème qui subit la loi d’une armée de mercenaires en quête de réussites individuelles.
Mais au-delà de la pertinence de ces questions, il nous faut reconnaitre que le sondage de BRIDES contient un élément révélateur : il n’est pas exclu que Jovenel Moise puisse remporter les élections de 2016. D’ailleurs ces élections ne seront en rien différentes de celles de 2010 et de 2015. C’est au vrai, le même écosystème organisationnel et humain qui est en œuvre et qui pilote le processus. C’est la même machine et les mêmes acteurs qui agissent au nom de la même communauté d’intérêts comme des automates programmables.
Il est donc utile de faire ressortir que le contexte organisationnel, social, culturel, politique et économique haïtien est tel qu’il a formaté le processus et la machine électorale de manière à ce que ce soit un jeu absurde où seuls les mauvais et le plus indignes peuvent gagner. Et c’est là que prend tout sons sens le paradoxe de l’irrationalité académique haïtienne. Au lieu de chercher à optimiser le processus, à reformater la machine et à modifier le programme en entrant les bonnes instructions pour que le système fonctionne normalement, dans une logique de facilité, les acteurs économiques, sociaux, culturels et politiques haïtiens préfèrent s’adapter à devenir mauvais pour pouvoir gagner.
On a déjà souligné la passivité et la complicité des partis politiques dans les mascarades électorales les plus récentes de 2010 et de 2015. Il s’agit d’un véritable jeu de tricherie. Tous savent que la course est truquée. Mais comme ils sont tous des tricheurs, tous acceptent de participer. Et comme en bons tricheurs, tous vont essayer de gagner par la triche. Et le premier tricheur qui passe la ligne d’arrivée se trouve logiquement dans la ligne de mire de tous les autres tricheurs. Un vrai casse-tête pour faire fonctionner ce programme sans un régulateur externe qui choisit, selon ses propres projets, quel tricheur il veut pour le contexte.
Ainsi, ce n’est pas tant le choix rationnel des électeurs qui déterminera les résultats des prochaines élections. C’est de préférence, l’écosystème organisationnel et humain haïtien qui, dans « son irrationalité rationnelle », agit comme un automate programmé avec des lignes de code contenant des instructions absurdes. Pour ceux qui connaissent la statistique ou l’économie, c’est comme un processus markovien où l’on cherche à mettre suffisamment d’informations (erronées) dans le système pour générer le futur. Tout est joué d’avance.
Et si tout est joué d’avance, il est pertinent de se demander alors comment s’attendre à ce que l’électeur puisse voter rationnellement ? Comment s’assurer qu’un processus programmé pour générer à chaque fois le même résultat truqué puisse produire autre chose ? Comment faire sortir de l’urne une boule dont le numéro n’a pas été pris en compte ? Comment le vote des électeurs puisse avoir du sens quand tout est programmé pour que l’électeur ne vote pas ? On a vu que la seule fois où la machine avait « déraillé », c’est quand le peuple avait voté en 1990. Cela ne traduit pas que le vote était rationnel. Tout au moins, il n’était pas truqué. Mais on connait la suite…les automates avaient repris la main : intimidations, coup d’état, massacre et tout le grand jeu de circonstance. Et sachant que ce ne sera pas toujours possible de sortir l’artillerie lourde, sauf si le jeu force à couper, alors ils ont adapté le processus en introduisant un immense bug dans le code électoral.
Dès lors comment le peuple peut-il influer sur le jeu démocratique quand ceux qui lui servent d’élites vivent dans une perpétuelle imposture et ont codé le programme avec les mauvaises instructions pour générer le même chaos ? N’oublions pas que toute l’intelligence de l’automate réside dans son unité centrale Et grâce à la pensée informatique, on sait que l’unité centrale est le siège de lignes de codes où les instructions sont truquées et illogiques, le traitement ne sera pas autre chose qu’un immense bug retentissant d’échec !
Et c’est là que prend forme l’imposture qui nous enfume : ceux qui pilotent le processus de renforcement de nos institutions ont appris à vivre de l’échec de la collectivité. L’écosystème haïtien est peuplé d’automates qui ne vivent que par l’échec de l’autre… et de la communauté. C’est d’autant plus facile pour eux, qu’Haïti n’est pour eux qu’un pays de transit. Un Business ! Un lieu d’affaires. Et on comprend pourquoi les mots « Haïti is open for business » avaient résonné si fortement dans le cœur de ces automates.
Dans ces conditions, il semble certain que le sort des élections de 2016 et de celles à venir soit scellé d’avance. Sauf si d’ici là un autre processus consommateur de plus de ressources ne soit lancé pour stopper la dérive. C’est dans cette perspective que nous continuerons d’animer notre chronique sur l’éthique, les technologies et la justice. Pour rappeler que les élections ne sont un outil de progrès que si elles permettent de garantir l’effectivité de l’état de droit. Que si elles permettent de renforcer les institutions et de leur apporter une relevance normative qui permet à chacun d’avoir la même chance pour participer à la dynamique sociale. Sans accointance aucune et sans autre référence que ses compétences professionnelles et éthiques. Oui, les élections ne doivent pas être un slogan de légitimation et d’accès au financement international. Elles n’ont de sens que si elles facilitent l’émergence de pratiques institutionnelles et sociales, si elles permettent aux générations futures de magnifier leur potentiel créateur et d’avoir une même chance de réussir sans s’humilier, sans renoncer à leur dignité.
Or, c’est tout ce à quoi s’opposent les automates qui contrôlent et parasitent le jeu économique, politique, culturel et social haïtien. Ils refusent le jeu de la libre concurrence. Ils refusent la bonne gouvernance et la reddition des comptes. Pourtant, la concurrence reste un des meilleurs outils de la diffusion des bonnes pratiques. C’est la concurrence saine qui permet le développement et la culture de règles éthiques dans une société. C’est elle qui permet de nourrir l’écosystème humain et organisationnel d’où germeront les grains qui passeront la promesse des fleurs et feront mûrir les raisins de l’ivresse collective.
Quelle confiance peut-on avoir dans les automates de cet écosystème quand la parole d’un universitaire cesse d’être éthique et crédible ? Quand la parole du juge ressemble à celle de l’usurier ? Quand le moindre projet, aussi pertinent soit-il, est rejeté, alors que d’autres, même insensés, sont promus rien que par ce qu’ils bénéficient du soutien d’un puissant réseau d’accointance local et/ou international ? Comment peut-on croire aux vertus méthodologiques des sondages quand toutes les études et tous les sondages sont financés par les mêmes fonds nationaux et internationaux qui s’opposent aux audits, à la bonne gouvernance et à l’évaluation des politiques publiques ? Comment croire aux vertus des sondages financés par des hommes d’affaires qui n’ont jamais cherché à doter le service public haïtien et même leur propre entreprise du plus petit outil statistique d’aide à la décision ? Quand pour le moindre outil technologique pour nos institutions il faut faire appel au financement et à l’expertise de la communauté internationale ?
Dans ce contexte, il est hautement probable que Jovenel Moise ou n’importe quel autre anonyme d’ailleurs devienne le prochain Président d’Haïti. Car l’écosystème humain et organisationnel haïtien est programmé comme une chaine stochastique de Markov pour générer de façon stationnaire le même passé chaotique :
• Permettre que le pouvoir économique reste aux mains des mêmes familles qui vivent en transit dans ce pays depuis au moins un siècle,
• Permettre que la communauté internationale, à travers les missions diplomatiques du CORE GROUP reste acteur principal du choix du leadership politique pour ses enjeux géostratégiques,
• Permettre que les binationaux occupent toujours le leadership national avec quelques mécréants choisis, selon le contexte, au hasard ou méticuleusement
• Permettre que nos institutions restent précaires
• Permettre à une certaine expertise internationale de s’écouler et de se vendre.
Pourtant même avec cette probabilité, le sondage de BRIDES n’est pas plus crédible. Et même qu’on peut oser le comparer à un sondage qui nous dirait que le REX théâtre reste en 2016, à plus de 80% le cinéma le plus fréquenté de l’aire métropolitaine. On voit bien « la validité » d’une telle assertion si on ne s’empresse pas de relater le contexte :
1. Il n’y a plus de salles de cinéma qui fonctionnent dans l’aire métropolitaine
2. Que du REX, il ne reste plus que les vestiges d’une ancienne salle de cinéma
3. Que dans les décombres de ces vestiges, mal protégés par des tôles rouges, on se livre à d’autres ébats et on assiste en plein air à d’autres spectacles.
Evidemment, on acceptera que dans les limites de l’échantillonnage de ce sondage, il ne sera pas possible de préciser si c’est la même clientèle, qui fréquentait le REX au temps où il y avait des salles de cinéma, qui s’adonne et /ou qui y assiste aujourd’hui aux ébats derrière les tôles rouges.
Il devient facile alors de comprendre que sans l’intégration des éléments de contexte, dans un pays de fumiers, un sondage reste une technique d’enfumage pour brider l’intelligence.
*Ingénieur informatique
Erno.renoncourt@integraledatastats.net