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Haïti : Le PSUGO, une catastrophe programmée (2/4)

Expérience tèt kale du PSUGO 2

Par Charles Tardieu, Ph.D*

Soumis à AlterPresse le 28 juillet 2016

L’expérience du « Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire » (PSUGO) initiée et gérée par les gouvernements « Tèt kale » (avec la complicité de ses Premiers ministres Conille, Lamothe et Paul) se résume à une des plus grandes arnaques de l’Histoire de l’éducation en Haïti, à une violation des plus iniques des droits fondamentaux des écoliers, de leurs parents, des Haïtiens de la diaspora et de l’intérieur et à une entreprise de déstructuration profonde du système éducatif. Nous allons comprendre pourquoi et comment à travers les trois points de repère suivants : financement, gouvernance, qualité ; renforçant ainsi les multiples prises de position publique d’institutions nationales comme des syndicats, des groupes de la société civile, des pères conscrits du Sénat, de la CSC/CA pour réprouver la dilapidation de ces ressources rares qui devaient servir au renforcement du système éducatif et à l’amélioration de la qualité des services offerts.

Financement de l’éducation et PSUGO

La mise en œuvre, à l’échelle planétaire, des Objectifs de l’éducation pour tous (EPT) à la fin des années 1990 puis, à partir de 2000 des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) élaborés par la communauté des nations, a vite mis à nu les limites des ressources traditionnelles disponibles pour des programmes de cette envergure. On a donc notamment mis en place des cellules internationales de réflexion sur le financement de l’éducation comme le « Groupe de travail sur les financements innovants » [1] afin de trouver les ressources nouvelles, dites innovantes, que l’on pourrait mobiliser à ces fins. En Haïti aussi [2], le gouvernement, la société civile, le monde de l’éducation réfléchissent et cherchent comment trouver les ressources financières additionnelles indispensables pour faire face aux immenses besoins d’un nouveau système éducatif [3]. Aussi, Michel Martelly et son équipe ne sont pas les premiers à rechercher les moyens pour financer l’éducation haïtienne. Il n’est pas non plus le premier à inscrire la scolarisation universelle parmi les objectifs du gouvernement, ni à mettre en place un tel programme.

De nombreuses stratégies ont été proposées, dont ces « taxes » sur les nationaux en migration. Toutefois, toutes les propositions de « mécanismes financiers innovants pour l’éducation » énoncées s’inscrivent dans la poursuite de quatre objectifs complémentaires : mobilisation des ressources importantes et stables ; accroissement de la visibilité de l’éducation dans le programme de développement international ; amélioration de l’efficacité et de l’efficience de l’aide ; et stimulation de l’innovation dans le secteur de l’éducation. » [4] Il va sans dire, aussi, que tous ces mécanismes s’inscrivent dans le plus strict respect des lois et des normes généralement admises de gestion de fonds publics. On ne retrouve aucune de ces balises de bonne gouvernance dans le PSUGO qui est de préférence dominé par des scandales financiers et du non paiement de leurs salaires aux enseignants.

Lorsque le Président d’Haïti lance en 2011 le projet FNÉ (Fonds national pour l’éducation) avec un mécanisme de financement national et innovant, malgré les accrocs observés dès le départ comme l’illégalité des opérations, il trouve le support d’institutions comme l’UNESCO et un très grand nombre de familles applaudissent. À ce moment, personne ne pouvait imaginer que ce gouvernement, dirigé par Laurent Lamothe puis Evens Paul, dont les membres dirigeants s’identifiaient à des « bandits légaux », allait faire main basse sur les fonds du FNÉ sans aucune retenue comme on le découvrira tout au long des cinq années du règne du Président Martelly !

Dans un rapport sur le FNÉ, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) a statué que celui-ci a été illégalement mis en place, puisqu’aucune loi n’a autorisé le prélèvement de ces taxes [5]. Elle a statué que ce fonds est géré illégalement, puisqu’il ne passe pas par le Trésor public. De plus, il est illégalement utilisé, ne faisant partie d’aucune loi budgétaire. Et enfin, une enquête [6] du Sénat de la république a trouvé que plus de 40% des fonds ont été utilisés pour les achats de mobiliers au profit du CONATEL (Conseil National des Télécommunications, l’instance de règlementation des télécommunications en Haïti [7].

De nombreux autres rapports [8] dressés par des institutions comme le MENFP (Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle), l’UCREF (Unité Centrale de Renseignements financiers) et l’ULCC (Unité de Lutte contre la Corruption) [9] ont mis a nu les pratiques d’escroquerie d’une telle ampleur qu’elles doivent avoir bénéficié de complicités au plus haut niveau du gouvernement pour leur mise en place. En effet, des sénateurs, des députés et d’autres hauts dignitaires du gouvernement disposent de leurs lots d’écoles ‹ dans des valises ›. En effet, beaucoup des listes soumises par les responsables d’écoles PSUGO sont falsifiées : le nombre d’enfants inscrits sur ces listes est de loin supérieur à celui des écoliers qui fréquentent véritablement les salles de classe ; mais les responsables reçoivent quand même leurs subventions calculées sur le nombre porté sur ces listes ‹ gonflées ›.

Pour tenter de masquer l’ampleur des délits, le ministère de l’Éducation et certaines structures gouvernementales de lutte contre la corruption [10] annoncent des enquêtes, et émettent des avis affirmant que les cas de fraude ne sont que des accidents isolés qui seront sanctionnés. En effet, on identifie quelques « petits délinquants » qui peuvent plus facilement être discrédités aux yeux du grand public. Ils sont vilipendés et poursuivis en justice avec fracas tandis que les « personnalités » étatiques de haut niveau organisateurs et bénéficiaires de ces crimes économiques et financiers autour du PSUGO, ne sont jamais inquiétées.

Les mécanismes innovants de financement national du système éducatif haïtien représentent tout de même une source d’espoir incontestable dans un contexte marqué par des besoins de plus en plus pressants face à une très grande dépendance vis à vis de l’aide externe tandis que celle-ci tend à diminuer. En effet, les deux taxes prélevées sur les transferts d’argent de l’étranger et les appels téléphoniques internationaux ont rapporté une moyenne annuelle de 102 millions $ US durant les cinq ans du règne Martelly (2011-2016) [11]. Il était prévu de lever aussi des taxes sur les jeux de hasard et sur les casinos, sur les objets de luxe (tabac, parfums), sur l’importation de produits alimentaires, sur les véhicules à moteur et sur les constructions, etc. Est-ce que celles-ci ont été mises en application ? On n’en sait rien pour le moment, le gouvernement ayant opté pour une gouvernance dans un maximum d’opacité. Mais il est important de le savoir afin de fixer l’ampleur de l’opération de criminalité économique menée sous le prétexte de la scolarisation universelle et pour mieux évaluer les ressources que la nation peut mobiliser en faveur de l’éducation.

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* L’auteur – Ancien ministre de l’éducation nationale, docteur en éducation comparée et internationale de l’Université de Montréal, Charles Tardieu a également étudié aux universités Concordia et McGill. De retour en Haïti, il a travaillé comme spécialiste et analyste de systèmes éducatifs et en formation professionnelle, en encadrement et développement des collectivités territoriales. Entre 1992 et 1996, il a dirigé le projet d’élaboration du Plan national d’éducation ayant abouti en 1996 aux États généraux de l’éducation préparatoires au Plan national d’éducation et de formation (PNEF). Il a enseigné à la Faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti, à la Faculté des sciences juridiques de Jérémie, à l’Université publique de l’Artibonite aux Gonaïves et à l’Université Quisqueya où il a mis en place et structuré la Faculté des sciences de l’éducation. Il enseigne actuellement à l’ISTEAH (Institut des sciences, des technologies et des études avancées d’Haïti) où il encadre des étudiants de maitrise et de doctorat. Depuis 1983, il est éditeur de manuels scolaires pour l’École fondamentale aux Éditions Zémès.

Notes


[1Leading Group on Innovating Financing for Development, 2+3=8 – Innovating in Financing Education, Paris, Septembre 2010.

[2Fonds pour le Développement de l’Education en Haïti (FODE), Document de Discussion Groupe « fokal ».

[3Le Plan opérationnel préparé par le GTEF (Groupe de travail sur l’Éducation et la Formation) a évalué les besoins de financement du secteur éducatif à US$4.2 millions pour les cinq années comprises entre 2011 et 2015, dont US$2.2 millions pour le préscolaire et le fondamental 1 et 2.

[4Leading Group on Innovating Financing for Development, idem.

[5Le Nouvelliste, Rapport cité par Louis-Joseph Olivier, le 1er avril 2015 titre : Le fonds national pour l’éducation dans le collimateur de la Cour des comptes et cite : « En dépit de la légitimité sociale de cette action, il demeure que les prélèvements de ce fonds sont effectués en marge de la loi, en violation de la Constitution de 1987 et le décret de 2005 sur la préparation et l’exécution des lois de finances » La Cour poursuit, selon le journaliste, en indiquant avoir relevé de nombreuses « irrégularités qui ont nui à la bonne exécution de la loi de finances de l’exercice 2013-2014. »

[6A quoi servent les fonds collectés sur les appels téléphoniques ?, Haïti Liberté, Vol. 6 • No. 46 • Du 29 Mai au 5 Juin 2013.

[7Rapport cité par Louis-Joseph Olivier, Le Nouvelliste, Idem.

[8Harrios CLERVEAUX, PSUGO : de l’argent investi dans des écoles fantômes, Le National, 10 mai 2016, Catégorie : Economie ;

[9« PSUGO : rapport ULCC - Liste d’écoles exclues » ; Le Nouvelliste, 15 juillet 2015 ; MENFP, Communiqué de presse, PSUGO : visite, exclusion d’écoles et adoption de nouvelles mesures.

[10MENFP, Communiqué de presse, Septembre 2015, idem.

[11Information impossible à vérifier avec rigueur, tant le régime a su occulter les renseignements même à l’intention du parlement.