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Haiti : la pratique du viol s’amplifie

Communiqué de Presse de l’organisation Kay Fanm

Soumis à AlterPresse le 23 décembre 2004

A l’occasion de la célébration du 56ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de la Personne, Kay Fanm s’élève contre la montée de la violence envers les femmes dans le pays et veut attirer l’attention de la société en général et celle des autorités de la Police et de la Justice en particulier.

Dans le cadre de son Programme de Réhabilitation et d’Encadrement des Femmes Victimes de Violence, Kay Fanm a traité, durant la période d’octobre 2003 à novembre 2004, deux cent soixante douze (272) cas de femmes violentées par leur conjoint, des chimères/mercenaires de Lavalasse et des bandits armés. Cent treize (113) des victimes ont subi des agressions physiques, dont soixante six (66) cas sont le fait de conjoints et trente trois (33) l’œuvre de chimères et autres bandits armés. Dans cette même rubrique, Kay Fanm a répertorié quatorze (14) autres cas, dont cinq (5) femmes blessées à l’arme blanche (couteau, machette, poignard) et neuf (9) femmes ayant subi d’autres dommages physiques.

Dans la rubrique des viols, la situation s’avère très inquiétante à Port-au-Prince. De jour comme de nuit, aussi bien dans les quartiers marginaux que dans d’autres quartiers plus favorisés, des fillettes âgées de 3 à 10 ans sont violées. Ainsi, en plein jour des bandits s’attaquent aux domiciles dans les zones de la Rue du Travail, de Turgeau et du Canapé-Vert, pour perpétrer des viols collectifs. Nous ne pouvons considérer qu’il s’agit uniquement de banditisme car, dans divers cas, les victimes rapportent que rien n’a été volé dans les maisons attaquées et que les viols ciblent précisément les fillettes et les jeunes filles.

Dans la commune de Delmas, le kidnapping est associé au viol, commis par des hommes armés qui opèrent dans des véhicules aux vitres teintées, et s’en prennent particulièrement à des écolières. Les viols collectifs sont commis à bord même des véhicules qui continuent à sillonner les rues à toute vitesse. Cette pratique prend de l’ampleur. Dans les quartiers populaires de Martissant, Ti Bois, Grande Ravine, Ravine Pistache, Cité Soleil, Cité de l’Eternel, Carrefour-Feuilles, etc., c’est aussi au grand jour et à visière levée que les bandits agressent les jeunes filles et les femmes adultes. Certaines ont été kidnappées et violées durant tout le temps de leur séquestration qui a duré une fin de semaine. Plusieurs jeunes filles, ignorantes de mesures à prendre en pareil cas, ont ainsi attrapé des Infections Sexuellement Transmissibles telles que la syphilis. Quatre (4) fillettes, âgées de 13 ans, ont pour leur part connu une grossesse forcée. Au regard de la pandémie que représente le Sida en Haïti, la recrudescence des viols pose le risque très sérieux d’une plus grande propagation du virus et celui d’un nombre plus élevé d’enfant né infecté.

Durant la période d’octobre 2003 à novembre 2004, Kay Fanm a dûment documenté quatre vingt cinq (85) cas de viol. De nombreux autres cas ont été cependant enregistrés. Mais, en raison de l’insuffisance des informations, les dossiers n’ont pu être constitués selon les normes établies. Parmi les quatre vingt cinq (85) cas documentés, on dénombre vingt trois (23) femmes et soixante deux (62) fillettes et jeunes filles. Vingt neuf (29) des victimes ont subi des viols collectifs.

Dans la rubrique « meurtre et tentative de meurtre », Kay Fanm a enregistré vingt neuf (29) cas. Parmi les meurtres, on dénombre celui d’une (1) femme par son conjoint et quinze (15) autres meurtres dus à l’action des bandits armés. Les quatorze (14 cas) de tentatives de meurtres sont le fait d’un conjoint.

Kay Fanm tient à souligner l’enfer que représentent les situations de violence pour les femmes dans leur foyer. Outre les angoisses liées au climat d’insécurité qui prévaut dans le pays, les femmes sont sujettes aux meurtres, aux bastonnades et aux insultes dégradantes et destructrices de la part de leur conjoint. Ces insultes, classées dans la rubrique du harcèlement sexuel, ont fait l’objet de quarante cinq (45) cas documentés par Kay Fanm.

Dans les données présentées, 42% des cas de violence sont le fait d’un conjoint envers sa compagne. Ce pourcentage rassemble toutes les formes de violence conjugale domestique. Les agressions physiques n’entraînant pas de blessure représentent 62% des cas. L’ensemble de ces données atteste de l’ampleur de la violence envers les femmes dans notre société.

Les viols les plus dénoncés concernent les fillettes et les jeunes filles. Les cas enregistrés représentent respectivement 72% d’enfants et 27% de femmes adultes. Cela révèle combien il est encore difficile de dénoncer le viol lorsque la victime n’est pas une fillette ou une jeune fille mais une adulte.

Les données sur les meurtres et tentatives de meurtres sont alarmantes. En effet, environ la moitié des cas (48%) résultent de l’agression d’un conjoint envers sa compagne. En 2003 dans cette rubrique, Kay Fanm n’avait répertorié que quatorze (14) cas alors qu’en 2004 le nombre s’élève à vingt neuf (29), donc une augmentation de plus de 100%. Cette augmentation est liée à la situation de violence politique que connaît le pays. Lorsque la violence prévaut dans le règlement des questions politiques, cela porte certains à croire que la violence est aussi la réponse à privilégier pour résoudre les problèmes dans la sphère privée. Les conjoints, qui entendent contrôler leur compagne avec la violence, sont d’autant plus confortés dans leur entreprise que l’impunité leur est garantie. Ces réalités attestent de l’exactitude de l’équation plus d’armes = plus de violence envers les femmes. En conséquence, le désarmement doit nécessairement être opéré partout où les armes sont utilisées pour commettre des abus et accéder au pouvoir.

Ce 56ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de la Personne est une nouvelle occasion pour Kay Fanm de réaffirmer que les Droits des Femmes font partie intégrante des Droits de la Personne.

Refusons également la violence spécifique envers les femmes pour mieux lutter contre la violence politique !

Port-au-Prince, le 10 décembre 2004

Yolette Andrée Jeanty

Coordonnatrice

Programme de Réhabilitation et d’Encadrement
Des Femmes Victimes de Violence