Par le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’occupation d’Haïti (Rehmonco)
Soumis à AlterPresse le 4 juillet 2016
Les tenants de la droite libérale se sont toujours évertués à combattre la corruption, à dénoncer l’immoralité de la classe politique, la mauvaise gouvernance, etc. Pour eux, l’état actuel du pays est le résultat de politiques instituées par des dirigeants corrompus et sans scrupules.
Ce combat contre la corruption, s’il a eu de maigres résultats dans certains contextes socio-historiques (on peut penser aux combats courageux menés par des patriotes, intellectuels et hommes politiques comme Antenor Firmin, Dantès Bellegarde, etc.), n’a pu aboutir à la construction d’un État de droit, ni à la création d’une bourgeoisie nationale.
L’« erreur » de ces idéologues est de penser que l’origine de la corruption est essentiellement psychologique et morale, qu’il suffit d’effectuer une « révolution éthique » parmi les membres des classes politiques et dirigeantes pour qu’elle disparaisse de façon définitive.
La question, bien sûr, n’est pas si simple. L’analyse de l’histoire du XXe siècle haïtien, particulièrement depuis l’occupation américaine, montre clairement que la corruption est liée à un système politique de répression et d’exploitation.
Dans le contexte social de notre pays, et dans celui de beaucoup de pays du Sud, cette politique n’est possible que dans le cadre d’une alliance étroite entre les classes dirigeantes et la domination étrangère.
Il ne suffit pas de dire que si la corruption n’existait pas, l’impérialisme n’aurait pas lieu. Il ne s’agit pas d’une relation de cause à effet, mais d’une relation dialectique d’interdépendance.
Autrement dit, nos classes dirigeantes ne sont pas plus « immorales » ou « corrompues » que celles des États-Unis ou de la France, mais dans le cadre néocolonial à l’intérieur duquel s’inscrit leur domination, elles ne font que défendre leurs intérêts qui sont fondamentalement antinationaux.
Certes, on ne peut mettre dans un même sac tous les pays du Tiers-Monde, des nuances importantes sont à considérer ; mais ces différences sont le fruit de luttes sociales non pas de mouvements réformistes.
Au cours du XXe siècle, l’impérialisme a utilisé différentes stratégies pour perpétuer la domination et l’exploitation des anciennes colonies. La corruption en constitue un de ses moyens. Dans le cas de notre pays, cette corruption existant depuis la fondation de l’État haïtien revêt au cours du dernier siècle et aujourd’hui surtout un instrument redoutable par lequel les forces impérialistes assurent l’exploitation du pays.
L’occupation américaine de 1915 à 1934 a été le moment où la domination militaire, politique et économique s’est institutionnalisée en Haïti. La rédaction de la constitution aussi bien que le budget national a été l’œuvre de l’occupant. La moindre réticence des responsables locaux se traduisait par des sanctions pouvant aller jusqu’à la rétention de leur salaire.
Cette stratégie de l’occupant yankee n’épargnait même pas le président de la république. À titre d’exemple, pour obtenir la soumission de Sudre Dartiguenave, le conseiller financier William Cumberland retient son appointement. La subordination devrait être totale, sans aucune forme de contestation.
Ce conseiller financier s’approprie personnellement une partie des impôts de l’État. Loin d’être un acte isolé, plusieurs responsables américains se servent de la corruption comme stratégie de gouvernement. L’amiral Coperton a déposé sur son compte privé les fonds du gouvernement séquestrés en août 1915. Le département d’État recommande le silence [1].
La corruption a été tellement systématisée sous l’occupation américaine que l’ironie populaire retient le nom « Cumberland » pour qualifier tout ce qui est forfaiture, contrebande ou pillage des biens publics.
Au départ des marines américaines 1934, la structure de domination et de corruption est bien assise. L’armée et les élites économiques sont recomposées à cette fin. Tout gouvernement essayant d’apporter la moindre modification est automatiquement renversée par un coup d’État militaire.
Les exemples les plus marquants sont le renversement du président Estimé en 1950 et de Jean Bertrand Aristide 1991. Pourtant, la famille des Duvalier a régné pendant plus de trente ans. Elle a pillé les caisses de l’État et massacré plus 50 000 citoyennes et citoyens avec le soutien de l’impérialisme américain.
L’articulation de la domination et corruption continue à être la stratégie des forces impérialiste en Haïti. Le département d’État américain est intervenu directement dans le choix du président de la république, lors des élections de 2010. C’était un moyen d’éviter toute possibilité de remise en cause même partielle du système. C’est ce qui a permis le grand retour du jean-claudisme au pouvoir.
Loin d’être une question morale, la corruption se révèle un moyen politique efficace dans la logique de domination impérialiste sur Haïti. Elle est la moelle épinière de l’occupation depuis plus de cent ans. C’est en ce sens que, suivant le modèle du vérificateur financier lors de l’occupation américaine, les ministères sont actuellement dotés d’experts étrangers qui assurent le contrôle et l’application des politiques d’asservissement du peuple haïtien.
Face à ce constat, Rehmonco propose que la lutte pour la transformation sociale s’articule à celle pour la désoccupation du pays. L’emprise de l’occupation impérialiste est au cœur du mal du pays depuis les cent dernières années.
Nous demandons aux organisations progressistes de s’unir pour mener à terme le combat contre la domination impérialiste et son corolaire que constitue la corruption.
Pour authentification,
Renel Exentus
Ricardo Gustave
Contact : rehmoncohaiti1915@gmail.com