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HaitiWebdo - Numero 23

Avec la résolution 822, adoptée le 4 septembre écoulé, l’Organisation des États Américains (OEA) se donne un rôle qui est beaucoup plus important dans le processus politique haïtien, que celui de médiateur : Telle est l’opinion de Roger Petit-Frère, professeur d’histoire et de science politique à l’Université d’État d’Haïti. L’OEA intervient directement dans la mise en place pour d’éventuelles élections en 2003, constate Petit-Frère.

Une resolution, pour quoi faire ?

Le Conseil Permanent de l’OEA, a travers la résolution 822, appuie "la normalisation de la coopération économique entre le Gouvernement d’Haïti et les institutions financières internationales". Mais l’OEA pose en même temps ce qui peut être interprété comme un ensemble de conditions, basées sur des engagements consentis par les autorités haïtiennes en matière de sécurité, justice, respect des droits humains et climat politique.

Ces engagements concernent la justice et la réparation en faveur des responsables politiques victimes de la fureur des partisans du pouvoir, le 17 décembre 2001, après l’annonce d’une "tentative de coup d’Etat". Un "désarment général" doit être entrepris a travers le pays et des "conditions favorables" doivent être crées pour la tenue d’élections législatives et locales "libres, équitables et techniquement réalisables" en 2003. Pour cela, un Conseil Electoral Provisoire (CEP) "autonome, indépendant, crédible et neutre" doit être mis en place d’ici 2 mois.

Opération volontariste et obstacles

Le professeur Petit-Frère estime que, globalement, la position de l’OEA est de faire une "opération volontariste pour parvenir à créer en Haïti un Etat moderne démocratique de type libéral". C’est le projet de l’étranger pour Haïti depuis 1986, note le professeur. Chaque fois, des obstacles empêchent sa réalisation. Selon lui, il y a de fortes possibilités aujourd’hui encore que des blocages se multiplient.

En fait, selon Roger Petit-Frère, il faut s’interroger sur la valeur des engagements pris par le gouvernement et sur les moyens qui seront mis en œuvre pour parvenir à la matérialisation de ces engagements. Un autre élément non moins important : "quelle volonté réelle de respecter les promesses faites ?"

Roger Petit-Frère recommande la prudence. On pourrait, dit-il, assister à un "approfondissement de la crise", car le non-respect des engagements pourrait amener à un maintien du gel des fonds internationaux. "Il faut être tout au moins prudent et observer ce qui va se passer dans les faits". A ce sujet, le professeur met l’accent sur le silence de la résolution à propos de ce que fera l’OEA si les engagements ne sont pas respectés.

En définitive, "le gouvernement se trouve devant un choix très difficile : soit l’argent, soit sa base. C’est un choix stratégique très douloureux, qu’il est obligé de faire, parce que de ce choix dépend sa survie", présume Roger Petit-Frère.

Quelle lecture des réactions enregistrées jusqu’à présent ?

On observe des nuances dans les réactions enregistrées au sein du secteur lavalas. Si le Premier Ministre Yvon Neptune parle de "victoire pour le pays", certains responsables d’organisations de base du parti Fanmi Lavalas voient dans la résolution de l’OEA une "mise sous tutelle".

Du coté de l’opposition, les réserves dominent. S’exprimant en tant que porte-parole de la Convergence Démocratique, l’ancien sénateur de l’Organisation du Peuple en Lutte, Paul Denis, a fait part des réserves de l’opposition. Notre préoccupation pour le moment n’a rien à voir avec les élections, mais avec l’arrestation des auteurs des actes de violence du 17 décembre et la réparation pour les victimes, a-t-il martelé.

Les réactions qu’on enregistre jusqu’à présent sont des "interventions à chaud", estime le professeur Roger Petit-Frère. Il faut attendre, dit-il, les prochaines semaines pour évaluer véritablement l’impact de la résolution 822 de l’OEA au niveau de chaque secteur politique. "Et l’opposition et le pouvoir vont se trouver face à des épreuves. Je crois que cette résolution va produire un changement de la configuration politique dans le pays", déclare le professeur.

Quant à la question de mise sous tutelle, pour Roger Petit-Frère, c’est une "évidence". Il ne s’agit pas, selon lui, d’une réalité nouvelle. Il est important de voir cependant si la nouvelle résolution ne projette pas un "renforcement de la tutelle", ajoute-t-il.

Et de quelle tutelle s’agit-il ? "A bien considérer la crise il faudrait aller au delà de l’OEA et voir la force des Etats-Unis à travers l’OEA. Car la voix des Etats-Unis, comme d’ailleurs celle de l’Union Européenne, sera incontournable dans le déblocage du financement international."

L’Union Européenne a fait savoir en début de semaine qu’elle maintenait sa position initiale par rapport au déblocage de l’aide en faveur d’Haïti et a dit attendre un accord politique entre les protagonistes.

Pour Petit-Frère, tenant compte des rapports de force à l’intérieur de l’OEA et de l’hégémonie américaine renforcée sur le monde depuis le 11 septembre 2001, la résolution 822 pourrait même être considérée comme "une résolution américaine". "Il est possible d’y lire que le type de rapports entretenus par lavalas avec certains secteurs populaires ne peut plus être toléré."

La nature de la crise

La résolution 822, répond-elle véritablement aux objectifs de solutionner la crise qui secoue la société haïtienne ? Le professeur Petit-Frère est sceptique : "la crise haïtienne est excessivement profonde, souligne-t-il. Le pays est éclaté. Chaque fois on parle de crise électorale, mais en réalité la société haïtienne connaît plusieurs crises : crise d’autorité, crise de représentation, crise d’hégémonie, crise économique et financière..."

Et dans toute cette situation de "crise globale", Petit-Frère identifie un déficit de débat. Notre problème, indique-t-il, c’est que "le gouvernement met l’accent sur la crise économique, pour justifier son inaction, et l’opposition met en relief la crise politique. Il y a un débat qui n’est jamais amorcé pour connaître la clé de la crise."

Enfin Petit-Frère parle de l’effritement du pouvoir haïtien qui ne peut plus être ce qu’il était par le passé, alors que le problème n’est pas posé. "L’Etat ancien a fait son temps et est bel et bien mort. Une morale internationale est en train de se développer, de nouvelles valeurs politiques tentent de s’imposer, un monde nouveau se crée et il est impossible de maintenir dans ces conditions un état traditionnel. Puisque de toute façon, il ne peut pas résoudre le problème de la paysannerie, il ne peut pas donner a manger a la population, il ne peut pas réaliser l’intégration économique entre les secteurs de la société..."