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Préoccupations autour de la détérioration des conditions de vie en Haiti et en République Dominicaine

Prise de position de la Mission Sociale des Eglises Haïtiennes (MISSEH)

Document soumis à AlterPresse le 21 juin 2016

La Mission Sociale des Eglises Haïtiennes (MISSEH) constate avec peine que les intérêts relatifs aux positions politiques immédiates drainent considérablement l’attention de l’opinion publique au détriment de la vie des haïtiens et des dominicains d’origine haïtienne victimes de certaines politiques migratoires sur cette ile partagée entre Haïti et la République dominicaine. A l’occasion de la journée mondiale des refugiés, la MISSEH se fait le devoir de re-attirer l’attention de la communauté nationale et internationale sur cette situation en republiant la position en date du 29 mars 2016 du forum ACT ALLIANCE en Haïti, dont la MISSEH est membre.

FORUM DE ACT ALLIANCE HAITI

DECLARATION

Le Forum de ACT d’Haïti exprime sa profonde préoccupation concernant la crise politique et sociale persistante sur l’île d’Hispaniola, qui a touché des milliers de Dominicains d’origine haïtienne et des travailleurs migrants haïtiens. Depuis juin 2015, plusieurs centaines de milliers de personnes des deux groupes ont vu leurs droits humains bafoués, ont connu une perte soudaine et dramatique des moyens de subsistance, une détérioration des conditions de vie y compris l’insécurité ou la menace de l’insécurité, la séparation familiale et une perte d’accès à une procédure établie de part et d’autre de la frontière.

Pour les dominicains d’origine Haïtienne, les voies pour la naturalisation et la citoyenneté à part entière demeurent obscures. Plusieurs milliers sont toujours en plein flou juridique, malgré la rhétorique du gouvernement dominicain à l’effet contraire.

L’aide publique et la volonté politique pour assurer le rétablissement des pleins droits de citoyenneté aux enfants Dominicains nés des migrants haïtiens ont considérablement diminué en République Dominicaine. Pour les travailleurs migrants haïtiens, la situation reste tout aussi incertaine.

À la suite de l’émigration forcée ou « volontaire » de la République Dominicaine, des camps avec des tentes ont été récemment installés pour des personnes déplacées internes, dont les conditions de vie ont été décrites en septembre 2015 par l’Expert Indépendant de l’ONU sur les Droits de l’Homme en Haïti comme étant « précaires » [1].

Dans les deux pays, l’accès aux documents d’identité est devenu un problème important- car il est encore non assorti/accompagnée d’aucune volonté politique pour résoudre la question.

Du côté dominicain, des décennies d’acharnement ou de sentiments systémiques et institutionnalisés anti-haïtiens constituent des principaux obstacles à l’acquisition des documents de nationalité dominicaine.

En Haïti, des dizaines d’années de grande négligence de la plupart des droits humains et la faible capacité du gouvernement sont principalement à blâmer. Néanmoins, l’effet est le même dans les deux pays : des milliers de gens ne possèdent les documents d’identité ni haïtienne ni dominicaine nécessaires à la réalisation des droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques fondamentaux. Dans le même temps, le refus des deux pays d’élaborer une politique migratoire communément convenue et de type mutualiste a mis en danger les vies de centaines de milliers de personnes, qui ont un accès très limité – voire inexistant– à des recours juridiques. Le personnel de l’ONU a demandé instamment aux deux gouvernements d’œuvrer pour la conclusion des accords bilatéraux et des politiques qui pourraient créer des conditions pour que les droits des peuples soient respectés. [2]

Une autre complication est le contexte de la sécheresse aiguë en Haïti, qui a réduit l’accès à l’eau, a tué le bétail et a réduit la disponibilité des produits alimentaires locaux. Un tiers de la population haïtienne vit maintenant dans l’insécurité [3] alimentaire, y compris le long de la frontière Dominicaine-haïtienne, où il y a maintenant aussi des rapports qui font état de la propagation du choléra [4] dans les camps. Un long processus électoral, très contesté en Haïti, a empêché les autorités gouvernementales d’accorder une attention suffisante aux dimensions genre et humanitaires de cette crise - ainsi que son impact sur les enfants et les personnes âgées.

En République dominicaine, une campagne électorale pour la nouvelle présidence a empêché les politiciens locaux d’exprimer la moindre chose par rapport aux sentiments anti-haïtiens (acharnement anti-haïtien), afin de faire appel aux sentiments populistes Dominicains.

Reconnaissant la nature complexe, compliquée - souvent chronique- du contexte actuel ; guidée par la Politique [5] de Protection Humanitaire, de ACT Alliance, ACT Alliance Haïti invite les gouvernements des deux pays à établir des plans immédiats, à moyen et à long terme afin de relever les défis actuels et éviter leur aggravation, qui, s’ils restent en suspens, pourraient affecter les deux pays et potentiellement conduire à une nouvelle déstabilisation à long terme.

ACT Alliance demande aux Gouvernements d’Haïti et de la République Dominicaine de :

- Immédiatement :
o Consulter les organisations de la société civile des deux côtés de la frontière Dominicaine-haïtienne qui accompagnent les familles et les individus qui vivent actuellement dans des camps, indépendamment de leur statut de nationalité ; les inclure dans des plans qui visent à répondre aux besoins humanitaires le long de la frontière.
o Sensibiliser, former les autorités frontalières responsables de ressources ; veiller à ce que les comités des frontières soient habilités à prendre des mesures pour résoudre et prévenir l’exploitation des groupes vulnérables, notamment les femmes et les enfants.
o Etablir la coopération et la collaboration intergouvernementale pour prévenir et lutter contre la contrebande et le trafic transfrontaliers des femmes et des hommes, des garçons et des filles, à travers la frontière Dominicaine-Haïtienne.
o Coordonner avec d’autres organisations parties prenantes – y compris les représentants de ACT Alliance, l’Organisation des Nations Unies et les autres ministères gouvernementaux– pour assurer des approches cohérentes et cohésives des interventions programmatiques.
o Accepter de se conformer à l’accord sur les mécanismes de rapatriement entre la République Dominicaine et la République d’Haïti", signé le 2 novembre 1999.
o Etablir des protocoles plus clairs pour les postes frontaliers pouvant être vérifiés par des moniteurs tiers indépendants ; utiliser des procédures de vérification/sélection adéquates pour déterminer qui est de retour en Haïti, et son statut.

- À moyen terme :
o Inclure à l’ordre du jour, toutes les discussions bilatérales et la Commission Mixte Bilatérale, l’urgence de ratifier une Politique Migratoire communément partagée entre la République Dominicaine et Haïti.
o Mettre en place un mécanisme pour un dialogue régulier avec les groupes de la société civile bilatéraux/binationaux avec les projets transfrontaliers actuels qui visent à protéger les droits de l’homme et les groupes vulnérables.

ACT Alliance demande au Gouvernement d’Haïti de :

- À court terme :
o Mener des évaluations d’urgence des camps frontaliers afin de connaître les besoins et les vulnérabilités actuels, en tenant compte des données ventilées par sexe et en notant les besoins particuliers des groupes vulnérables : notamment les femmes, les enfants, les handicapés et les personnes âgées.
o Accorder la priorité et de manière urgente à l’assistance humanitaire d’urgence comme la nourriture, l’eau et l’assainissement y compris le traitement du choléra, à toutes les personnes résidant actuellement dans des camps avec tentes en Haïti, sans considération de leur nationalité.
o Etablir de toute urgence des protocoles pour prévenir la propagation du choléra et le virus zika causés par le manque d’accès à l’eau et aux installations sanitaires.
o Prendre des mesures immédiates pour empêcher l’exploitation des groupes vulnérables- notamment les femmes et les enfants. Ces mesures doivent prioriser la coopération bilatérale entre le gouvernement haïtien et dominicain pour l’établissement des mécanismes de protection transfrontalière afin d’empêcher la contrebande et le trafic des femmes et des hommes, des garçons et des filles, à travers la frontière dominicaine-haïtienne.
o Plaider auprès du Président Intérimaire récemment nommé afin de satisfaire un besoin urgent pour que l’Haïti puisse faire face aux préoccupations humanitaires des camps situés le long de la frontière.

- Du moyen au long terme :
o Plaider auprès du Président Intérimaire Haïtien récemment nommé par rapport au besoin d’une reprise de dialogue bilatéral et des efforts diplomatiques avec le gouvernement Dominicain en faveur d’une politique migratoire binationale réglementée.
o Préparer et livrer des plans, des projets aux bailleurs internationaux et plaider auprès d’eux à propos de l’urgence du renforcement des capacités institutionnelles d’Haïti afin de fournir les documents d’enregistrement à l’état civil à ses citoyens avec un accent particulier sur :
• Le Ministère de l’Intérieur pour les passeports
• Le Ministère de la Justice pour les cartes nationales d’identité
• Le Ministère des Communications pour les certificats de naissance.
o Mener des campagnes nationales sur l’importance de la pleine participation nationale à l’enregistrement à l’état civil ; plaidoyer et négociations avec les bailleurs de fonds internationaux pour financer la même chose.

ACT Alliance demande au Gouvernement de la République Dominicaine de :

- Dans le court terme :
o Utiliser le protocole binational de 1999 pour les rapatriements qui précise ce qui suit :
• Le moment et la date d’expulsion
• La non-séparation des familles nucléaires
• La reconnaissance par les autorités dominicaines du droit des migrants à conserver leurs documents juridiques et les copies de la décision de rapatriement aux autorités haïtiennes, un préavis qui répertorie les rapatriés, établissant les points de contrôle de l’immigration à la frontière dominicaine-haïtienne).
o Doter les principaux centres d’enregistrement d’équipements supplémentaires, ainsi que d’un plus grand nombre de ressources humaines mieux formées et informées capables d’interpréter les lois afin de permettre à autant de personnes que possible de s’enregistrer/s’inscrire (y compris l’amélioration ou la rénovation d’équipements biométriques et la fourniture d’un grand effectif de police et/ou l’organisation militaire des demandeurs, à Saint-Domingue, San Cristóbal, Monte Plata, San Pedro de Macoris, Santiago, PuertoPlata, Dajabón, Valverde et San Francisco de Macorís)
o Renforcer, par le biais de différents médias locaux, la campagne d’information pour les immigrants.
o Prendre des mesures pour réduire et atténuer les effets d’un climat de plus en plus hostile en République Dominicaine envers les travailleurs migrants haïtiens et leurs descendants.

- Dans le moyen terme
o Revoir les options législatives et administratives qui existent dans la constitution Dominicaine qui peuvent conduire à une pleine restauration des droits de nationalité pour les Dominicains d’origine haïtienne.
o Appuyer, fournir des ressources et valider les travaux des plates-formes binationales et bilatérales existantes de la société civile et les Organisations Basées sur la Foi telles que ACT Alliance—qui travaillent déjà pour renforcer la cohésion sociale, l’inclusion et la solidarité entre les peuples d’Haïti et la République Dominicaine.
o Etablir et ratifier la législation pour sanctionner et pénaliser les discours de haine, la discrimination raciale et ethnique, l’intolérance religieuse et culturelle et d’autres formes de pratiques discriminatoires en République Dominicaine qui menacent la sûreté et la sécurité publiques.