De notre envoyé spécial Ronald Colbert
Pont-Sondé (Artibonite), 08 juin 2016 [AlterPresse] --- Plusieurs dizaines de représentants paysans (femmes et hommes) participent à trois journées de débats, du mercredi 8 au vendredi 10 juin 2016, au siège de l’Organisme de développement de la Vallée de l’Artibonite (Odva), sur la problématique de la production de riz dans la zone, observe l’agence en ligne AlterPresse.
Il s’agit de la première grande activité officielle du Collectif pour la défense et le développement de l’agriculture dans la Vallée de l’Artibonite (Coddaval), une plateforme de réflexion sur l’agriculture depuis 2015.
Le forum de trois jours est supporté par différentes organisations nationales et internationales, des organismes étatiques et privés.
Ressources humaines d’encadrement à l’Odva
Sur environ 1,250 kilomètres carrés de superficie, seulement une soixantaine de techniciens agricoles, ingénieurs-agronomes et vulgarisateurs de l’Odva essaient d’apporter un minimum d’encadrement à environ 70 mille familles paysannes.
Le nombre de techniciens est insuffisant pour apporter des réponses aux milliers de productrices et de producteurs dans la Vallée de l’Artibonite. Beaucoup de zones de production du riz, dont celles les plus difficiles (comme Grande Saline), ne bénéficient pas de l’assistance technique appropriée, à cause des faiblesses du budget accordé à l’Odva par le pouvoir central, dont le Ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural (Marndr).
Un technicien agricole devrait encadrer et prendre en charge seulement 80 planteurs, suivant des recommandations techniques.
Telle est la réalité actuelle dans la Vallée de l’Artibonite, relève l’ingénieur-agronome Gérald Telfort, directeur de recherche et de formation à l’Odva, analysant, dans la première conférence-débat du 8 juin 2016, l’évolution de la production de riz dans la vallée à partir de l’année 1985, date-référence, dit-il, dans le déclin accéléré de la production de riz dans la zone.
Croissance de la population et baisse de la production de riz face à une forte demande de riz sur le marché national
La population s’accroit en Haïti, à un rythme plus élevé que le niveau de la production de riz, qui se révèle insuffisante à la demande nationale des consommatrices et consommateurs, souligne Telfort, présent depuis 1997 dans la Vallée de l’Artibonite et professeur à la Faculté d’agronomie et de médecine vétérinaire (Famv) de l’Université d’Etat d’Haïti (Ueh).
De 5,864,823 habitantes et habitants en 1985, Haïti est passée à 10,603,708 personnes en 2015, selon des sources combinées, dont l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (Ihsi), citées par Telfort.
La quantité de terres dans la production de riz a diminué progressivement pour atteindre, en 2015, les 35 mille hectares. En 1985, plus de 48,800 hectares de terres agricoles étaient consacrés à la production de riz.
En 2014, l’importation de riz est de 400 mille tonnes métriques, alors qu’elle était de 7 milles tonnes en 1985.
En 2015, la production de riz dans la Vallée de l’Artibonite a chuté à 67,760 tonnes contre 99,353 tonnes en 1985.
Or, la demande de riz en 2015, sur le marché national, atteint les 352,111 tonnes métriques contre 111,250 en 1985.
La consommation de riz par habitante / habitante est de 37 kilos en 2015, contre 22 kilos en 1985.
La population nationale continue de demander du riz, qui lui est offert par des cargaisons de l’extérieur (y compris ce qu’on appelle en Haïti diri jòn nan), envahissant, un peu partout, les différents marchés locaux à des prix plus compétitifs (120.00 gourdes la marmite de 5 livres) que le riz national, comme la variété appelée Tcs, débitée à 200.00 gourdes la grande marmite (US $ 1.00 = 65.00 gourdes ; 1 euro = 75.00 gourdes aujourd’hui).
Verrettes, Dezo, la ferme de Moje, Liancourt.. ; sont les endroits à plus fort rendement agricole dans la production de riz, dans la Vallée de l’Artibonite.
Après la période d’embargo, successif au coup d’Etat du 30 septembre 1991, beaucoup de terres agricoles (de production de riz) ont été converties en glasi (espaces ou parquets en béton, à l’air libre, pour faire sécher le riz).
De plus, les travaux de curage des canaux de drainage, transportant les eaux d’irrigation des terres de la Vallée de l’Artibonite, ne sont pas effectués à temps.
Il y a beaucoup de pertes, enregistrées dans le processus de stockage du riz dans l’Artibonite. Il n’y a pas encore de structure de retenues d’eau dans la Vallée de l’Artibonite.
Comme sur les marchés internationaux, les prix des engrais et semences de riz sont très élevés pour les productrices et producteurs. L’Organisme de développement de la Vallée de l’Artibonite, qui subventionnait, dans le temps, les engrais et semences, pour les paysannes et paysans, serait aujourd’hui (en 2016) essoufflé.
Il y a également les machines agricoles disponibles, peu adaptées aux terres dans la Vallée de l’Artibonite.
La centaine de motoculteurs, acquis en 1996, dans le cadre de la réforme agraire initiée à l’époque René Garcia Préval, président ; Rosny Smarth, premier ministre), serait mal gérés et non adaptés aux besoins dans la zone.
Il faudrait, rationnellement, environ 90 tracteurs et motoculteurs fonctionnels dans la Vallée de l’Artibonite.
Des paramètres importants à considérer
Les derniers travaux de curage remontent à 2014 pour certains canaux, voire 2009 pour d’autres canaux d’irrigation de terres dans la Vallée de l’Artibonite. 4 femmes ont, alors, attrapé des infections vaginales durant ces travaux dans l’Artibonite.
Les aménagements d’espaces appropriés pour la production de riz sont également devenus rares ces dernières années dans la Vallée de l’Artibonite.
Le prix des engrais tend à la hausse. Les productrices et producteurs de riz n’y ont pas accès, ni aux intrants.
65% des terres, soit 22,500 hectares, dans la Vallée de l’Artibonite utilisent la technologie dite faible ou traditionnelle.
28% des terres, soit 9,800 hectares, pratiquent la technologie intermédiaire, et 7%, soit 2,750 hectares, la technologie améliorée.
Les terres (au-dessus du niveau des genoux des planteurs), où les producteurs utilisent la technologie traditionnelle, se retrouvent un peu partout dans la Vallée de l’Artibonite. Elles ne sont pas drainées. Les variétés sauvages, ou adaptées aux mauvaises conditions des sols, y sont insérées. Les semences ne sont ni sélectionnées, ni traitées, précise Telfort.
Sur ces terres, à technologie faible, il n’y a presque pas de travaux de désherbage, de nettoyage des drains ni de canaux. Les engrais y sont mis de manière sporadique, voire irrégulière.
Il n’y pas de système de contrôle de rats, d’insectes et d’autres agents qui ravagent la production de riz. Le riz y est planté sur 45 – 55 jours, après le semis pour contrôler le niveau de sel dans les sols.
Aussi, sur ces terres à technologie traditionnelle, le rendement généré des récoltes, y est-il d’une à 2 tonnes, soit 20 à 40 grands sacs (de 40 marmites de 5 livres chacune).
Pour l’ingénieur-agronome Telfort, les planteurs, qui travaillent sur ces terres de technologie traditionnelle, sans s’en rendre compte, se trouvent dans un processus de ruine (de pertes) accélérée.
Leurs activités de production de riz ne sont donc pas rentables. Les marges induites varient entre moins zéro à 5 mille gourdes par ha.
Les variétés de riz améliorées sont utilisées sur les terres (L’Estère, Desdunes, Timonèt, Liancourt) de technologie intermédiaire (pas trop profondes, plus bas que le niveau des genoux des planteurs).
Le semis est fait sur les plates-bandes. Les canaux d’irrigation sont aménagés. Les eaux sont laissées presque en permanence dans les plantations de riz (à technologie intermédiaire).
Jusqu’à deux travaux de désherbage y sont effectués. L’utilisation des engrais dépend du moment où les producteurs ont accès à un minimum de crédit.
Aussi, le rendement est-il d’environ 3 tonnes (50 à 70 sacs) par hectare. Les marges réalisées varient entre 7,500 à 16,000.00 gourdes.
Les variétés améliorées de riz sont insérées sur les terres drainées (Verrettes, Dezo, ferme de Moje, Liancourt, Lestère, Timonèt), utilisant la technologie améliorée. Elles sont peu profondes (du niveau des pieds des planteurs).
Les semences y sont sélectionnées et traitées. Les semences sont introduites sur les plates-bandes. Les travaux de désherbage y sont effectués à temps.
Trois fois par an, les planteurs (pratiquant la technologie améliorée) y insèrent les engrais, tout en contrôlant le niveau requis ainsi que la pénétration des rats, des insectes et d’autres agents ravageurs dans la production de riz.
Sur les terres à technologie améliorée, le rendement est de 4 à 6.5 tonnes (80 à 130 sacs) par hectare. Quelle que soit la variété utilisée, les activités de productions de riz se révèlent rentables pour ces planteurs, qui ont une capacité d’autofinancement de 70 à 75%, estime l’ingénieur-agronome Telfort.
25 mille à 35 mille gourdes par hectare : tel est la marge réalisée par les productrices et producteurs de riz qui pratiquent la technologie améliorée.
Quelques proposition et pistes de solution
Gen anpil lajan k ap brase nan politik nan latibonit. Se pou yo diminye enfliyans politik la sou Odva ak agrikilti (Il y a une très forte circulation d’argent, au niveau politique, dans le département de l’Artibonite. Il faut diminuer les influences politiques sur l’Odva et l’agriculture).
C’est l’une des recommandations, formulées par l’ingénieur-agronome Gérald Telfort pour une amélioration de la production de riz dans la Vallée de l’Artibonite.
Telfort suggère l’introduction d’engrais simples, non compliqués, sur les terres agricoles, consacrées à la production de riz dans la Vallée de l’Artibonite.
Sur cette question, certains commerçants useraient de différents alibis.
En raison des problèmes de drainage, les terres dans la Vallée de l’Artibonite peuvent être inondées durant plus de 8 mois.
Le Marndr devrait s’associer au Ministère de la santé publique et de la population (Mspp) pour encourager la population à consommer un plat typique, complet, qui contient tous les éléments nutritifs nécessaires (glucides, lipides et autres, suivant le niveau nécessaire), mais en qualité, un plat qui recèle moins de riz (dans les assiettes), plus de salades, etc., préconise l’ingénieur-agronome Telfort.
Il importe de favoriser les cultures dites « contre-saisons », surtout de légumes.
Le Mspp devrait pratiquer toutes les méthodes appropriées (planning familial, subvention aux jeunes femmes, etc.) pour contrôler et stabiliser la population.
Encourager les associations de femmes à offrir le riz appelé diri jòn nan, sous différentes formes et saveurs, pour attirer plus de consommatrices et de consommateurs, serait une action à considérer pour valoriser la production de riz dans la Vallée de l’Artibonite.
Les engrais ne devraient pas constituer les premiers facteurs de production. Les principaux facteurs de production devraient être les êtres humains, les politiques d’aménagement des terres, l’eau, les engrais, aux yeux de Telfort.
Il est tout aussi important de construire des citernes et tous autres types d’infrastructures, pour des retenues d’eau devant être utilisée pour faire face aux périodes de sécheresse.
Des efforts doivent être déployés pour évaluer les variétés existantes de riz et trouver de nouvelles variétés adaptées au réchauffement climatique, causé par les gaz à effets de serre.
De nouvelles fermes expérimentales devraient voir le jour dans la Vallée de l’Artibonite, tout en prévenant les pressions (politiques et autres) sur celles et ceux qui s’investissent dans les recherches expérimentales agricoles.
Des activités génératrices de revenus, surtout pour les planteurs utilisant les technologies dites faible et intermédiaire, doivent être implantées.
Les espaces de production de riz doivent être aménagés, en particulier dans les zones où sont pratiquées les technologies faible et intermédiaire. Les productrices et producteurs de riz doivent avoir accès au crédit, à des systèmes pertinents de labourage et d’encadrement technique.
Les lignes de crédit agricole devraient tourner autour de coopératives plus professionnelles, plus accessibles à l’information.
Dans ce contexte, il faut rendre disponibles des tracteurs adaptés aux conditions des sols dans la Vallée de l’Artibonite.
Trouver des experts, comme des spécialistes en chimie, pour conduire des études microbiologiques, sur l’inondation des terres dans la Vallée de l’Artibonite, serait une des actions à envisager pour renforcer le production de riz dans la zone.
Parallèlement, il convient de former des brigades pour contrôler les agents ravageurs et diminuer les pertes post-récoltes enregistrées dans la production de riz.
En plus de sessions de formation spécifique pour la population générale, Telfort recommande également de subventionner les médias à plus fort taux d’écoute ou de pénétration, en vue d’éviter les discordances entre les messages, véhiculés par les médias et ceux exposés par les techniciens agricoles. [rc apr 08/06/2016 17:00]